Publié le 26 Sep 2022 - 23:29
14e LÉGISLATURE

Mimi et la déchéance

 

La question de la déchéance des députés qui démissionnent de leurs partis s’est souvent posée dans l’histoire du Parlement sénégalais. Les jurisprudences se suivent, mais ne se ressemblent pas ; de Macky Sall à Aminata Touré en passant par Moustapha Cissé Lo, Mbaye Ndiaye et Déthié Fall. S’il n’y a pas d’équivoque dans le cas du député élu sur la liste d’un Parti et qui démissionne en cours de législature, les points de vue peuvent diverger en ce qui concerne les parlementaires élus sur la liste d’une coalition.

 

Mimi, toutes griffes dehors, met en garde Benno Bokk Yaakaar contre toute tentative de l’évincer de l’Assemblée nationale. Pour elle, malgré sa démission du Groupe parlementaire du camp présidentiel, rien ni personne ne peut l’exclure juridiquement de la 14e législature dans laquelle, elle compte jouer pleinement son rôle au service du peuple sénégalais. Elle insiste : ‘’Après le Comité spécial d’insultes et d’invectives (CS2I), le Comité Mimi hors de l’Assemblée (CMHA) va se mettre activement en action, mais juridiquement, rien, je dis bien rien, ne peut m’exclure de l’Assemblée nationale où j’aurai l’honneur de représenter nos concitoyens.’’

S’il y a quelqu’un qui risque de se retrouver dans l’embarras avec cette démission qui va être matérialisée, dès aujourd’hui, c’est bien le Président Macky Sall et ses hommes qui perdent du coup la ‘’majorité absolue’’ dont ils pouvaient encore se prévaloir. ‘’C’est une majorité étriquée certes, mais, c’est quand même une majorité. Nous avons 83 députés sur 165 et cela nous permet de voter même les lois organiques. Aussi, en cas de blocage, le Président dispose de mécanismes exceptionnels pour gouverner’’, répétait récemment le nouveau ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall.

Cette certitude vient ainsi de prendre un sérieux coup, avec la démission de Mimi du Groupe parlementaire BBY. Ses ex camarades tenteront-ils de la faire exclure du Parlement, comme le laisse croire Aminata Touré ? Nos interlocuteurs sont unanimes. Juridiquement, il est impossible d’exclure Mimi de l’Assemblée nationale.

Mais pourquoi l’ancienne candidate à la présidence de cette institution craint donc des velléités de l’en exclure ? En fait, ce débat découle de l’article 60 de la Constitution qui prévoit de manière explicite : ‘’Tout député qui démissionne de son parti en cours de législature est automatiquement déchu de son mandat. Il est remplacé dans les conditions déterminées par une loi organique.’’ Dans la même veine, il y a le règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui, en son article 7 alinéa 2, reprend textuellement la disposition constitutionnelle. Sur la base de ce texte, sous le régime du Président Abdoulaye Wade, en 2008, les députés Moustapha Cissé Lo et Mbaye Ndiaye ont été exclus et privés de tous leurs avantages. Ils étaient pourtant dans la même situation qu’Aminata Touré actuellement.

La loi parle du député élu sur la liste de son Parti et qui démissionne de ce Parti, pas du député  

A en croire le désormais ancien député Alioune Souaré, une telle interprétation des dispositions de l’article 60 de la Constitution et 7 du Règlement intérieur est complétement erronée. ‘’La loi est formelle ; elle vise bien les députés élus sur la base d’un Parti et qui démissionnent en cours de législature. Il ne faut pas oublier qu’Aminata Touré est élue sur la base d’une coalition. Donc, même si elle démissionne de l’Alliance pour la République, elle ne perd pas pour autant son mandat’’, explique le parlementaire, qui invoque la ‘’jurisprudence’’ récente de Déthié Fall pour justifier son propos.

En mars 2021, ce dernier avait en effet créé son parti et démissionnait de fait de Rewmi. Pour autant, il avait continué à conserver son poste jusqu’à la fin de la législature, sans que cela n’ait soulevé une quelconque polémique. Mais à l’époque, la voix d’un député ne semblait pas aussi prépondérante dans une Assemblée nationale, où le camp présidentiel disposait d’une large et confortable majorité dite mécanique.

A côté de la jurisprudence Déthié Fall, d’autres pourraient invoquer celle relative à l’exclusion de Mbaye Ndiaye et Moustapha Cissé Lo en 2008. De quoi s’est-il agi à l’époque ? Macky Sall qui venait d’être exclu du PDS avait créé son propre Parti l’Alliance pour la République. Membres du Parti démocratique sénégalais dont ils se réclamaient encore, les députés Moustapha Cissé Lo et Mbaye Ndiaye, élus sous la bannière de la coalition Sopi, n’hésitaient pas à prendre position en faveur de celui qui deviendra plus tard le président de la République, à participer même à des réunions organisées par ce dernier.

Furieux, les Libéraux avaient invoqué les dispositions de la Constitution et du Règlement intérieur susvisées pour réclamer leur déchéance. Pour eux, les dissidents, qui avaient quitté leur groupe parlementaire, avaient démissionné de fait et devaient donc perdre leur mandat. Forts d’une majorité très confortable, ils n’ont eu aucune difficulté à mettre à exécution leur menace. Selon Alioune Souaré, ce serait ‘’un forcing’’. ‘’Il faut le reconnaitre. Je répète, juridiquement, aucune loi ne prévoit la déchéance de celui qui démissionne de son Groupe parlementaire. Seul le cas du député élu sur la liste d’un Parti et qui démissionne de son parti est concerné. Et dans la présente législature, ils sont tous élus sur la base d’une coalition’’, souligne-t-il.  

Ce que disait Macky Sall de l’article 60 de la Constitution

L’histoire va-t-elle se répéter ? Le camp présidentiel va-t-il demander le départ de Mimi Touré pour la faire remplacer par quelqu’un d’autre pour ne pas perdre son mandat ? Pour le moment, c’est plutôt cette dernière qui agite le débat et qui parle de la naissance prochaine d’un Comité chargé de la faire débarquer illégalement de l’Assemblée nationale et qui est dénommée ‘’Mimi Hors de l’Assemblée Nationale’’. A en croire cet ancien collaborateur de Macky Sall qui a préféré garder l’anonymat, ce serait illégal et injuste de demander l’exclusion de Mimi du Parlement.

‘’Je ne pense pas que les gens iront jusque-là. On a eu à connaitre les cas Moustapha Cissé Lo et Mbaye Ndiaye, mais, leur exclusion a été illégale et injuste. C’est d’ailleurs pourquoi, ils ont eu à bénéficier d’une mesure de compensation pour les injustices subies. Juridiquement, donc, rien n’impose à Aminata Touré de quitter l’Assemblée nationale. Mais moralement, je crois que c’est elle-même qui devrait démissionner, comme l’avait fait en son temps le Président Macky Sall.’’

En effet, en 2008, contrairement à Cissé Lo et Mbaye Ndiaye qui avaient essayé de résister, Macky Sall lui avait préféré rendre tous ses postes électifs. Il disait : ‘’Je décide de démissionner du Parti démocratique sénégalais. Aux termes des dispositions de la Constitution, en son article 60, cette démission de mon parti emporte la démission de mon mandat de député. J’ai, en outre, décidé de rendre mon mandat de Conseiller municipal de Fatick ; cette décision entrainant ma démission de mes fonctions en tant que maire de Fatick. Vous aurez sans doute remarqué que j’ai choisi de me défaire de toutes les fonctions obtenues sous les couleurs du PDS, consécutivement à ma démission de ce Parti… Bien-sûr que j’ai pris l’exacte mesure de ces actes et les ai posés en toute responsabilité.’’

Mor AMAR

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