Publié le 28 Aug 2012 - 19:32
EXÉCUTION DE NEUF (9) CONDAMNÉS À MORT EN GAMBIE

Jammeh appuie sur la gâchette

 

Il l'avait promis, il l'a fait. Le dictateur de Banjul, roi ubu dans son périmètre national, est passé à l'acte en exécutant neuf condamnés à mort dont une Sénégalaise, Tabara Samba.

 

Neuf suppliciés dont une Sénégalaise ont été fusillés dimanche dernier en Gambie. Les uns, trois militaires, étaient en détention depuis 1998 à la sinistre prison de Mile 2. Ce sont l'ancien lieutenant Lamin Jarjou et les ex-sergents Alieu Bah et Lamin Jammeh. Tous trois avaient été jugés pour plusieurs chefs d'accusation, dont trahison et assassinat et condamnés à mort. La Sénégalaise Tabara Samba, elle, avait été jugée et condamnée à mort en septembre 2007 pour avoir tué son mari parce que ce dernier avait pris une seconde épouse. 35 prisonniers sont toujours dans le couloir de la mort, à la sinistre prison de Mile 2.

 

Les appels à la clémence, venus de tous bords, n'ont pas fait plier le président Yaya Jammeh: Yayi Boni, président en exercice de l'Union africaine, avait envoyé son ministre des Affaires Etrangères auprès du dictateur dans son antre de Kanilaï, plaider la cause des condamnés à la potence. En vain.

 

Mme Catherine Ashton, chef de la diplomatie de l'Union européenne, en réaction à l'annonce par Yaya Jammeh lui-même, le 20 août dernier, de la reprise des exécutions, avait laissé planer la menace d’une réaction «idoine». Celle-ci pourrait prendre la forme de l’interdiction de séjour en Europe du président gambien et de ses proches, mais des sanctions économiques sont également envisageables. Atteint d'une paranoïa hors normes, l'ancien putschiste, cinq fois réélu à la tête de son pays, a poussé le cynisme jusqu'à annoncer les exécutions le jour de la Korité.

 

Enveloppé dans une sorte de messianisme, il convoque le combat contre le mal en terrorisant. Comment définir cette personnalité ? Il est militaire de formation, auteur d'un coup d'Etat contre le vieux président Daouda Jawara (trois de ses principaux compagnons lors de cette équipée ne sont plus de ce monde) ; il est devenu un «guérisseur», déclarant à la face du monde qu'il pouvait soigner les malades atteints du Sida. Récemment, il avait forcé une dizaine de femmes à boire un breuvage au motif qu'elles étaient des sorcières anthropophages ; elles sont toutes passées de vie à trépas.

 

Toutes proportions gardées, dans sa violence comme mode de gestion du pouvoir, c'est un mélange de Sékou Touré avec une «complotite» permanente, mais la légitimité historique et la culture politique en moins ; de Bokassa anglophone mais la forte présence de l'ancienne puissance coloniale en moins ; et de Samuel Doe, l'ancien président-sbire du Liberia, mort dans d'horribles conditions. Avec son NIA (sa police politique), il tient son pays d'une main de fer. Mais qui se soucie seulement de la Gambie ? Qui devrait plutôt se soucier de son principal voisin ? Le contraste est saisissant, voire fascinant, entre un Sénégal démocratique basé sur un État de Droit (du moins en construction avancée) et une Gambie, encore au Moyen-âge dans le domaine des droits de l'Homme et de la démocratie.

 

Mais qui est le voisin de la Gambie ?

 

Le ton du communiqué de son Ministère de l'Intérieur renseigne que ce sont des messages forts qui sont lancés par le régime de Banjul, au-delà du sort des pauvres fusillés. Ils sont destinés à la communauté internationale, surtout à la forte opposition en exil. La mise à mort de dimanche dernier a été froidement calculée. Cela dépasse les opinions individuelles sur la peine de mort. Il s'agit de «souveraineté», de la défense de la vie des honnêtes citoyens, de la défense des Institutions, de la lutte contre le trafic de drogue, selon le ministre gambien de l'Intérieur.

 

Yaya Jammeh ne peut plus gouverner que par la terreur. La liste de ses victimes est longue, mais personne ne s'intéresse au sort de l'ancienne colonie britannique. Des explications à ce subit accès de désirs morbides pourraient être sa perte d'influence dans le dossier casamançais, la chute de Kadhafi, le crépuscule des dictatures, la claire conscience qu'il ne pourra plus dormir tranquille, et, surtout, le sentiment que tout le monde veut lui faire la peau. Ainsi vivent les grands dictateurs.

 

Aujourd'hui, Yaya Jammeh a fait de la Gambie un pays dirigé par un régime ubuesque et sanglant. Le fait de l'enclave dans le Sénégal est sans doute traumatisante et hérisse naturellement les poils identitaires dans l'ancienne colonie de la Couronne britannique. Il y a un nouveau pouvoir au Sénégal. Le président Wade n'est plus aux commandes et son successeur a réservé sa première sortie à l'étranger à Banjul. Yaya Jammeh a sans doute compris que rien ne sera plus comme avant. Mais dans quel sens ?

 

Dans tous les cas, manière ne pouvait être plus brutale de marquer son territoire, comme un animal qui urine un peu partout dans les bosquets alentours, afin de dire aux voisins qu'on règne en maître sur son sol. Mais qui sont les voisins de la Gambie ? Qui est le voisin de la Gambie ?

 

ABDOU MBAYE

 

 

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