Publié le 26 Feb 2014 - 07:16
EN PRIVÉ AVEC HUGUES DIAZ, DIRECTEUR DE LA CINÉMATOGRAPHIE

''Les compteurs du cinéma sénégalais ne sont plus au rouge''

 

Après avoir longtemps servi dans les régions de Fatick, Saint-Louis, Ziguinchor, Louga, c’est à la Maison de la culture Douta Seck de Dakar qu’Hugues Diaz a passé le summum de sa carrière d’animateur culturel. Directeur de la cinématographie, depuis novembre 2011, le cinéma sénégalais retrouve son rayonnement continental, avec l’Étalon du Yenenga et plusieurs récompenses en une édition du Fespaco. L’ancien pensionnaire de l’Ecole nationale des arts a reçu EnQuête.

 

Quel est votre bilan à la tête du centre national de la cinématographie?

Actuellement, je ne peux pas faire de bilan. Parce que c’est un long cheminement. Au moment où je vous parle, c’est une action inachevée à partir du moment où nous sommes sur plusieurs chantiers. Maintenant, je peux dire que le secteur du cinéma et de l’audiovisuel dont nous avons la charge et qui battait de l’aile avant, connaît des avancées assez salutaires sur le plan de l’organisation. Je pense qu’il faut le reconnaître.

Aujourd’hui, nous avons mis en place une nouvelle organisation qui nous permet déjà de prendre en compte l’évolution du secteur. Avant, il y avait une forte stagnation où l’on se contentait de deux diffusions. Aujourd’hui, nous avons un nouvel organigramme qui pousse les collaborateurs à être productifs et plus entreprenants. A ce jour, la direction de la cinématographie est une véritable entreprise. Je ne parle même pas d’industrie, parce que c’est devenu l’une de nos vocations.

Nous sommes devenus une entreprise publique au service des professionnels avec lesquels nous travaillons en synergie sur tous nos projets. Nous les écoutons et acceptons les contradictions. Et c’est ce qui permet aujourd’hui à notre cinéma d’aller vers de meilleurs horizons.

Selon vous, qu’est-ce qui a changé dans la gestion du secteur ?

Le management a changé. Nous communiquons beaucoup. Nous avons surtout une nouvelle volonté politique affirmée et un engagement du chef de l’Etat et du ministre Abdoul Aziz Mbaye qui a en charge le centre national de la cinématographie. On a donc cette volonté de l’Etat qui nous accompagne.

La volonté du président de la République, c’est de tout mettre en œuvre pour que le Sénégal ait une véritable industrie cinématographique au service des populations. Les financements sont là avec le fonds de promotion cinématographique qui vient d’être alimenté pour un montant d’un milliard de F Cfa. C’est assez significatif. Il faut retenir que les compteurs du cinéma sénégalais ne sont plus au rouge. Nous avançons vers des progrès significatifs.

La preuve est que des films comme La pirogue de Moussa Touré et Tey d’Alain Gomis ont remporté plusieurs prix dans des festivals à travers le monde. Et 2013 a été le couronnement du cinéma sénégalais à Ouagadougou, avec  l’Etalon du Yenenga, l’Etalon de bronze et le meilleur documentaire. A l’occasion de cette édition du Fespaco 2013, le Sénégal a eu douze consécrations.

Jamais on n’a connu un tel succès dans l’histoire du cinéma sénégalais, depuis 1969, grâce aux professionnels, au talent de nos réalisateurs et à l'accompagnement de l'Etat. Au Fespaco, nous avions mis sur pied une organisation parfaite en termes de communication, d’accompagnement dans tous les domaines. Il y avait une visibilité des films que nous avions présentés à Ouagadougou. Avant, on n’avait ni stand, ni support de communication.

Je tiens à dire que pour l’opération de Ouagadougou, on a eu un comité constitué des professionnels du secteur qui, maîtrisant bien l’environnement, nous ont donné les meilleurs conseils. Le succès du cinéma au Fespaco et dans différents évènements cinématographiques dans le monde vient de là. Aujourd’hui, nous accompagnons toutes les initiatives cinématographiques, en accompagnant les films.

Notre credo, c’est d’avoir moins de lourdeurs administratives, être près des créateurs et arriver à souder tous les acteurs du cinéma et de l’audiovisuel. Aujourd’hui, il y a une union sacrée que nous saluons. Les protagonistes d’hier se sont réconciliés et tout le monde a son organisation professionnelle. Tout le monde parle d’une même voix. L’Etat a besoin de ça.

Aujourd’hui, quelles sont les difficultés majeures du cinéma sénégalais ?

Les difficultés sont de plusieurs ordres. Je pense que toutes les cinématographies qui veulent évoluer se dotent de structures appropriées pour conduire la politique cinématographique vers l’avant. Si l’on veut réaliser de belles performances et que la politique culturelle d’un Etat n’est pas bien définie pour être perçue et partagée par les acteurs concernés, il y a toujours un flou et on risque de tourner en rond. Aujourd'hui, il faut la définition et l'élaboration d'une véritable politique cinématographique.

Le mieux ne serait-il pas de bien définir la politique culturelle de l’Etat?

Bien sûr. La politique culturelle d’un Etat, ce n’est pas seulement un discours. La culture est un domaine partagé. Mais il faudrait qu'il y ait quelque chose d'assez dynamique. C'est-à-dire que les acteurs culturels ont leur mot à dire dans la politique culturelle d’un Etat. Il faudrait donc une meilleure distribution de notre politique culturelle et plus précisément, la cinématographie et l’audiovisuel qui nous concernent. Parce qu’il y a tellement de tiraillements entre le cinéma et les télévisions qui disent ‘’on produit, mais on n’achète pas de films.’’ Ça pose problème.

Il faut une réglementation de tout cela. Je pense que c’est le premier niveau auquel il faudrait s’attaquer. Avec la vision du ministre de la Culture, j’ose espérer que cette année, nous allons faire une étude de diagnostic du secteur. Il faut surtout définir un véritable plan de développement de notre cinéma, en déclinant où l'on veut aller d'ici trois à cinq ans.

Il nous faudrait avoir dès à présent une vision prospective, parce que la culture, ça ne s'improvise pas. Pour avoir des industries cinématographiques fortes, il faudrait que nous planifiions toutes nos actions. Il est important de mettre en place les outils de planification. L'autre aspect, c'est aujourd'hui dans une directive de l'UMOA qui voudrait que le cinéma soit un secteur doté d'une autonomie administrative et financière.

C'est-à-dire qu'on doit dépasser cette époque où le secteur culturel est placé sous le joug d'un ministère avec des directives. L'initiative privée est beaucoup plus dynamique que celle des Etats. Aujourd'hui, il faut vraiment être en phase, en créant des établissements publics où l'on aura des compétences publiques et privées, pour gouverner les secteurs comme le cinéma et les autres arts. Le Sénégal dispose de ressources humaines qu'il faut pour le faire..

Structurellement parlant, il nous faudrait des sociétés nationales qui aient une dimension économique. Il y a aussi l'aspect financier. Faire un film demande des moyens techniques, technologiques et financiers. Heureusement qu'avec la révolution numérique, il y a des raccourcis à prendre. Certes, le numérique nous permet d'arrondir certains angles, mais il faudrait que l'on pose des mécanismes endogènes de financement.

L'Etat ne doit pas être là à financer le cinéma et la culture en général. On doit créer des mécanismes de financement. Par exemple, on doit pousser les télévisions, les producteurs de programmes et contenus audiovisuels, les téléphonies etc. à verser une redevance pour le cinéma et la culture en général. Avant de chercher des financements étrangers, on doit essayer de les trouver chez nous.

Comment comptez-vous remédier au manque criard de salles de cinéma à Dakar ?

Nous sommes conscients du problème des salles. Parce que faire du cinéma et ne pas avoir des outils économiques pour rentabiliser les productions, c'est un grand dommage. La salle est le levier économique du cinéma. L'urgence a fait que l'Etat, par le biais du Ministère de la Culture et du patrimoine classé et la direction du centre national de la cinématographie, a tenu à réhabiliter quatre salles classiques qui sont la salle de cinéma  située à la Médina, non loin du stade Iba Mar Diop. On a le cinéma Awa de Pikine. Il y a Baba ciné de la Gueule tapée et le cinéma Christa de Grand-Yoff. Les travaux de rénovations qui ont commencé l'année dernière seront terminés cette année.

A quoi va servir le fonds octroyé par l'Etat pour le cinéma ?

Le cinéma vient d'être alimenté pour la première fois par l'Etat à hauteur d'un milliard de francs Cfa. Beaucoup diront que c'est peu, sachant bien que le coût moyen d'un film est situé entre un et deux milliards de francs Cfa. Mais le geste est symbolique et nous allons relever le défi. C'est un fonds professionnel et structurel que l'Etat apporte au cinéma. Cet argent doit être rentabiliser.

C'est-à-dire que ce fonds ira dans le circuit de diffusion qui compte autant de méthodes. Les aides, que nous allons donner pour l'année 2014, vont directement soutenir la production. Globalement, le fonds doit financer les actions de formation, de distribution, d'exploitation et de promotion. Mais pour cette année, le président de la République a demandé que ce fonds serve à booster la production cinématographique et audiovisuelle.

Aujourd'hui, quels sont les chantiers du cinéma sénégalais ?

Dans le cadre des vastes chantiers de cette année, le code cinématographique sera appliqué. Nous comptons délivrer les cartes professionnelles en 2014 qui vont nous permettre d'identifier les différents acteurs.  Il y a la mise en application d'un outil juridique qui va permettre d'immatriculer, d'enregistrer les films et tous les contrats qui sont issus de ce secteur. L'Etat va accompagner les initiatives de formation.

L'autre chantier, c'est la reprise des rencontres cinématographiques de Dakar qu'on n'a plus organisées depuis dix ans. Les anciens locaux des services d'hygiène vont accueillir le centre technique des productions cinématographiques et audiovisuelles. Ce sera une véritable industrie pour la post-production et la production de films.

Nous espérons que ces opportunités contribueront à amoindrir le coût de production des films. Nous sommes en train de lancer les appels d'offres pour les travaux. L'autre grand chantier, c'est la mise en place du centre cinématographique et audiovisuel du Sénégal.

Almami Camara

 

Section: 
SEPTIÈME ÉDITION DU FESTIVAL DAKAR COURT : Une exploration du lien cinéma et musique
LANCEMENT D’AFRICA MUSIC & CHARTS : Vers une certification de l’industrie musicale francophone
BALLET NATIONAL  LA LINGUÈRE ET STEP AFRIKA DE L’USA : Un succulent cocktail de stepping et de sabar
EXPOSITION "LA MÉLODIE DES COLOMBES" : Une incitation à prévenir les risques d'éruption d'un conflit
THIAROYE 1944-2024 : Le Sénégal face à son histoire, la France face à ses responsabilités
VERNISSAGE DE L'EXPOSITION "VOIX DU SILENCE : TRACE ET RÉSONANCE" : Lever le voile sur l'avortement clandestin
PREMIÈRE ÉDITION SOTILAC : Le Sénégal hisse les voiles du tourisme de croisière
ATELIER ‘’DAKAR AU FIL DES ARTS’’ À L’IFD : Une ville contée en sonorités
EXPO "TRAITS ET LETTRES" AU CARRÉ CULTUREL : Le pouvoir de l'art dans l'éducation et la transformation sociale
AVANT-PREMIÈRE « AMOONAFI » DE BARA DIOKHANE : L'art, l'histoire et le droit au service de la mémoire
EXPOSITION "SYMBOLES DE LA VIE : AU-DELÀ DU REGARD" : Réflexions sur la condition humaine
LE SYNPICS ET CONI IA LANCENT UNE FORMATION : Vers une révolution technologique du secteur médiatique
LIBERTÉ DE PRESSE ET DROIT À L’INFORMATION : RSF appelle les députés à instaurer quatre réformes
BIENNALE OFF : L'Orchestre national raconté à Douta Seck
EXPOSITION FALIA La Femme dans toutes ses facettes
MUSIQUE À L’IMAGE : Plusieurs jeunes formés au Sénégal
CÉLÉBRATION 50 ANS DE CARRIÈRE : L’Orchestra Baobab enflamme l’Institut français de Dakar
15e ÉDITION DE LA BIENNALE DE DAKAR : Seulement deux prix remportés par le Sénégal
BIENNALE DE DAKAR : Un éveil artistique, selon Bassirou Diomaye Faye
CÉRÉMONIE D'OUVERTURE DE LA 15e ÉDITION DE LA BIENNALE DE DAKAR : Dak’Art pour un voyage culturel