"Le Pnud n’a pas pour vocation d’exécuter des programmes au Sénégal"
La décision du chef de l’Etat de confier l’exécution du programme d’urgence de développement communautaire (Pudc) au Pnud n’agrée pas le président du Conseil d’administration du Conseil des organisations non gouvernementales d’appui au développement (Congad). Dans cet entretien, Amacodou Diouf souligne que la structure des Nations unies n’est pas spécialiste du développement communautaire et n’a ni les moyens en ressources humaines ni ceux financiers pour mener ce programme.
Le président de la République a confié l’exécution du Programme d’urgence de développement communautaire au PNUD. Un choix que vous contestez. Pourquoi ?
On ne conteste pas un choix d’un président de la République, on donne notre avis par rapport à un choix qui a été fait. Peut-être que le Président ne disposait pas de tous les éléments pour pouvoir mieux apprécier la question. L’objectif est louable car il consiste à réaliser un programme aussi ambitieux. Malheureusement, dans la vie, quand il s’agit d’exécution de programmes de développement économique, on est souvent confronté à des difficultés de toute sorte afin de pouvoir prendre une décision qui pourrait créer un consensus.
Quand on travaille sur un programme de cette envergure, il est recommandé que ça fasse l’objet d’une concertation très élargie, en rapport avec les communautés qui doivent en bénéficier d’abord, mais aussi en rapport avec tous les acteurs du développement impliqués dans le développement communautaire. Le développement communautaire est tout à fait différent, du point de vue de la complexité, du programme global articulé par rapport à ces programmes de l’Etat du Sénégal, c’est-à-dire des choses que l’Etat peut articuler, en terme de programmes économiques ou en terme d’initiatives économiques. Le développement communautaire est l’ensemble de ces besoins à satisfaire des communautés à la base, au regard de leur dimension territoriale, au regard de leur complexité, au regard aussi de leur besoin sociologique. Et cela, ce sont les spécialistes qui doivent le faire.
Donc le choix du Pnud n’est pas approprié ?
On n’a pas trouvé le Pnud comme étant un spécialiste du développement communautaire. Nous pensons aujourd’hui que le Pnud devrait travailler sur les problèmes de stratégie de développement économique de notre pays. Le Pnud ne peut pas entrer dans la micro-économie ou l’économie communautaire ou l’économie populaire.
Ce n’est ni sa vocation, ni ses préoccupations majeures. Donc il n’y a pas un manque à gagner du Pnud en terme de contribution dans les efforts de réflexion sur les questions de développement économique. Le Pnud n’a pas pour vocation de s’attarder sur les questions de développement populaire. Là aussi, nous ne pensons pas que ça soit utile au regard de l’existence de structures mieux habilitées. La vocation du Programme des Nations unies pour le développement, c’est de renforcer les capacités des Etats, en mobilisant des ressources au profit de ces Etats, à suivre, à accompagner et à conseiller les Etats pour pouvoir effectivement prendre une direction de progrès économique, social et environnemental.
Selon vous, le président de la République devrait mener des concertations avant de faire son choix. Mais est-ce la bonne option face aux urgences de l’heure ?
Nous pensons qu’il était utile de réfléchir stratégiquement avec les acteurs en présence sur le terrain sur la mise en œuvre des programmes communautaires. C’est ça aussi la rupture de paradigmes. La rupture de paradigmes va jusqu’à la capacité de l’Etat à pouvoir évaluer, en réalité, les besoins en acteurs pour mener son développement ou à pouvoir les identifier, de pouvoir dire voilà les acteurs que je vais mobiliser pour booster le développement de mon pays. Si on ne peut pas identifier ces acteurs, il serait extrêmement difficile de traduire un programme d’urgence pour le développement communautaire en une réalité économique et sociale. Par voie de conséquence, nous avons dit qu’on n’est pas tenu de réaliser ça mais on est tenu d’être pris en compte dans la dimension réflexion comme aussi dans la dimension exécution s’il le faut.
Est-ce que les agences et autres structures présentes sur le terrain sont à la hauteur ?
L’Etat a créé des institutions et des agences pour l’exécution des programmes et projets au bénéfice des communautés. Je pense que nos gouvernants ont agi par le passé sans se référer au programme des Nations unies pour le développement. Pour des structures comme le Pnud, l’Etat gagnerait à faire l’évaluation de la contribution du Pnud dans la marche de ses programmes. Il y a plusieurs structures qui sont là, mieux habilitées que le Pnud. Donc, le Pnud ne peut pas être pris comme une simple structure qui va exécuter un programme de plusieurs milliards.
Il s’agit de l’argent du contribuable sénégalais. Et dans ce sens, nous pensons qu’il y a un travail d’évaluation à faire par rapport à ce que le Pnud a réalisé en termes de conduite de programmes ou de suivi de programmes. Le grand problème aujourd’hui réside dans le fait que le Pnud veut se substituer à des structures créées par l’Etat et qui ont la vocation de faire ce qu’on a demandé au Pnud de faire. Ça pose problème. Nous pensons qu’au Sénégal, il existe des structures de plus de 50 ans qui ont eu à travailler dans ce secteur du développement communautaire. Il y a des gens qui ont fait leurs preuves dans le cadre de la mise en œuvre de programmes, et avec des résultats probants.
Vous pensez donc que le Pnud n’est plus dans son rôle ?
Non du tout. Je ne pense pas que le rôle de facilitateur, le rôle d’accompagnement dans la direction du développement de notre pays doit s’assimiler à une exécution. C’est-à-dire que le Pnud se transforme en agence d’exécution de programmes. Je pense que c’est une première dans le monde. Nous allons saisir les communautés des autres pays avec lesquelles nous travaillons pour qu’elles nous disent leur expérience par rapport à cette question, parce que c’est du jamais vu en tout cas. Nous ne pensons pas que ça soit efficient, que ça puisse encourager tous les acteurs du développement qui tournent autour du développement communautaire.
Le programme d’urgence de développement communautaire (Pudc) est un programme extrêmement important, extrêmement positif, un programme qui peut être réalisé par des Sénégalais et avec des résultats satisfaisants. Mais est-ce qu’avec le Pnud, on peut avoir ces résultats ? Le Pnud n’a ni les moyens en ressources humaines, ni les moyens financiers pour le faire. S’ils avaient les moyens financiers, ils n’allaient pas solliciter l’argent de l’Etat. L’autre question qu’on se pose est de savoir si le personnel international, recruté par le Pnud, sera financé par l’argent du contribuable sénégalais alors que c’est une charge financière qui n’est pas dévolu au peuple sénégalais. C’est une question importante qu’on ne peut pas occulter. Il est temps de réfléchir davantage sur la mise en œuvre de ce programme.
Le président soutient avoir fait ce choix par souci de vouloir aller très vite dans la réalisation des projets…
Dans la science du management du projet, il ne s’agit pas d’aller vite ou d’aller loin. Non. Ça va à partir des principes de planification des activités du projet, selon un cycle bien indiqué, que tout agent d’exécution ou agence d’exécution devrait respecter. Que ça soit le Pnud ou toute autre structure, il y a un cycle qui est là, qui est défini par le projet et il doit s’exécuter par rapport à ça. C’est justement cette cadence qu’il faudra respecter. Et c’est valable pour toutes les structures et le Pnud ne saurait constituer une exception.
Mais il y a d’autres mécanismes de blocages comme les procédures de passation des marchés ?
Il n’y a aucun mécanisme de blocage quant au déroulement des activités de Pudc, selon le cycle qui lui a été donné. Dans ce cas précis, il y a tout un mécanisme de planification de projets qui est là. Je ne pense pas qu’on puisse avoir des difficultés dans ce sens. On peut accélérer avec ou sans le Pnud. Maintenant, l’Etat, c’est l’Etat. C’est lui qui a créé les mécanismes d’accélération ou de blocage ou de freinage. L’Etat n’a qu’à donner un peu de temps à sa propre ‘’personne ‘pour pouvoir mener une réflexion afin d’accélérer le processus. Cela n’a rien à voir avec le code des marchés publics. Les spécialistes dans ce pays ont réfléchi tout récemment pour apporter des modifications au code des marchés publics du Sénégal.
Dans ces modifications, l’élément le plus important a été la réduction des délais. Les analystes sont allés beaucoup plus en profondeur en disant que, quelque part, là où se pose le problème des délais, c’est un problème de comportement du facteur subjectif. Pourquoi les gens n’attaquent pas le facteur subjectif ? La force d’un Etat aussi, c’est dans sa capacité à pouvoir maîtriser son personnel, à pouvoir placer son personnel dans un dispositif de délais et dans le respect de ces délais. Les procédures ont été réduites et je suis convaincu qu’on peut aller beaucoup plus loin. Dans le cadre de la réalisation de projets, il y a d’autres mécanismes qui peuvent permettre à ce que le déroulement des décaissements se fasse rapidement. Il y a les procédures d’exception pour exécuter un projet.
Lors du lancement officiel du Pudc, le chef de l’Etat a même souligné que si le programme confié au Pnud marche et que les autres projets gérés par certains ministères et agences ne décollent pas, il va tout confier au Pnud. Quel commentaire cela vous inspire ?
Le président de la République est libre de confier une de ses prérogatives ou une de ses compétences à qui il veut. Ce qui nous intéresse dans cette affaire, c’est de voir comment ce projet peut aider le Sénégal. Et nous pensons être dans notre devoir de lui donner notre point de vue sur la question afin qu’il améliore sa décision. Nous avons toujours pensé que dans leur fonctionnement, les Etats qui ont prêté une oreille attentive à leurs experts, à leurs agents, à leurs populations, ont davantage le mieux gagné. Maintenant, je suis entièrement d’accord que la réalisation du Pudc se fasse sur la base d’une évaluation des performances de réalisation.
Il ne s’agit pas uniquement de décliner des indicateurs, on a fait tant de classes, tant de routes. Il faut aller au-delà, c’est-à-dire avoir des indicateurs courageux, perspicaces qui iront jusqu’à la qualité de la réalisation du programme. Libre au président de donner à qui il veut mais une chose est certaine : ce n’est ni la vocation, ni la mission du Pnud de venir exécuter des programmes au niveau du Sénégal. Par voie de conséquences, nous pensons que ce pays dispose de structures créées par l’Etat, de structures qui ne sont pas créées par l’Etat et qui ont fait leurs preuves dans le cadre de l’exécution de programmes 10 000 fois plus ambitieux que les 113 milliards de F Cfa du Pudc.
PAR ALIOU NGAMBY NDIAYE