Publié le 14 Jul 2015 - 13:37
CONCOURS GENERAL

Aucune distinction en Philosophie : réponse aux interpellations…

 

C’est  le hic cette année : aucun candidat n’a réussi à obtenir une moyenne supérieure à 12 /20 en philosophie pour prétendre à un prix au concours général.  La révélation est du ministre de l’éducation nationale, Serigne Mbaye Thiam, qui appréciait les résultats dudit concours, marqué cette année par la consécration de la maison d’éducation Mariama BA, arrivée en tête avec 18 prix et dont, une des lauréates, est la meilleure élève. Ce qui corrobore, encore une fois, la féminisation de l’excellence dans nos écoles.

Cette année, la cérémonie de remise des prix du concours général aura un hôte de marque, le professeur Souleymane Bachir Diagne, un ancien lauréat en philosophie du  concours. Agrégé de philosophie à l’âge de 22 ans, « Bachir » confiait le professeur feu Semou pathé Gueye, « est l’un de ces rares philosophes qui parle aussi bien qu’il écrit ». Nous, ses anciens étudiants, auraient bien voulu le voir remettre un cadeau, poser en photo avec un lauréat en philosophie, un bon profil, que malheureusement, mes collègues, parmi lesquels on compte des sociologues de formation, n’ont pas pu présenter.

Les professeurs de philosophie peuvent  bien répondre aux interpellations du ministre

Le ministre, en toute responsabilité, demande des comptes, des explications qu’il attend sûrement  des IGEN, des Inspecteurs  du moyen secondaire ou inspecteurs de spécialités de la discipline concernée, d’experts, seuls habilités ou autorisés, peut-être, à justifier cette contreperformance en philosophie. Seuls autorisés, parce que les enseignants craie en main, que nous sommes, n’avons pas souvent droit à la parole : nous sommes dans un système hiérarchisé où les adjoints, surtout ceux dans l’enseignement, s’expriment rarement, faute de tribune, où parce que leur statut leur interdit de réagir, de communiquer avec leur supérieur hiérarchique, de discuter de questions à portée pédagogique. On est habitué à attendre : on ne réplique pas, faites ce qu’on vous demande et voilà tout.

Tout le contraire de ce qu’on nous demande, pourtant, de faire dans les classes puisqu’en plaçant l’élève au centre du système éducatif, l’enseignant ne doit plus monopoliser la parole,  ni imposer dans sa classe une pensée toute faite sans une collaboration active de ses auditeurs ; il doit responsabiliser ses élèves, instaurer une aire de dialogue. C’est ce que rappelle Carl Rogers, dans un ouvrage au titre évocateur réédité régulièrement Liberté pour apprendre, qui considère que l’enseignant ne doit pas être un « maître à  penser mais un facilitateur d’enseignement ».

 Ce qui fait, surtout, défaut dans les rapports entre les enseignants et le corps de contrôle, puisqu’on continue de présenter l’inspecteur à tort ou à raison comme un briseur de carrière. On oublie, souvent, que le métier d’élève, le métier de professeur, le métier d’inspecteur se déterminent mutuellement. Rechercher, inventer, créer toutes les occasions d’une réelle communication est alors indispensable, surtout que les tenants de l’éducation, comme le pense Philippe Meirieu,  doivent préparer l’école aux mutations des sociétés contemporaines où il faut s’armer d’esprit critique pour s’adapter, « pour apprendre à affronter l’incertitude », une des finalités, aujourd’hui, de l’éducation qui manque le plus à l’enseignement selon Edgar Morin (Les Sept Savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Seuil, 2000).

 Dans un texte, le public et ses problèmes, issu d’une série de conférences prononcées en 1926, John Dewey s’efforce de renouer les liens sans lesquels la démocratie n’est qu’un vain mot, en mettant en garde contre le règne des experts. S’interrogeant sur ce qu’est la démocratie, Dewey écrit : que signifie la Démocratie ? Si ce n’est que l’individu doit avoir son mot à dire dans la détermination des conditions et des buts de son travail ; et que, en définitive, l’activité du monde s’accomplit mieux par une libre et mutuelle harmonisation entre des individus différents que par la planification et l’organisation de quelques uns si avisés et bien intentionnés soient-ils.

John Dewey, ce philosophe américain, le plus marquant de la première moitié du xx éme siècle, s’élevait contre les  réformateurs de l’école avec un pouvoir considérable de type autocratique. Il insistait beaucoup sur l’esprit démocratique qu’on doit cultiver non seulement dans nos écoles,  mais chez les adultes qui travaillent  pour l’école. La Démocratie, pensait- il, doit dépasser le cadre étroit de la politique pour s’étendre au lieu de travail

Les problèmes de l’enseignement de la philosophie expliquent la contreperformance au concours général

Les élèves  qui sont choisis au concours général, doivent être bien au dessus de la moyenne. Par exemple, un professeur de philosophie peut proposer un candidat sur la base de son évaluation, qui souvent, au premier semestre, peut se réduire à un texte suivi de questions parce qu’on aborde très tardivement la méthodologie de la dissertation ou du commentaire pour pouvoir donner un exercice digne de la réflexion et de l’analyse philosophiques. Le candidat choisi, quel que soit son niveau, a besoin d’être encadré, suivant un calendrier que le professeur définit avec lui après en avoir informé son administration ; des heures d’encadrement qui étaient payées sous forme d’heures supplémentaires aux professeurs encadreurs et qui ne le sont plus. 

Compte tenu de ces paramètres, on doit se poser un certain nombre de questions pour comprendre les résultats obtenus dans certains établissements dont la maison d’éducation Mariama Ba, le lycée Prytanée militaire et le lycée Limamoulaye, peloton de tête dans le classement ; les contreperformances  dans certains lycées de l’intérieur du pays, je pense au lycée Abdoulaye wade de Dagana, à celui de Aera Lao, au lycée Diatacounda, à celui de Bounkiling dont les élèves ne sont jamais cités parmi les lauréats. Des lycées où des professeurs sans expérience, souvent pas formés pour le métier, officient dans des conditions difficiles ; où les administrations n’ont pas accès à internet ; où, sans matériel informatique, ni de reprographie, les élèves  n’arrivent pas à imprimer ou photocopier les supports de cours ; des lycées où, on se contente d’une distinction en Education Physique et Sportive (EPS), comme c’est le cas cette année au lycée Ababacar Sy de Tivaouane.

Ces questions tournent pour l’essentiel, autour des conditions de travail, du profil et de la motivation des professeurs chargés de choisir et d’encadrer les candidats au concours général.

Il faut reconnaitre que nous avons un enseignement à N vitesses dans ce pays : au lycée prytanée militaire, à Limamoulaye, comme à la maison d’éducation Mariama Ba, les élèves reçoivent les enseignements- apprentissages de professeurs chevronnés, rompus à la tâche. Ce qui est loin d’être le cas au lycée de Thionkessyl ou de Tarédji  où le professeur qui tient la classe de philosophie est, peut-être, titulaire d’un diplôme spécial et à rejoint l’établissement au mois de janvier après que ses élèves sont restés 03 mois sans professeur de philosophie. Et souvent seul, sans pouvoir participer à une réunion d’animation pédagogique. Il faut déplorer, au passage, l’absence de dynamisme de ces cellules qui n’existent que de nom alors que c’est de la responsabilité des censeurs de veiller à leur tenue régulière et d’exiger des  PV de réunions. Un professeur qui ne sait pas ce qu’on attend de lui et comment il doit aider ses élèves à acquérir des compétences du philosopher dont parle Michel Tozzi : conceptualiser, problématiser, argumenter ; comment il peut partir de situations- problèmes ou du vécu des élèves pour installer des compétences : exercer l’esprit critique à l’égard des idées reçues et les pensées établies ; se décentrer de son point de vue et prendre du recul ; conduire une réflexion.

 Les griefs sont nombreux, la philosophie « bête noire des élèves », est la matière qui fait le plus échouer au Bac : si elle était la seule matière d’examen on se retrouverait avec moins de 05% de réussite. S’il en est ainsi, c’est parce que dans notre évaluation nous sommes très exigeants et   cherchons des compétences dans les copies des élèves alors que nous ne les avons pas installées durant nos pratiques de classe. Je ne suis pas pour le nivellement vers le bas, sous prétexte que nos élèves ont un niveau de plus en plus faible, mais nous avons notre part de responsabilité faute de bien évaluer.   

Il s’y ajoute que l’évaluation sommative a ses limites : comme le pensent les spécialistes de la docimologie, elle est une photographie qui prend justement l’élève à un moment donné sans permettre d’apprécier ses progrès dans la durée.

Le sujet proposé au concours général : La démocratie est un régime fragile par cela même qui fait  sa force  la liberté. Qu’en pensez –vous ?, est un sujet d’analyse, ouvert au vécu du citoyen qu’est le candidat. Sa prise en charge, pour obtenir au moins 12/20, la moyenne éligible au concours général, demande des compétences du philosopher qu’on n’arrive toujours pas à installer chez nos élèves, parce qu’on se contente de dérouler nos cours, de finir notre programme..

Des mesures incitatives dont le contrôle, la motivation et un bon management sont nécessaires

Nous reconnaissons que dans toute organisation, il faut un chef ; l’homme comme le pensait Kant est « un animal qui a besoin d’un maître » ; il a besoin d’être secoué, d’être rappelé à l’ordre. Le contrôle est nécessaire pour assurer la réalisation des objectifs : sans la  surveillance, les meilleurs d’entre nous se relâchent. Le docteur Abdou Karim Ndoye nous rappelait, lors de nos cours de psychopédagogie, que le contrôle reste une des fonctions pédagogiques  les plus essentielles, car « Il permet à l’enseignant de se remettre en cause ». Malheureusement, on a le regret de constater que cette fonction pédagogique est négligée dans nos écoles.  Pour la philosophie, le contrôle est quasi inexistant, faute de ressources humaines disponibles : les inspecteurs de spécialités sont en nombre très insuffisant, il n’y a pas plus de 05 inspecteurs de spécialités dans le pays, un ratio d’encadrement qui avoisine 1/80. Et  comme leurs homologues, les conseillers pédagogiques itinérants (CPI), ils n’ont pas les moyens pour faire leur mission, souvent sans véhicule pour se déplacer dans les rares académies où ils se trouvent.

Il faut, toutefois, saluer malgré les difficultés la décision de l’inspectrice d’Académie de Thiès qui a sommé les inspecteurs de spécialités de faire le tour des établissements pour contrôler les cahiers de textes qui sont souvent très mal tenus ou pas du tout tenus alors que c’est  le tableau de bord de la classe où doivent figurer toutes les activités du professeur. C’est un document administratif, régi par le décret 77.178 du 09 mars 1977 relatif au contrôle des connaissances dans l’enseignement moyen secondaire et technique, qui permet le contrôle et l’évaluation du travail de l’enseignant. Sa tenue régulière fait partie des obligations du professeur.

Nos comportements seraient motivés, pensent certains psychologues, par l’intérêt, la curiosité, les besoins humains, mais il y a des valeurs qui guident les actions humaines. Des gens qui se sentent investis d’une mission, rien que pour servir leur communauté, on en trouve encore à l’école. Je pense à des enseignants et chefs d’établissement engagés, qui malgré les difficultés, ne baissent jamais les bras : suivent des formations pointues pour enrichir leurs pratiques, montent sans cesse des projets innovants parce qu’ils croient à la promotion sociale par l’école. Il faudrait être un Péguy moderne pour décrire les nouveaux hussards de la République que sont devenus certains professeurs bénévoles qui ne comptent pas leurs heures supplémentaires ou les réclament, qui procèdent par tâtonnements successifs pour trouver la méthode pédagogique la mieux adaptée à chaque classe. Je pense à beaucoup d’enseignants que j’ai croisés, mais qu’on me permette de citer señora Djigel née Aissatou Ndour du lycée de Tivaouane, M. Idy Ba professeur d’anglais au lycée de Joal, M. Meissa Fall professeur de mathématique au lycée de Mbao, M. Mamadou Barry, professeur de français à khomboll, aujourd’hui, inspecteur de l’enseignement à Oussouye, Aissatou Léna Séne, devenue IGEN, des références qui savaient motiver leurs élèves.

On parle souvent de « l’effet maître » pour expliquer les performances des élèves, mais « l’effet chef d’établissement » est plus que déterminant. Qu’on me permette de citer, encore une fois, l’ancien proviseur du lycée de Limamoulaye, le doyen Souleymane Diop.  Le travail qu’il a abattu pour redorer le blason du lycée de Guédiawaye doit inspirer tous les chefs d’établissement tentés par une gestion solitaire et paternaliste: sa rigueur dans la gestion et son abnégation, sa confiance dans le « management par les valeurs », le respect que lui vouent élèves et professeurs    expliquent les performances du lycée au concours général depuis plusieurs années. Sa gestion très inspirée par le « managing by values », un management qui recourt à l’imaginaire religieux, qui détecte les talents et responsabilise les acteurs, rappelle une école gérée par ses vraies valeurs plutôt que gérée par ses mauvaises règles.

 Une sélection rigoureuse est faite chaque année, dans ce lycée de la banlieue, pour avoir les meilleurs profils ; un pool de professeurs disposé et motivé prend en charge l’encadrement des candidats, qui depuis la seconde, ont la tête  au concours général. Et ce, avec l’appui de l’administration qui met à leur disposition tous les moyens logistiques. Et c’est le moment de rappeler que les moyens sont nécessaires pour faire des résultats.

On ne comprend pas la réduction drastique des budgets des établissements publics alors qu’on veut des résultats. C’est le paradoxe, source d’incompréhension dans l’espace scolaire, que rappelle  l’inspecteur de l’éducation Masseye Sow, dans la revue Réussir l’éducation N°00, Mai 2014, lorsqu’il écrit : nous nous trouvons dans une situation paradoxale  où les chefs d’établissement sont placés devant une « obligation de résultat », tandis que les enseignants, eux, font face à « l’obligation de moyens » pour réussir les enseignements-apprentissages.

Bira SALL Professeur de Philosophie Au lycée Ababacar Sy de Tivaouane. Spécialiste Suivi Programme Petite Enfance.sallbira@yahoo.fr

 

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