Ambition ou fuite en avant ?
Dans moins de quinze mois, le Sénégal vivra au rythme du scrutin présidentiel. Raison pour laquelle l'année 2024 est déjà sur toutes les lèvres. Au moment où la question de la troisième candidature du président Macky Sall cristallise les débats, les déclarations de candidature se multiplient, notamment au sein de l’opposition. Des analystes politiques décryptent le phénomène.
Le fauteuil présidentiel est déjà dans la ligne de mire de beaucoup de responsables politiques. À quelques mois du scrutin de 2024, les déclarations de candidature se multiplient et foisonnent, cristallisant, du coup, tout le débat. Si la controverse autour d'une possible candidature de Macky Sall s'avère électrique sur les plateaux de télévision, les studios de radio ou encore sur la place publique, les potentiels candidats, eux, sont déjà de plain-pied dans le match. Des ténors se sont déjà signalés.
L’un des premiers à s'annoncer a été Ousmane Sonko. Il disait récemment : ''Tant que je respire, je serai candidat à l'élection présidentielle de 2024." Ayant des démêlés avec la justice, le leader de Pastef semble déterminé à briguer le poste et continue d’accuser l'État de comploter contre lui, dans ce dossier Adji Sarr. Actuellement en tournée à l'intérieur du pays, M. Sonko pose donc des jalons pour 2024. Désireux d’étendre sa sphère d’influence à l’arrière-pays, il est en train de faire le tour du Sénégal, comme il l'avait annoncé il y a quelques mois. D’ailleurs, il y a quelques jours, le maire de Ziguinchor a enjoint ses partisans de descendre sur le terrain, afin de vendre le programme de son parti aux Sénégalais.
Toutefois, Sonko est aussi membre de la coalition Yewwi Askan Wi où de nombreuses vocations présidentielles sont nées. C’est le cas pour Khalifa Sall dont les ambitions ont, longtemps, été contrariées par une fâcheuse condamnation à 5 ans de prison en 2018, pour détournement dans les caisses municipales. L’actuel président de la Conférence des leaders de Yaw avait, ainsi, raté les échéances de 2019 qui avaient vu Macky Sall rempiler à la magistrature suprême, pour un second mandat.
Mais la donne commence à changer, avec la décision du chef de l’État de faire voter une loi d’amnistie. Ainsi, l'ancien numéro deux de feu Ousmane Tanor Dieng au Parti socialiste (PS) est plus que déterminé à participer à l'aventure de 2024. D’ailleurs, ses partisans sont déjà à l’œuvre et occupent le terrain politique pour vendre sa candidature.
Interrogé par des journalistes de RFI sur sa candidature, M. Sall avait répondu tout simplement : ‘’Inch’Allah, je serai candidat en 2024."
Également, dans la coalition Yaw, celui qui fait office de n°3, en l’occurrence, Déthié Fall, a des visées sur le palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor. Les observateurs s’accordent à dire qu’il ambitionne de briguer le fauteuil présidentiel. En tout cas, ses partisans ont investi les réseaux sociaux pour soutenir sa candidature, avec des "Déthié Fall, 2024 yaw la'' (Déthié Fall, 2024 c’est toi).
Ainsi, trois candidatures pourraient sortir des flancs de la principale coalition de l’opposition. Ce qui augure d’un choc d'ambitions, même si ces candidatures pourraient être sous-tendues par un gentleman agreement, voire un pacte de non-agression.
En dehors de la sphère de Yewwi Askan Wi, d’autres pointures de la politique sénégalaise et des moins connues se sont déclarées, principalement des opposants au régime en place. C’est le cas de Bougane Guèye Dani, leader de Gueum Sa Bop qui, à la différence des leaders nommés plus tôt, fait cavalier seul. Il n'est pas affilié à une coalition, mais compte aussi déposer sa candidature, selon certaines informations. On l'avait vu, à la veille des élections locales, se rendre dans plusieurs localités du pays, pour vendre son programme et soutenir les candidats de son parti. Lui aussi se démarque par sa ligne dure et ses diatribes contre le régime du président Macky Sall.
Le week-end dernier, Abdourahmane Diouf a annoncé que son parti ira à l'élection présidentielle. Même s'il n'a pas encore défini clairement le candidat qui sera promu, le leader d’Awalé promet, tout de même, de se prononcer, dimanche prochain (31 octobre) date du premier anniversaire du parti. Alors qu’il essaie de ménager le suspense, les observateurs soutiennent qu’Abdourahmane Diouf sera candidat. D’ailleurs, dimanche dernier, il disait : ''Awalé devrait pouvoir présenter un candidat à la prochaine élection présidentielle. Maintenant, est-ce que je dois être candidat ou dois-je soutenir un des nôtres ? Tout cela sera dit lors de l'anniversaire du parti.''
Parmi les autres candidatures annoncées, il y a celle de Malick Gakou, leader du Grand parti. L'ex-ministre des Sports sous le président Macky Sall essaie, depuis qu'il a quitté la mouvance présidentielle, de positionner son parti pour jouer les premiers rôles. Participer à une élection présidentielle lui permettrait de se situer, enfin. D’autant qu’il en avait été empêché au scrutin présidentiel de 2019, à cause du parrainage.
L’autre candidature plus surprenante est celle annoncée de Maître El Hadj Diouf. Car, même s’il fait partie des tout premiers à avoir annoncé sa candidature, l’avocat a, ces dernières années, déserté la sphère politique, l’exercice du droit. L'avocat et leader du Parti des travailleurs et du peuple (PTP) a déclaré, presque sur toutes les émissions auxquelles il est invité, son intention d'être candidat.
À cette liste, vient s'ajouter Karim Wade. ''Exilé'' à Doha avant l'élection présidentielle de 2019, le fils de l'ancien président Abdoulaye Wade est aussi pressenti candidat en 2024. D'aucuns pensent déjà que l'ancien ministre d'État et puis ministre de la Coopération internationale, de l'Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures, de 2009 à 2012, est même un candidat sérieux. Surnommé à l'époque ''Ministre du Ciel et de la Terre'', Wade-fils pourrait compter ainsi sur l'ingéniosité politique et surtout la personnalité de son père pour conquérir le cœur de l'électorat sénégalais.
Surtout, il est important de se rappeler que jusque-là, le camp du pouvoir n'a pas encore fait connaître son candidat, étant donné qu'une troisième candidature de leur leader Macky Sall est perçue comme chose impossible, selon certains et d'après la Constitution.
Donc, reste à savoir ce que l'Alliance pour la république (APR), parti du président Sall, réserve comme surprise. Et la liste des candidatures déclarées est loin d’être exhaustive.
Conséquences d'un tel engouement ?
C'est, donc, une course effrénée vers le fauteuil présidentiel. Et l'opposition sénégalaise vole en mille morceaux, avec ces candidatures déclarées ou pressenties. Un état de fait qui interpelle analystes et observateurs politiques.
Sur la question, Ibrahima Bakhoum est clair : "Cette situation ne peut pas fragiliser l'opposition. D'ailleurs, il n'y a rien de nouveau. Dès qu'on arrive à cette période, les gens commencent à se signaler. Ce sont des jeux politiques.'' Le journaliste et analyste politique pense même que c'est un phénomène indissociable des pratiques actuelles. Il s’explique : "C'est vrai qu'il y aura des contradictions. Elles apparaîtront sûrement. Mais c'est la manière de faire la politique qui l'exige. On est arrivé à un moment où l’on fait recours à des alliances. C'est un jeu de plusieurs candidats.’’
Pape Amadou Fall est du même avis que M. Bakhoum : "L'amateurisme, ce serait d'aller seul.''
Donc, pour le directeur de publication de l'hebdomadaire ‘’La Gazelle’’, la dispersion de l'opposition n'est pas forcément mauvaise. Mieux, cela peut même jouer un grand rôle, quand il y a un second tour. Il déclare : "Nous avons dépassé cela dans notre pays. Des alliances vont se former. On pense que si l'opposition est dispersée, ça va la fragiliser. Dans une certaine mesure, oui, pour le premier tour. Mais attention ! S'il y a second tour, ça peut changer les cartes. On l'a vu en 2012.''
À son avis, c'est intelligent de la part des opposants. Autrement dit, il pense que l'opposition peut s'effriter pour mieux se rassembler. ''L'opposition pourra faire en sorte qu'il n'y ait pas 51 % au premier tour. Cela fragilise particulièrement le pouvoir''.
''La Présidentielle, poursuit-il, n'est pas comme les Législatives ou autres. Là, ce sont des ambitions affirmées autour d'un homme ou d'une femme. Quelqu'un dit : je veux. Et dans d'autres cas, c'est un groupe qui projette quelqu'un pour qu'il le porte''.
Si l'on s'en tient aux propos de M. Bakhoum, cet éclatement au niveau de l'opposition est même stratégique. En d'autres termes, pour lui, certains de ces candidats qui se déclarent sont juste en train de se repositionner. Ainsi, l'essentiel serait de casser la dynamique unitaire autour du pouvoir.
Le parrainage peut gâcher…
Ainsi, à en croire Amadou Fall, les déclarations de candidature continueront et se multiplieront. Ce qui veut dire qu'il faut s'attendre à d'autres candidats, dans les jours ou mois à venir. "Les candidatures vont gonfler. Il est clair que d'autres vont s'annoncer. Il y a des gens qui sont, pour le moment, tapis dans l'ombre. Ils observent et travaillent pour voir quelle coalition mettre en place, sinon partir seul. C'est loin d'être un jeu de dupes. C'est quelque chose de bien normé, de bien formalisé en termes de stratégie, pour certains qui veulent montrer le désir de représenter quelque chose dans le pays''.
Toutefois, bien que cette multitude de déclarations de candidature reste chose normale aux yeux des analystes, un souci qui n'est pas des moindres est à signaler : le parrainage. Ibrahima Bakhoum le voit déjà comme principal problème et donc comme défi majeur des potentiels candidats. Il explique : "D'autres vont venir pour montrer qu'ils ont leur place et leur rôle à jouer entièrement. Cependant, même si on arrivait à la confirmation de toutes ces candidatures, il y a la question du parrainage. Qui est capable d'avoir le nombre de parrains nécessaires ? Tout le monde ne pourra pas avoir suffisamment de parrains.''
EL HADJI FODÉ SARR