Le ministère de la Santé contredit le parquet
Un drame. Des responsabilités à situer. Et des versions contradictoires. Un nouveau décès d’une femme en couches, dans les structures sanitaires sénégalaises, réinstalle un malaise dans le secteur de la santé.
Après le parquet de Kédougou, vendredi, l’Administration a communiqué, samedi, sur les circonstances du décès de Doura Diallo, mardi dernier, en couches au centre de santé de Kédougou et de son bébé. Et si le ministère public a été très offensif contre le personnel qui avait en charge la dame, le ministère de la Santé et de l’Action sociale accorde son soutien aux agents mis aux arrêts et adopte une position beaucoup moins catégorique.
C’est le jeudi 1er septembre 2022 que les services de la ministre de la Santé, Dr Marie Khémesse Ngom Ndiaye, ont mené une mission conduite par le directeur de la Santé de la mère et de l'enfant, accompagné d'un représentant de la chaire de gynécologie et obstétrique de la faculté de Médecine, de Pharmacie et d'Odontologie de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar. À Kédougou, les experts ont tenté d'élucider les circonstances ayant mené à la mort de Doura Diallo et de son bébé.
D’emblée, ils ont écarté une première conclusion du parquet. Dans son communiqué, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Kédougou note que les premiers éléments de l’enquête soutiennent qu’à l'analyse des faits de l’espèce, “une forte négligence médicale, ainsi qu’un manquement manifeste aux règles élémentaires de la médecine ont été relevés’’. Ce dernier se fonde sur le fait que la patiente était un sujet à risque qui avait accouché par voie césarienne, lors de sa dernière grossesse, dans le même district. “Ce qui aurait dû dissuader le gynécologue, compte tenu de ses antécédents avérés, de la faire accoucher cette fois-ci par voie basse’’, assurait le procureur.
La mission du ministère de la Santé et de l’Action sociale note, quant à elle, une ‘’prise en charge de la femme (Doura Diallo) au centre de santé de Kédougou, le 30 août 2022 à son arrivée, conformément aux normes et protocoles en vigueur à travers l'indication de la césarienne et la réalisation de la visite pré anesthésique dans les délais’’.
‘’Près de six facteurs de risque susceptibles de compromettre la grossesse et l'accouchement’’
Dans le communiqué du ministère de la Santé, apparaît le poste de santé de Dalaba où Doura Diallo effectuait, en réalité, ses consultations prénatales. Ces constatations sont faites sur les registres de consultations prénatales et de programme du poste de santé de Dalaba. Mais toutes les parties s’accordent sur les risques autour de la grossesse de Doura Diallo.
En effet, le ministère de la Santé a évoqué ‘’près de six facteurs de risque susceptibles de compromettre la grossesse et l'accouchement’’. Au même moment, le parquet a donné plus de détails en insistant sur une patiente diabétique, avec un poids élevé et sur la grande taille du fœtus (4,77 kg). S’ensuivent désormais d’autres.
Le ministère public estime qu’après avoir constaté l’affleurement de la tête du bébé, le gynécologue a ‘’essayé d'accoucher la femme par voie basse jusqu'à faire sortir la tête, mais les épaules du bébé étant bloquées peinaient à sortir du fait du volume et ce, contrairement, à la volonté de son époux qui lui suppliait de faire une césarienne, compte tenu de ses antécédents. C'est ainsi, sans pitié ni sentiment, qu'il a continué de manœuvrer sans même tenir compte de la fragilité du bébé’’.
Pour expliquer les ‘’actes dits médicaux’’, pour ne pas dire ‘’radicaux’’ évoqués par le procureur, la mission d’audit du ministère de la Santé assure que ‘’devant les difficultés d'extraction du fœtus et l'absence de signes de vie dudit fœtus, une embryotomie a été réalisée’’. Il s’agit d’une opération chirurgicale visant à extraire un embryon, le plus souvent mort, de l’utérus de sa mère. Le fœtus, souvent en fin de gestation, est découpé dans l'utérus de la mère, afin de pouvoir être extrait plus facilement, sans léser les tissus maternels.
Or, le procureur écrit, dans son communiqué, que les déclarations spontanées des parties (personnel médical et le mari de la défunte) indiquaient que le fœtus, à l’arrivée, était vivant, ‘’car le mari, présent à l'accouchement, avait posé la question au médecin qui lui a confirmé effectivement qu’il respirait’’. Malgré tout, l’embryotomie (une tentative d’accouchement par voie basse) a été effectuée et n’a pas marché.
Maintenant, toute la question est : dans quel état est arrivée la dame, le jour de l’accouchement, au centre de santé ? Selon des sources, la dame avait été informée, lors d’une visite précédente, qu’elle ne pourrait accoucher que par césarienne. Les sources assurent qu’elle était convoquée, le 14 août, pour ladite césarienne, car le gynécologue lui avait dit qu’elle ne devait, en aucun cas, commencer le travail, le jour de l’accouchement. D’où le rendez-vous du 14 août, pour éviter tout risque.
Présentement, l’enquête devrait déterminer si c’est le gynécologue qui a, comme le dit le parquet, pris la décision de la faire accoucher par voie basse ou a-t-il été contraint de procéder de la sorte, par l’arrivée tardive de la patiente.
Un découpage du fœtus qui pose problème
En tout cas, les experts du ministère de la Santé soutiennent que ‘’l'exploration chirurgicale a retrouvé une rupture utérine sur une ancienne cicatrice avec propagation, ainsi qu'une hémorragie interne avec 500 ml de sang aspiré. Dans le but d'arrêter le saignement pour sauvetage maternel, une hystérectomie d'hémostase a été effectuée, suivie de la mise en place d'un drain pour évacuer le sang résiduel et surveiller d'éventuels saignements’’.
C’est en fin d'intervention, qui a duré environ trois heures, que la patiente a présenté un arrêt cardiorespiratoire suivi d'une réanimation sans succès. Le décès a été constaté à 19 h.
Cette version laisse pleines de questions sur la mort du fœtus. L’embryotomie n’est pratiquée que lorsqu’un fœtus est mort, et l’absence de signe de vie a été évoquée dans le communiqué du ministère de la Santé.
Toutefois, l’autre version soutient que le bébé était vivant, lorsqu’il a été extrait du ventre de sa mère. Ce qui remet en cause les compétences du médecin qui a, à son actif, plus de 300 césariennes. Il reste aux spécialistes la responsabilité d’établir les différentes responsabilités, chacun dans le domaine qui le concerne.
Une arrestation abusive, ‘’sans enquête, ni expertise préalables’’
Si l’enquête suit son cours, cette affaire installe déjà un nouveau malaise dans le secteur de la santé. L’Association sénégalaise des gynécologues et obstétriciens (Asgo) dénonce une arrestation abusive, ‘’sans enquête, ni expertise préalables’’. Le Syndicat autonome des travailleurs des universités du Sénégal (Satsus) a demandé, jeudi dernier, aux techniciens supérieurs en anesthésie-réanimation exerçant dans la zone 6 (Tambacounda, Kédougou) sans couverture d’un anesthésiste-réanimateur de cesser toute activité au bloc opératoire jusqu’à nouvel ordre.
Le ministère de la Santé et de l’Action sociale appelle au calme et à la sérénité, et réitère sa ferme volonté d'offrir aux populations des services de qualité. En attendant, Léonce Mbade Faye, Abdou Aziz Dioum et Bakary Diébakhaté, les trois agents du district sanitaire de Kédougou, ont été placés en garde à vue mercredi, après leur arrestation dans le cadre de la mort de Doura Diallo et de son nouveau-né, lors de l’accouchement incriminé.
Lamine Diouf