Quand les jeunes s’investissent dans le street wear
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Il est courant de voir dans les rues de Dakar des jeunes arborer des tee-shirts à l’effigie de marabouts ou avec des slogans en langue wolof. Ces articles sont issus de la filière street wear développée par de jeunes entrepreneurs sénégalais.
Au Sénégal, l’on assiste à l’installation de nouveaux types d’entreprise, œuvres de jeunes acteurs des cultures urbaines. Ainsi, quand des ténors comme Matador ou encore Malal Talla alias Fou Malade montent de fructueux projets sociaux comme Africulturban ou Guédiawaye hip-hop, d’autres jeunes pas toujours connus au bataillon s’illustrent dans le streetwear. ‘’ La culture hip hop est née dans les milieux défavorisés avec les tensions sociales, raciales et politiques des années 60 aux États-Unis d'Amérique.
La pauvreté extrême a poussé des jeunes de New York à utiliser la rue comme scène et lieu d’exposition, la spontanéité de l’improvisation contribue à l’élaboration et à la propagation d’un mouvement culturel. Ce mouvement culturel connaît plusieurs modes d’expression dont le style vestimentaire plus connu sous le nom de street wear. ‘’Il exprime une revendication à caractère social et repose sur des concepts de liberté’’, a expliqué le chargé des relations publiques et de la communication de Doxandem Squad, Pape Mamadou Camara.
Diplômé du département d’histoire de l’Université Cheikh Anta Diop, M. Camara a fait beaucoup de recherches sur l’évolution du mouvement hip-hop. ‘’ Le street wear est, à l’origine, une banale mode du skateur, du danseur de rue, des blocks parties new-yorkais ou encore du surfeur californien’’, -a-t-il ajouté. Il est différent du street fashion, même si souvent les gens font l’amalgame.
Le Sénégal est l’un des premiers pays africains à épouser cette mode. Le graffeur Docta a lancé la première ligne de vêtements hip-hop avec Docta wear. Sa marque a aujourd’hui près de 20 ans et propose différents articles allant des vestes aux coupes urbaines, faites avec du wax ou du cuir, aux chaussures, en passant par les chemises et robes pour femmes. En outre, même si Docta wear est la première marque street wear sénégalaise. D’autres lui ont emboîté le pas. C’est le cas de Galsen du graphiste et photographe Willy Kemtaan ou encore Mizerables Wear du groupe de graffiti Mizerables graff (Ndlr formé par Deep et B Key).
Depuis une dizaine d’années, de plus en plus de jeunes se structurent pour lancer leurs propres marques de street wear made in Sénégal. Parmi celles-ci sont notées les marques Missionnaire, 99 Jolof 4 Life, Doundeul, Mbedou djolof, Trust Your Self, Az et Weuz, Jumo, Unlock, Deggu Wear. Elles ont investi le marché de la mode au Sénégal. D’ailleurs Deggu wear a lancé sa première collection baptisée ‘’Nittu dëgg by dëggu wear’’.
Joint par EnQuête, Ousmane Nathaniel Niang dit Nathan représentant de la marque Dëggu wear a indiqué : ‘’ pour l'instant, étant donné que nous sommes en phase de promotion, nous avons décidé dans un premier temps de ne sortir que des tee-shirts de la collection Nittu Dëgg by Dëggu Wear. Le travail n’est pas facile et requiert des contributions à différents niveaux. D’abord c'est Lune Six qui conçoit les différents logos qui sont ensuite imprimés sur du vinyl avant d’être pressés sur les tee-shirts par des spécialistes’’. Tel est décliné le processus de production par Nathan.
La commercialisation suit et il y a au Sénégal des boutiques comme ‘’galsen shop’’ spécialisées dans la vente des produits street wear. Les prix varient entre 5000 et 25 000 Frs CFA ou plus. Cela dépend de la qualité des articles et des marques. Et c’est à croire que les produits street wear se vendent bien puisqu’il est très courant de voir les jeunes arborer des t-shirts avec les marques locales bien visibles.
Cependant, les difficultés ne manquent pas dans le secteur. ‘’Il faudrait une très grande conscientisation des acteurs de la culture urbaine qui ne cessent de s'afficher avec des marques européennes et américaines au lieu de valoriser nos produits locaux. Et il nous faut une large visibilité dans toute l'étendue du pays’’, a dit Nathan. Il demande également au nom de ses pairs une subvention venant de leur ministère de tutelle d’autant plus que ce dernier compte une Direction des cultures urbaines. Mais il appartient aux acteurs du secteur de se structurer.
A l’image de la marque Phat farm qui continue son ascension avec des produits purement street wear. ‘’Il y a plusieurs ‘success story’ des entrepreneurs qui sont arrivés à s’imposer dans le milieu de la mode en général et en participer dans les plus grands fashion weeks au monde. On peut donner l’exemple de Carl Williams qui est devenu l’un des plus riches Afro-Américains en 1996, selon le magazine Forbes’’, a renseigné Pape Mamadou Camara dit Young.
‘’Ceci est dû au fait que les créateurs de vêtements urbains sont très inspirés, suivent les tendances et travaillent aussi en fonction de la demande du public. Par exemple, aujourd’hui cette tendance à porter des habits larges tend à disparaître. De nombreuses personnes laissent tomber les larges baggies, pour des pantalons plus serrés et des t-shirt à leur taille. Et les stylistes urbains suivent parfaitement cette nouvelle donne et adaptent leur création par rapport à cette demande, même pour les marques dites puristes comme Rocawear, two angle ou southpôle’’, a-t-il ajouté.
Au Sénégal, les stylistes urbains s’adaptent avec des imprimés de chefs religieux et cela passe bien auprès du public. ‘’Nos produits sont à la base d'un concept bien élaboré qui consiste à redonner aux jeunes une forte identité culturelle, leur proposer des modèles et références tels que Cheikh Ahmadou Bamba, El Hadji Malick Sy, Baye Niasse, El Hadj Omar, Limamou Laye, Cheikh Anta Diop’’, a conclu Nathan. Un secteur donc à devenir…
BIGUE BOB