Plus de 45 milliards F CFA de gains additionnels au PIB par an attendus
Si 50 % des travailleurs temporaires sénégalais étaient payés via un compte bancaire ou mobile, cela ajouterait plus de 45 milliards de francs CFA additionnels au produit intérieur brut (PIB) par an. C’est ce que révèle le rapport intitulé ‘’Numérisation du paiement des travailleurs pour la relance économique et le travail décent : exemple du Sénégal’’, transmis hier à ‘’EnQuête’’.
Au Sénégal, 9 travailleurs sur 10 sont payés en espèces et sont exclus de toute assurance-maladie. Ce sont surtout des temporaires. Cette situation offre de ‘’réelles opportunités’’ d’innovation financière et d’inclusion sociale.
En effet, 77 % des travailleurs temporaires interrogés seraient prêts à accepter des paiements électroniques, si cela leur donnait accès à une assurance-maladie ou d’autres services à forte valeur ajoutée.
C’est un des constats majeurs de la publication lancée dimanche par le Sénégal, avec le soutien de Better Than Cash Alliance (Nations Unies), la Banque mondiale et l’Agence nationale des statistiques et de la démographie (ANSD). ‘’Le paiement électronique stimule la production et la consommation à l’échelle nationale. Par exemple, si 50 % des temporaires sénégalais étaient payés sur un compte bancaire ou mobile, cela ajouterait plus de 45 milliards de francs CFA additionnels au produit intérieur brut (PIB) par an. Le paiement électronique des travailleurs ouvre des perspectives supplémentaires dans de nombreux domaines. Il accélère l’inclusion digitale et financière de la population, accroît la compétitivité pour les entreprises, augmente la liquidité pour le système financier’’, révèle le document transmis hier à ‘’EnQuête’’.
Afin de débloquer l’ensemble de ces potentiels, la même source informe que l’Agence de développement des PME (ADPME) va renforcer son fonds d’appui aux petites et moyennes entreprises (PME). Ceci, grâce à un apport additionnel de la Banque mondiale d’environ 11 milliards de francs CFA. Des fonds visent à renforcer les initiatives de numérisation des PME, y compris pour soutenir leurs projets de paiement électronique des travailleurs. ‘’La digitalisation des paiements des travailleurs formels et informels offre une réelle opportunité de développement inclusif. Ses effets sont bénéfiques pour tous ces protagonistes, tant au niveau social, économique que financier. La digitalisation des salaires permet également une meilleure protection sociale, en particulier pour les femmes employées dans les chaines de valeur des entreprises. Elle nécessite l’implication de l’ensemble des acteurs de l’écosystème, afin que cette transition se fasse de manière responsable et durable’’, lit-on dans le rapport.
Numériser les paiements et faire progresser la CMU
Si recevoir un salaire est souvent synonyme de cotisations à une assurance-maladie, à l’échelle mondiale, au moins 61 % des travailleurs sont dans l’informel sans aucune assurance adéquate, d’après l’Organisation internationale du travail (OIT).
En effet, en fonction des pays, la même source renseigne qu’il n’existe pas toujours d’obligation légale pour que les employeurs cotisent à une quelconque assurance pour leurs travailleurs informels non-salariés. Une situation dont les femmes souffrent plus que les hommes. ‘’Pour relever ce challenge d’inclusion, l’Agence nationale de la Couverture maladie universelle du Sénégal a déployé une ambitieuse plateforme de paiements digitaux. Elle a noué des partenariats avec des fintechs et les entreprises privées, pour associer l’accès à la Couverture maladie universelle (CMU) aux paiements numériques, avec un ciblage spécifique pour les femmes. Des champions nationaux comme le géant agricole Sodagri ou encore les PME Qualiocean et Kossam SDE montrent l’exemple, par l’enrôlement de leurs travailleurs temporaires à la CMU. Ce sont ainsi plus de 200 000 travailleurs qui accéderont désormais à des soins de santé de qualité subventionnés par l’État sénégalais’’, informe le rapport.
Si 81 % des entreprises nationales ont moins de 20 salariés, il est souligné qu’elles emploient en moyenne des centaines, voire des milliers de travailleurs temporaires dans leurs chaines d’approvisionnement. Les salariés sont généralement bancarisés, mais 93 % des contrats précaires sont payés en espèces. Ce sont ces derniers qui sont systématiquement exclus du système de santé formel.
Réussir le pari de la transition aux paiements électroniques
Cependant, trois obstacles limitent, selon le document, la numérisation des paiements en Afrique. Il s’agit, d’abord, de la taille du secteur informel pouvant atteindre 90 % de l’économie, le taux d’inclusion financière historiquement faible et, surtout, le fait que 21 % des travailleurs africains touchent une paie qui les maintient sous le seuil de pauvreté. Tout cela a fortement évolué. L’inclusion financière a bondi depuis 2010, avec l’arrivée des émetteurs de monnaies électroniques et les fintechs. La Compagnie sucrière sénégalaise (CSS), premier employeur privé du pays, a réussi le pari de numériser les paiements de près de 8 000 travailleurs, grâce à un partenariat avec des fintechs locales. Il avait également indiqué : ‘’Pour les employeurs, les avantages sont d’éviter les contraintes relatives à la gestion de quantités importantes de cash, ainsi que toutes les dérives qui peuvent se greffer à sa distribution. De plus, cela permet d’offrir aux employés concernés des outils adaptés à leur situation financière et familiale, ce qui ne peut qu’avoir des répercussions positives sur leurs vies personnelle et professionnelle.’’
Et les auteurs de ce rapport estiment que les innovations de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) devraient continuer à inspirer le reste de l’Afrique. Depuis 2012, elle est la locomotive du continent, en matière de croissance et de stabilité économique. Les exemples du Sénégal et de ses voisins renforcent l’agenda global de l’OIT qui pourrait bien faire des paiements électroniques des travailleurs un nouveau standard mondial pour la promotion du travail décent. Le président Macky Sall et la reine Máxima des Pays-Bas, en qualité de mandataire spéciale du secrétaire général des Nations Unies pour la promotion de services financiers accessibles à tous qui favorisent le développement (UNSGSA), ont lancé un appel à leurs pairs, au secteur privé et la société civile, en les invitant, dans leur avant-propos, à ‘’utiliser ce rapport pour garantir que les paiements numériques soient au centre d’une reprise durable et équitable’’.
MARIAMA DIEME