Les misères des juges consulaires
Censés concourir à l’arbitrage des litiges à milliards au niveau du tribunal de commerce, les juges consulaires peinent à percevoir leur ‘’salaire’’, depuis leur installation en 2018, soit presque quatre ans sans rémunération, à l’exception de quelques mois, en 2020 et 2021.
C’est une situation ubuesque. En poste depuis 2018, les juges consulaires vivent des misères au niveau du tribunal de commerce. Censés connaitre des affaires à plusieurs milliards, ils peinent à percevoir leurs indemnités. Il en est ainsi pour tous les mois de l’année 2018 (année de démarrage des activités du tribunal de commerce), de tous les mois de l’année 2019. En 2020, ‘’grâce’’ à la pandémie à Covid-19, quelques mois ont pu être payés, et en 2021, c’est toujours la dèche. L’air très gêné, leur coordonnateur, Ousseynou Niang, qui n’en peut plus de garder le silence devant tant de mépris, monte au créneau et proteste : ‘’Cette situation dure depuis notre prise de fonction, en 2018. On a toujours exécuté notre travail correctement, en assurant le bon fonctionnement des audiences et des délibérations. Nous l’avons toujours fait dans la résignation et la patience. Mais là, je pense qu’il est temps de prendre en charge cette question une bonne fois pour toutes.’’
S’il en est arrivé à cette extrémité avec ses collègues, ce n’est pas de gaieté de cœur. Par tous les moyens, les juges consulaires ont essayé de poser leur problème, mais jusque-là, aucune réponse satisfaisante. Pire, depuis 2020, ils courent juste derrière une audience avec le ministre de tutelle, le garde des Sceaux Me Malick Sall. Mais leurs correspondances n’ont même pas connu de réponse. Il regrette : ‘’Je pense que l’élégance aurait quand même voulu au moins que le ministre nous réponde. Nous avons rencontré ses collaborateurs sans réponse satisfaisante et concrète. On a introduit deux demandes d’audience. La première depuis 2020. Mais il n’y a aucun suivi, aucune réponse. Nous ne souhaitions pas en arriver-là, mais nous sommes contraints.’’
A la question de savoir quelles sont les prochaines étapes de leur lutte, il déclare : ‘’Nous avons posé le problème. Là, nous attendons au moins à avoir des interlocuteurs pour discuter de ces problèmes. Nous demandons juste qu’on nous respecte et qu’on respecte la dignité des travailleurs que nous sommes.’’
Selon M. Niang, ‘’cette situation résulte des dysfonctionnements énormes dans l’Administration sénégalaise. Comment on peut rester presque quatre ans sans nous payer notre dû ? Les textes sont là, les états sont régulièrement envoyés par les responsables. Il appartient au Dage de procéder à la liquidation et au paiement. Au départ, ils disaient qu’il n’y a pas de lignes. On pouvait comprendre, parce que c’était le début, mais quand même, de 2018 à maintenant, je pense qu’aucune situation ne peut désormais expliquer ce non-paiement de nos indemnités’’, s’étrangle-t-il.
Mis en place par la loi 2017-24 du 28 juin 2017, les tribunaux de commerce comprennent des juges professionnels appelés juges et des juges non-professionnels appelés juges consulaires. Tandis que les premiers sont nommés par décret, les seconds sont nommés par arrêté ministériel, sur proposition de la Chambre nationale de commerce et payés par indemnité. Leur mandat est de trois ans renouvelable.
Si leur ‘’patron’’, le ministre de la Justice, n’a pas daigné leur répondre, l’argentier de l’Etat, lui, a bien répondu, en des termes on ne peut plus clairs. Abdoulaye Daouda Diallo explique et rassure, en rejetant les lenteurs sur Me Sall. ‘’Je voudrais vous informer que la procédure de paiement de ces indemnités doit être initiée par les services du ministère de la Justice, en l’occurrence la Dage. Par conséquent, je vous suggère de saisir le garde des Sceaux pour que les dispositions utiles soient prises à cet effet. Au demeurant, je vous assure que les dispositions nécessaires pour le paiement desdits émoluments seront prises dès réception du dossier et des pièces justificatives y relatives’’, a-t-il souligné.
Dans tous les cas, il résulte de certaines confidences que si les mesures idoines ne sont pas prises avant la rentrée des cours et tribunaux, les juges et conseillers consulaires, à bout de patience, menacent de paralyser le fonctionnement des tribunaux de commerce. Les mêmes sources évaluent à plus de 80 millions le montant des sommes dues.
MOR AMAR