Moustapha Niasse l’intellectuel !
A la faveur d’un événement particulier, me voilà confrontée à une situation redoutable : celle qui consiste à témoigner, non que je craigne de m’adonner à cet exercice (j’en ai d’ailleurs l’habitude !), mais plutôt parce que je ne voudrais pas, comme il est le cas souvent, que l’acte de témoignage ne s’entende comme un « adieu ». En vérité, j’abhorre les adieux ! Et pourtant, il me faudra bien conjuguer par moment avec ce terme, vue la particularité de l’événement : les adieux du Président Niasse à l’Institution parlementaire.
J’ai pris un énorme plaisir à écouter et à lire, en termes de témoignages, tout ce qui s’est dit (en ma présence) ou écrit à l’endroit du Président Moustapha Niasse. Mais, il m’a été très difficile, je l’avoue, pour moi, femme de lettres (de surcroît) de m’épancher à ce propos, depuis le jour où, à la faveur de notre proximité (étant l’une de ses conseillers spéciaux à l’Assemblée Nationale), j’ai été mise au courant de la retraite prochaine du Président. Et ce qui explique ce "malaise" (si je puis m’exprimer ainsi), c’est que je ne savais pas justement par quelle entrée aborder un témoignage qui porte sur un homme multidimensionnel de la trempe de Moustapha Niasse, sans donner une résonnance d’« adieu », car il faut le dire, l’Institution est tellement liée au personnage, pour l’avoir "habité" et "abrité" dès son plus jeune âge (comme il me le confia lui-même dans son véhicule lors d’une séance de travail) que le terme d’« adieu » me semble inapproprié ici.
Et puisqu’il s’agit de témoignage, j’aborderai mon écrit par l’angle qui me paraît le plus sincère, car unanimement reconnu s’agissant du personnage : Moustapha Niasse, l’intellectuel...
Oui, un intellectuel tout d’abord... Voilà comment je définirai Mr le Président Moustapha Niasse. En me décidant d’écrire pour parler de l’homme, c’est le mot intellectuel qui me vient à l’esprit, lorsqu’il s’agit d’évoquer le peu que je pense avoir appris de cet homme aux dimensions multiples, dont la figure a toujours accompagné nos combats.
S’il est avéré que tout pouvoir rencontre naturellement des difficultés, compte-tenu du caractère clivant des hommes politiques, il n’en demeure pas moins vrai que pour ce qui touche à la nature des hommes (loin du sens où Machiavel l’a analysée), il convient de s’arrêter un peu, afin de pouvoir situer sa part de vérité. Et pour nous qui avons eu le privilège de suivre de près le Président Niasse, il incarne à nos yeux tout ce que le bon disciple incarne aux yeux de son maître. Sa proximité avec le poète – Président qui fut le socle de sa dimension intellectuelle, lui aura inculqué tant de qualités qui, analysées d’un point de vue philosophique, divulguent un cartésianisme rigoureux (le sens de l’organisation et de la méthode) tout entier tourné vers une maîtrise parfaite de la connaissance de ce qui peut sembler infini (la quête de l’Idée).
Pour cela, Senghor aura bien préparé le disciple à son départ, avant de lui intimer l’ordre qui signe de la séparation du maître et de l’élève et que commande Zarathoustra de manière terrible : « Quitte-moi maintenant !».
Mais, il est difficile de s’affranchir de certaines tutelles ; il en est ainsi de celle du Président Niasse, tant sa position que rehausse son charisme personnel défie aisément la posture d’un « savant », à nos yeux, pour nous qui avons appris à ses côtés. Et ce qui est rassurant dans le rapport que l’on entretient avec le personnage, c’est que le côté qui instruit chez lui est doublé d’un autre aspect qui révèle tout autant le besoin d’apprendre. C’est ce qui résume parfaitement le caractère éminemment intellectuel de l’homme. Et ce caractère, fruit de l’éducation reçue auprès du Père – fondateur de notre République, le Président Senghor, est sans doute l’une des raisons de l’indestructible continuité de son magistère au perchoir de l’Assemblée Nationale qui aura duré dix années successives. En véritable tribun, il n’hésitait pas, au sein de l’hémicycle, à se revêtir des habits de Sidoine Apollinaire (acteur et témoin des événements, marqué par son amour pour Rome) pour exprimer son attachement à la démocratie que révèle chez lui ce sens aigu de la justice qui commande à la distribution équitable du temps de parole.
Seul, en l’absence de son mentor, il a été fidèle au combat qui l’avait uni à ce dernier : le sens de l’Etat. Et il a su réaliser son ambition en restant attaché à ses principes qui fondent les valeurs de l’homme : constance, fidélité dans l’engagement. Mais il faut reconnaître que le côté politique de l’homme s’est fortement nourri de la légitimité croissante de l’intellectuel. Dans sa vie, l’action politique a toujours été liée aux idées, à l’esprit. Et je pense que c’est ce qui va nous manquer le plus avec la retraite du Président Niasse. Surtout cette manière d’être ferme sur ses objectifs politiques dès lors qu’il les juge cohérents avec sa vision d’intellectuel.
Vivement qu’il puisse vivre la transition entre la politique (les affaires de l’Etat) et l’écriture intellectuelle par la production de ses mémoires, tant il a tellement de choses à nous dire...
Dr Sagar Seck