Publié le 26 Jul 2020 - 02:04
AISSATOU SY SOW, PROVISEUR DU LYCEE LAMINE GUEYE

 ‘’Il y a des élèves qui, durant ces périodes de menstrues, ne viennent pas à l’école…’’

 

Les périodes de menstrues ne sont pas toujours prises en compte dans les établissements scolaires.  Et pour certaines filles, ce sont des heures de cours perdues à cause de ces règles douloureuses qui sont souvent minimisées par l’administration.  Proviseur du lycée Lamine Guèye et ancienne censeur du lycée Kennedy pendant six ans, Mme Aïssatou Sy Sow reconnait d’ailleurs, dans cet entretien, que des dispositifs d’accompagnement ne sont pas toujours prévus pour assister ces filles, en ces périodes difficiles. Ce qui provoque ainsi des absences et une baisse de performance.

 

Comment gérez-vous le cas des filles qui souffrent de règles douloureuses dans les établissements scolaires ?

Les règles douloureuses sont considérées comme une maladie ou une indisponibilité. De façon générale, en ce qui concerne les menstrues, il y a un dispositif qui consiste à aider les filles en garnitures, chaque fois qu’elles ont ce problème. Elles vont à la surveillance pour s’en procurer. Tous les établissements sont censés avoir une infirmerie. Le premier réflexe est d’y orienter l’élève avec un billet délivré par la surveillance. Il revient à l’infirmier, qui est la personne assermentée, de définir la possibilité de l’élève de continuer son cours ou avoir un repos médical. Si l’avis médical opte pour que celle-ci rentre, du coup, c’est une couverture. Quand elle rate une évaluation, l’absence est justifiée. Soit on lui fait un rattrapage, soit on la marque comme absente au devoir, mais avec une absence justifiée. 

Est-ce que les menstrues ne sont pas la cause d’absentéismes fréquents ?

Généralement, les absences sont dues au fait qu’il n’y a aucun dispositif pour protéger la fille et surtout l’accompagner durant ces périodes. Nous avons souvent des élèves qui sont des cas sociaux et viennent de milieux assez défavorisés, dont le parent n’achète pas de serviettes hygiéniques. Quand j’étais censeur au lycée Kennedy, j’étais très sensible par rapport à cela. Nous avions des dotations en serviettes hygiéniques qui nous venaient de nos partenaires ou qu’on achetait également avec les fonds de l’établissement. C’est ce que j’ai reproduit au lycée Lamine Guèye.

Vous savez, dans la gestion, souvent, il y a des questions purement intimes de femmes que nous appelons des questions de genre et, souvent, les hommes n’y prêtent pas attention, parce qu’ils ne connaissent pas ces réalités.

Ce sont souvent dans les établissements gérés par des femmes où on a des surveillantes générales assez averties qu’on a ce dispositif-là. Il y a des élèves qui, durant ces périodes de menstrues, ne viennent pas à l’école, parce que, souvent, elles ont un problème de protection ou ont peur que cela tâche leurs habits. Quand elles sentent qu’il y a un accompagnement et que la sécurité est garantie, elles viennent en cours. Les gens ne sont pas trop regardants sur ces questions, mais il est important, aujourd’hui, de mettre en place les observatoires de veille et de lutte contre la déperdition scolaire (OVDS). C’est comme des centres d’écoute. Chez nous, on a une surveillante générale et une prof qui sont désignées pour être un peu comme des assistantes sociales. C’est surtout valable pour les filles.

Est-ce que les menstrues peuvent être source d’abandon scolaire ?

Non ! C’est seulement source d’absentéisme, si aucun dispositif n’est mis en place pour l’accompagnement. Dans les infirmeries, on garde des médicaments qui permettent de gérer ces douleurs afin de permettre à ces filles de poursuivre les cours. La fille qui n’a pas la possibilité de se procurer ce médicament peut le trouver sur place. Les règles douloureuses sont spécifiques à certaines, elles ne sont pas générales.

Ces dispositifs sont-ils présents dans tous les établissements scolaires ?

Dans le privé, par exemple, ils n’ont pas ce dispositif. Je cordonne l’Amicale des chefs d’établissements du public de Dakar. Nous avons une idée de ce qui se passe, parce que nous discutons de tous les problèmes. Tout cela participe à relever les performances d’un établissement. Il y a énormément de cas sociaux, des élèves qui ne vivent même pas avec leurs parents qu’il faut encadrer et être sûr de leur maintien à l’école. Dans cette politique de maintien des filles, dans les inspections d’académie, jusqu’aux inspections de l’éducation et de la formation, les gens se tuent pour mettre en place ce dispositif-là. Souvent, cela n’arrive pas toujours sur le terrain.

Il faut dire également que les commandes vont vers les établissements du public et non du privé. Vous pourrez trouver cela à Mariama Ba, Martin Luther King…

Est-ce que ces politiques ne ciblent pas uniquement les établissements scolaires publics pour filles au détriment des lycées mixtes ?

Effectivement, quand je suis venue à Lamine Guèye, je n’ai pas trouvé ce dispositif et c’est moi qui ai inclus l’achat des serviettes hygiéniques dans le budget pour mettre les filles à l’aise. Un enseignant est toujours un assistant social, car vous êtes en contact direct avec les élèves. C’est également au chef d’établissement d’orienter, d’être vigilant. C’est une spécificité de genre et le genre n’est pas pris en compte dans les établissements.

Aujourd’hui, c’est une commande de prendre en charge ces notions de genre, mais les gens ne prêtent pas trop attention. Maintenant, au niveau du ministère, il y a tout un dispositif de maintien des filles à l’école et nous les dames sommes plus sensibles à cela que les hommes.

Est-ce que vous avez eu à rencontrer des filles qui ont subi des baisses de performance avec l’apparition des règles ?

En classe de 6e, jusqu’en 4e, vous voyez les moyennes qui sont fortes, elles peuvent facilement être à 16, 17. Mais quand vous suivez ces filles, plus elles montent, plus les performances diminuent et ça c’est presque général. La réponse à ces contreperformances est souvent liée à la puberté, au début des règles. Est-ce que l’enfant est suffisamment rassurée pour gérer cette phase de changement ? Généralement, ce n’est pas toujours le cas, parce que les parents ne sont pas assez avertis ou n’accordent pas trop d’importance. Et dans certaines sociétés, c’est un sujet tabou, donc lié à leur culture. Ce qui nous aidait, ce sont les cours d’économie familiale. Toutes les filles le font et au lycée Kennedy, on avait mis les garde-fous très tôt. A partir de la classe de 5e, on les sensibilise, on leur explique comment se protéger, on met l’accent sur la reproduction, sur la sexualité. Le cours est enseigné par une dame. On mettait en place tout un dispositif pour éduquer les filles et c’est un cours qu’elles adorent, parce que c’est une découverte et ça règle le problème.  

Quelles sont les mesures d’accompagnement qui sont mises en place, dans ces cas ?

Nous avons des filles qui sont de condition sociale modeste. Il faut un accompagnement social, dans tous les établissements. Aujourd’hui, il faut avoir une ligne sociale adaptée aux nécessiteux. En période de menstrues, les filles perdent du sang ; il faut un renfort en alimentation. Pour une adolescente, c’est assez sensible et souvent ça la handicape. Certaines ne mangent pas bien, il y a beaucoup d’anémiées. En plus de la douleur ressentie et de la perte de sang, elles ne mangent que du pain, en retour. Ce qui n’a aucune valeur nutritive. Comme mesures d’accompagnement, on a décidé, avec le ministère de la Santé, de doter les élèves en fer. Une fois dans la semaine, on donne un comprimé aux élèves et la priorité a été accordée aux filles.

HABIBATOU TRAORE

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