Des audits ? Oui, et après...
Cela se sait donc depuis 2009 que les fossoyeurs des deniers publics contournent allègrement les rigueurs du Code des marchés publics en recourant fortement à la Demande de renseignement et de prix (DRP), nid de pratiques collusives, de simulations et de fractionnements... Or des sanctions tant disciplinaires que pénales, il n'y en a eu que peu aussi bien chez les autorités contractantes véreuses que de leurs complices attributaires de marchés. Il urge de sévir et sévèrement.
Passée la clameur d'indignations légitimes quant aux malversations sur les deniers publics, place aux conséquences à en tirer. Il est vrai que depuis l'entrée en matière de l'Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), en 2008, et la mise en place d'un Code de la commande publique plus ou moins contraignant, la mal gestion a baissé en intensité. Elle pourrait davantage être circonscrite si l'introduction de dispositions de contrôle en amont et de sanctions en aval suivaient le rythme d'adaptation des contractants véreux et de leurs ''clients'' complices.
Car il ressort des derniers rapports de l'audit 2010 publiés la semaine dernière que ceux-ci, ayant de plus en plus de mal à prévariquer en rond, s'avisent d'exploiter au mieux les failles du système. Il en est ainsi du recours inconsidéré mais intéressé aux fractionnements des marchés dont rend compte l'usage abusif de la Demande de renseignement et de prix (DRP). C'est ce que déplore, entre autres auditeurs mandatés, le groupe BSC (Business system consulting) attributaire du lot 3 de 27 entités à auditer.
Réforme de la DRP
La DRP reste ''le mode de passation des marchés privilégié en nombre (71,62%) bien que représentant une faible valeur (11,44%) comparée aux appels d’offres ouverts (53,42%), aux appels d’offres restreints (13,78%) et aux ententes directes (10,84%)'', souligne le rapport de synthèse du cabinet. Lequel martèle que ''la mise en œuvre de cette procédure de DRP est, comme en 2009, fortement marquée par des pratiques collusives, des simulations et des fractionnements de commandes qui nous conduisent à recommander la réforme de ce mode de passation, sous une forme pouvant assurer davantage de transparence''.
Le manque de transparence est surtout perceptible dans la constitution des listes restreintes, ajoute l'auditeur, relevant au niveau de plusieurs autorités contractantes ''la récurrence de la consultation conjointe des mêmes groupes d’entreprises, à une ou deux variantes près, sur plusieurs DRP de natures différentes avec presque toujours les mêmes attributaires'', ainsi qu'une ''utilisation frauduleuse des mêmes numéros d’identification fiscale (NINEA) et des mêmes numéros de registre de commerce par des 'entreprises' ayant des dénominations sociales différentes''.
Cela se sait donc depuis 2009 ; qu'ont fait les autorités pour y remédier ? Pas grand-chose. Mais à la décharge de l'ARMP, de la Direction centrale des marchés publics (DCMP) et des responsables du Ministère de l'Économie et des Finances, il y avait un certain président Abdoulaye Wade, et son Premier ministre, Souleymane Ndéné Ndiaye, qui avaient le don de refréner l'ardeur des militants de la bonne gouvernance. Ainsi de leur décret de septembre 2011, véritable attentat à la bonne gestion qui permit bien des forfaitures dont rendra compte l'audit 2011. Aujourd'hui que nous semblons débarrassés du système wadien de prédation des biens publics, il est plus qu'urgent de remettre les choses en l'état.
Le BSC donne des indications pour cela. ''Si toutefois ce mode de passation des marchés [DRP] est maintenu dans le dispositif national de passation des marchés, l’obligation de faire une large publicité avec des critères de présélection plus rigoureux doit être instituée pour assurer une plus grande transparence des procédures de DRP et éviter que le clientélisme ne soit érigé en règle de gestion''. Et ce ne serait pas diable, à en croire l'évaluateur : ''Nous avons noté avec satisfaction que certaines Autorités contractantes comme l’Hôpital Principal de Dakar, le Centre hospitalier national des enfants Albert Royer ou l’Hôpital Aristide Le Dantec publient dans les journaux leurs DRP dans le souci de se prémunir contre les nombreux dysfonctionnements notés lors de la mise en œuvre de nos travaux de vérification de la procédure de DRP.''
Il s'agit également de recadrer la disposition sur les cas ''d'urgence'' assimilés au ''secret'' et boulevard vers l'entente directe, tant galvaudée par Souleymane Ndéné Ndiaye et ses ministres de l'Intérieur (Ousmane Ngom) et de la Défense (Bécaye Diop). Cela a pu être constaté dans le recours, ''non justifié'' aux yeux de l'auditeur, à la procédure d’Appels d’offres restreints (AOR) sous prétexte de l’urgence alors qu’en définitive ''les procédures se sont étalées sur une période allant de 3 à 7 mois au Ministère des Forces Armées.
Itou, au Ministère de l’Intérieur, sous la gestion d'Ousmane Ngom. ''Dans le cadre de la mise en œuvre du Plan ORSEC (il) avait (été) formulé le 28 mai 2010, une demande d’autorisation de passer plusieurs marchés par AOR, demande à laquelle la DCMP avait accédé par courrier en date du 03 juin 2010. Quatre mois plus tard, ces marchés n’avaient toujours pas été lancés, mettant en cause l’urgence qui avait été invoquée pour motiver la requête. De surcroît, ce sont ces mêmes acquisitions qui ont fait l’objet, le 15 octobre 2010, d’une nouvelle demande d’autorisation de contracter par [entente directe]..., soit un mois après la modification du CMP [Code des marchés publics] dans sa partie relative aux ED''. En somme, ''la non pertinence du motif de l’urgence invoquée '' est manifeste.
Vivement des sanctions disciplinaires et pénales corsées !
Par ailleurs, qu'advient-il des autorités contractantes qui font de la restriction ou rétention d'information quand elles sont sollicitées par les auditeurs? BSC rapporte que pour l’Hôpital régional de Ziguinchor, ''les contrôles sur pièces ont finalement été faits sur la base des premières informations transmises tardivement (deux requêtes ont été faites les 5 et 26 janvier 2012 et les informations n’ont été transmises que le 2 mai 2012, soit quatre mois après la première requête ; une requête d’informations complémentaires en date du 2 mai 2012 est à ce jour restée sans suite).
Les travaux sur site n’ont par conséquent pas encore été effectués en raison des difficultés rencontrées pour obtenir les informations demandées et subséquemment planifier notre intervention dans les délais souhaités''. Il y a lieu de prendre des sanctions suffisamment dissuasives contre cette mauvaise volonté préjudiciable à la bonne gouvernance. Tout comme il faille décourager les entreprises privés tentées de complicité, en toute connaissance de cause, d'entorses dans la passation des marchés publics. S'il est de bien entendu que le corrompu soit puni au même titre que le corrupteur, il est de bon sens par ailleurs que les attributaires de marchés passés en violation de la règle soient châtiés de sorte à dissuader toutes tentatives de complicité.
Il est vrai que la justice sous Macky Sall a initié, dans le cadre de la traque des biens mal acquis, des procédures pour entendre, peut-être juger, des gestionnaires mises en cause. Il y a de l'espoir.
MAMADOU LAMINE BADJI