Publié le 29 Jun 2024 - 15:16
DÉCLARATION DE POLITIQUE GÉNÉRALE, DISSOLUTION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

La guerre des tranchées à l’ombre des législatives anticipées

 

La polémique autour de la tenue de la déclaration de politique générale du Premier ministre a été aussi marquée par la radicalisation des positions entre les tenants du pouvoir et l’opposition. Les partisans d’Ousmane Sonko indexent des dysfonctionnements au niveau de l’Assemblée nationale considérée comme illégitime par Aminata Touré. De leur côté, les députés de Benno entendent mettre en place une loi qui va abroger l’article 87 permettant au président de dissoudre le Parlement. 

 

La polémique autour de la déclaration de politique générale continue de défrayer la chronique. En effet, les opposants du parti Pastef indiquent que le Premier ministre Ousmane Sonko craint de se présenter devant la représentation nationale, dans la mesure où ce dernier ne dispose pas d’un programme solide, selon Samba Sy.

Pour le secrétaire général du Parti de l’indépendance et le travail (PIT), ‘’il est curieux que ce soient des membres de l'Assemblée nationale qui plaident et dédouanent l'Exécutif de son devoir de se présenter à l'Assemblée nationale. C'est une curiosité. Je pense que la vérité, c'est que le Premier ministre Ousmane Sonko n'est pas prêt pour sa déclaration de politique générale. Vous savez qu'il a été demandé aux collaborateurs et membres du gouvernement de donner des contributions pour cette fameuse déclaration de politique générale. Vous savez qu'à chaque Conseil des ministres, il a été question de cette déclaration de politique générale. Or, à la clôture de l'Assemblée nationale, il n'y a pas de déclaration de politique générale et il n'y en aura pas à la date prévue, car ce gouvernement n'est pas encore prêt’’, a déclaré l’ancien ministre du Travail, du Dialogue social et des Relations avec les institutions sous Macky Sall. 

Sur ce, beaucoup d’autres opposants lui ont emboîté le pas pour réclamer la tenue avant les 100 jours de la déclaration de politique générale en respect de la jurisprudence Amadou Ba.

Ce dernier s’était plié à cet exercice, moins de trois mois après sa nomination comme Premier ministre par l’ancien président Macky Sall, en décembre 2023.

La plupart des détracteurs du chef du gouvernement l’accusent de violer la Constitution, notamment l’article 55 qui indique : ‘’Après sa nomination, le Premier ministre fait sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Cette déclaration est suivie d’un débat qui peut, à la demande du Premier ministre, donner lieu à un vote de confiance ou à une motion de censure.’’ 

Pour Meissa Diakhaté, agrégé en droit, l’adoption de la loi n°2019-14 du 28 octobre 2019 modifiant et complétant la loi organique n°2002-20 du 15 mai 2002 portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale a abrogé un certain nombre de dispositions et articles qui n’engagent plus la responsabilité du Premier ministre devant le Parlement. D'autant plus que la Constitution ne spécifie aucune date pour la tenue de la déclaration de politique générale (DPG) du Premier ministre.

Face à cette levée de boucliers des politiques et certains membres de la société civile, le Premier ministre a tenu à réagir sur sa page Facebook. Dans une réponse à une interpellation du député Guy Marius Sagna, Ousmane Sonko se refuse à céder à toute forme de crainte. ‘’Je vous réitère toute mon impatience à tenir cet exercice de présentation des grands axes des politiques publiques et de l’action du gouvernement suivant les orientations du président de la République. L’article 55 de la Constitution oblige le Premier ministre à faire sa déclaration de politique générale (DPG) devant l’Assemblée nationale sans préciser les délais et la procédure qui relèvent du règlement intérieur de l’Assemblée nationale (loi organique n°2002-20 du 15 mai 2002 modifiée). Les dispositions du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, qui fixaient les délais et la procédure de la déclaration de politique générale ainsi que toutes références au Premier ministre, ont été abrogées de la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale depuis 2019, suite à la suppression du poste de Premier ministre (loi organique n°2019-14’’, souligne d’abord le chef du gouvernement. 

Poursuivant son propos, le président de Pastef être prêt à tenir ‘’la déclaration de politique générale devant cette Assemblée, qu'une fois que la majorité parlementaire se sera amendée en inscrivant dans le règlement intérieur l’ensemble des dispositions relatives au Premier ministre’’.

Toutefois, l’ancien maire de Ziguinchor ne s’interdit pas de la tenir en dehors de l’hémicycle. ‘’En cas de carence de l’Assemblée, d’ici le 15 juillet 2024, je tiendrai ma déclaration de politique générale devant une assemblée constituée du peuple sénégalais souverain, de partenaires du Sénégal et d'un jury composé d’universitaires, d’intellectuels et d’acteurs citoyens apolitiques. Ce sera l’occasion d’un débat libre, ouvert et, à coup sûr, de qualité largement supérieure’’, prévient-il. 

Cette déclaration a déclenché la réaction de Thierno Bocoum qui précise qu’une déclaration de politique générale en dehors de l’Assemblée nationale serait un précédent dangereux et une atteinte grave aux institutions de la République.

Les manquements dans le règlement intérieur de l’Assemblée nationale

Ce questionnement autour de la DPG et sa tenue dans un “délai raisonnable” pose aussi la problématique du bon fonctionnement de l’Assemblée nationale.

D’après le constitutionnaliste Ngouda Mboup, l’adoption du règlement intérieur de l’Assemblée nationale est loin d'être en phase avec la charte fondamentale du pays. ‘’La loi organique doit être adoptée à la majorité absolue des députés composant l'Assemblée nationale (au moins le vote favorable de 83 députés - voir article 78 alinéa 1 de la Constitution).  Elle doit être adoptée à la majorité absolue des députés composant l'Assemblée nationale. Après son adoption, elle est obligatoirement transmise au Conseil constitutionnel qui doit la contrôler et se prononcer sur sa conformité à la Constitution (article 78, alinéa 2 de la Constitution). Toutes ces étapes n'ont pas été respectées avant la distribution du faux règlement intérieur aux députés. L'Assemblée nationale est tenue de respecter les lois de la République au même titre que toutes les autres institutions’’, affirme le juriste. 

Dans la même veine, Mamadou Lamine Diallo de Tekki vole au secours de Sonko. ‘’Cette affaire resurgit près de deux ans après. Cela montre à suffisance la nécessité d’une refondation de l’Institution Assemblée nationale. Que le Premier ministre Ousmane Sonko ne veuille pas suivre le forcing d’Amadou Ba, je le comprends tout à fait. Si d’ici de 14 juillet 2024, le Parlement ne corrige pas le règlement intérieur, je porterai l’affaire devant les tribunaux’’, affirme le député. 

Ce dernier avait saisi le président de l’Assemblée nationale à travers une correspondance datée du 11 novembre 2022. Il demandait au président Amadou Mame Diop de retirer le document intitulé ‘’Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, édition juillet 2021’’.

Mimi Touré-Babacar Gaye : pertinence sur l’idée de la dissolution de l’Assemblée nationale 

Cette polémique autour de la déclaration de politique générale d’Ousmane Sonko a aussi été marquée par de vifs échanges entre Aminata Touré et les opposants au régime de Bassirou Diomaye Faye. L’ancienne Première ministre a posé la question de la légitimité de l’Assemblée nationale, avant d'évoquer la possibilité de sa dissolution, parce qu’elle ne reflète plus la volonté populaire.

‘’L’actuelle Assemblée nationale ne reflète en rien la volonté populaire exprimée le 24 mars dernier. Le candidat de la coalition Benno Bokk Yaakaar artificiellement majoritaire à l’Assemblée nationale a été battu dès le 1er tour en ne récoltant que 35 % des suffrages. Pourquoi le Premier ministre devrait présenter une déclaration de politique générale devant une Assemblée nationale qui n’a plus aucune légitimité ?’’, s’interroge-t-elle, avant d’ajouter : ‘’La volonté de changement des Sénégalais a été nette et franche en élisant le président à 54 %.  Donc, que l’on aille résolument vers la dissolution de l’Assemblée nationale dès le 31 juillet et qu’une nouvelle Assemblée nationale soit élue et alors la déclaration de politique générale du Premier ministre aura du sens. Il présentera alors la vision et les perspectives de son gouvernement à des députés légitimement élus pour les cinq prochaines années’’. 

Babacar Gaye, le leader de Mankoo Mucc, n’a pas manqué de réagir à la sortie de l’ancienne ministre de la Justice sous Macky Sall, en soulignant que cette dissolution est encadrée par la loi. Le président de la République est tenu de respecter principalement les prescriptions ci-après de l'alinéa 2 de l'article 87 de la Constitution qui rapporte que la dissolution ne peut intervenir durant les deux premières années de législature. Le décret de dissolution fixe la date du scrutin pour l’élection des députés. Le scrutin a lieu soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus après la date de publication dudit décret, clame l’ancien responsable libéral. 

‘’Or, la 14e législature dont il s'agit, a été installée le 12 septembre 2022 par décret n°2022-1554 du 24 août 2022. C'est à partir de cette date que le décompte des années commence.  Sous ce rapport, la dissolution de l'Assemblée nationale ne peut être prononcée par le président de la République qu'à partir du 13 septembre 2024’’, affirme l’ancien responsable libéral de Kaffrine. 

Dans la foulée, la majorité parlementaire de Benno Bokk Yaakaar, à l’issue d’une conférence de presse hier, a annoncé qu’elle compte adopter une nouvelle loi abrogeant l’article 87 qui permet au chef de l’État de dissoudre l’Assemblée nationale par décret, après avoir recueilli l’avis du Premier ministre et du président de l’Assemblée nationale.

La majorité parlementaire ne s’interdit pas, aussi, de déposer une motion de censure contre Ousmane Sonko, dans le souci de réaffirmer la séparation des pouvoirs consignée la Constitution.

Toutefois, cette volonté du Parlement risque de se heurter à l’intangibilité des pouvoirs du chef de l’État qui a le pouvoir de promulguer les lois votées par l’Assemblée nationale.

Les enjeux politiques de la DPG pour Ousmane Sonko

Sur le plan politique, la déclaration de politique générale revêt un caractère capital pour le Projet, dans la mesure où les opposants, les partenaires techniques et financiers du nouveau régime sont dans l’expectative de ce discours qui doit donner les orientations du programme de rupture de Pastef.

Ousmane Sonko est attendu sur les dossiers de souveraineté économique, de réforme de la justice, de modernisation de l’agriculture, d’assainissement des finances publiques, entre autres. Sa DPG, en plus de définir sa feuille de route pour les prochaines années, va entériner la fin du PSE qui, pendant plus d’une décennie, aura été le ferment de toute la politique économique du pays.

Selon plusieurs informations, Ousmane Sonko a demandé aux différents ministères de lui faire un état des lieux et de décliner une feuille de route des investissements et des réformes majeures en cours. Un moyen pour le Premier ministre de se préparer au feu roulant des questions de l’opposition parlementaire qui entend mettre en lumière toute incohérence dans la politique du chef du gouvernement.

En outre, le rituel de  la déclaration de politique générale aboutit rarement à une motion de censure qui contraint le gouvernement à démissionner.

Mais les dernières déclarations du président du groupe parlementaire BBY ne l’excluent pas. Une sorte de baroud d’honneur d’une majorité parlementaire qui sent la dissolution imminente. Ou bien une tentative de se positionner comme une force politique à même de contrecarrer l’hégémonie de Pastef.

Dans tous les cas, cette démarche pourrait être le prélude à une profonde crise politique, d’autant que le chef de l’État a la possibilité de reconduire le Premier ministre et son gouvernement dans la foulée de la motion de censure. Ce qui serait un coup d’épée dans l’eau.

Mamadou Makhfouse NGOM

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