‘’La Banque mondiale ne finance pas de projets polluants, ne finance pas de projets relatifs à l’exploitation des hydrocarbures’’
Spécialiste principal en passation des marchés de la Banque mondiale, Laurent Mehdi Brito revient sur les grandes orientations de l’institution de Bretton Woods.
Qu’est-ce qu’un achat public durable ?
Un achat public durable, c’est un achat public qui prend en compte des aspects autres que le prix. L’achat public est durable quand il tient compte des aspects environnementaux (émission de gaz, destruction de la nature), sociaux (déplacement des populations, employabilité des jeunes et des femmes, appui aux PME…) sans perdre de vue l’aspect économique.
C’est donc la prise en compte de ces thématiques dans les marchés publics pour choisir un fournisseur et s’assurer que la mise en œuvre du marché permet de répondre aux besoins des populations. Généralement, l’aspect économique prend le dessus. Maintenant, il s’agit d’intégrer ces dimensions sociales et environnementales dans la mise en œuvre des différents projets.
Pouvez-vous revenir sur l’intérêt pour la Banque mondiale d’organiser cet atelier à l’intention des dix pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre ?
Depuis son arrivée, le nouveau président de la Banque mondiale a changé un peu l’orientation de la banque. Aux missions classiques d’éradication de l’extrême pauvreté, de partage de la prospérité, il a été ajouté sur ‘une planète vivable’. Ce qui veut dire que les aspects environnementaux et sociaux doivent désormais être pris en compte dans la mission de la Banque mondiale. Dans tous les projets que nous finançons, il y a donc des indicateurs relatifs à ces aspects, notamment sur le genre et sur l’environnement. Que ça soit des projets agricoles, dans le domaine de la santé, de l’éducation, des infrastructures…
Nous nous inscrivons ainsi en droite ligne de la Déclaration de Paris sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Tous les projets que la Banque mondiale finance doivent s’inscrire dans cette dynamique. Ensuite, la banque travaille avec les pays sur la base de projets. Pour le Sénégal, par exemple, nous avons un portefeuille d’environ trois milliards de dollars. La mise en œuvre de ces projets passe par les marchés publics ; d’où l’importance d’utiliser ce levier pour instaurer la durabilité dans les différents marchés publics. C’est dans ce cadre que s’inscrit cette session de formation.
Concrètement, qu’attendez-vous des États ?
Il y a souvent cette tendance qui consiste à dire que l’Afrique est une victime des changements climatiques qui sont générés par d’autres. En fait, nous estimons que tout le monde doit faire sa part dans la lutte contre le changement climatique. Nous-mêmes devons prendre en considération l’espace dans lequel on vit. L’objectif est de faire en sorte que les participants, quand ils rentrent dans leurs pays respectifs, qu’ils prennent en compte les outils qui ont été donnés et qu’ils essaient d’en prendre compte dans les différents marchés.
Bien entendu, ce n’est pas sur tous les marchés, mais l’idée est de dire : nous-mêmes prenons en compte notre espace, notre environnement.
Est-ce à dire que la Banque mondiale va en faire des exigences pour pouvoir bénéficier de ses financements ?
Déjà, on prépare des projets avec les pays, cet aspect de préserver la planète est pris en compte. Cela veut dire qu’on ne va pas financer des projets polluants par exemple, des projets qui excluent une partie de la population.
À notre niveau donc, nous faisons tout pour que les pays prennent compte de ces aspects. Après, le second niveau, c’est comment faire pour les matérialiser dans les marchés publics au niveau des différents pays. Par exemple, quand on veut faire une route, il faut penser à la main-d’œuvre que l’on va employer dès le début. Il faut aussi penser aux matériaux qu’on peut trouver sur place, comment on peut donner plus d’opportunités aux petites et moyennes entreprises à travers la sous-traitance ou en allotissant les marchés.
C’est tous ces aspects sur lesquels on va réfléchir en amont. Ensuite, on va développer les critères d’évaluation, en disant aux soumissionnaires que s’ils veulent gagner des marchés, il faut, par exemple, utiliser la main-d’œuvre locale, les matériaux locaux. Après, il faudra s’assurer que les engagements soient respectés lors de la phase d’exécution.
C’est donc sur toute la chaine des marchés publics qu’il faudra intervenir, depuis l’évaluation des besoins jusqu’à l’exécution en passant par l’évaluation des offres.
Acheter durable, pour beaucoup, c’est acheter plus cher. Êtes-vous d’avis et qu’est-ce qui l’explique ?
Ça peut être en partie vrai, mais il faut aussi relativiser et je pense que la formation a permis de le démontrer. Il faut considérer le cycle de vie du bien ou du service. Un générateur, par exemple, on peut l’acheter moins cher maintenant, mais la maintenance et la consommation vont couter plus cher. Dans cinq ans, le prix peut être exorbitant. En revanche, on peut acheter une machine plus chère qui préserve la nature, qui consomme moins et dont la maintenance est moins couteuse. Sur le cycle de vie, on peut faire des économies importantes. Il faut donc relativiser. Ce qui est moins cher maintenant à l’achat peut être plus cher dans la durée avec l’exploitation. On peut avoir des gains non seulement financier, mais aussi en environnement.
Comment arbitrer entre cette quête du moins-disant et celle de durabilité ?
D’abord, c’est dans l’identification du besoin. Mais aussi, il y a des critères d’évaluation qui sont développés pour faire la part des choses. Certes, on prend en compte le prix, mais on prend aussi en compte les autres aspects. Si le fournisseur ne les respecte pas, on l’écarte même s’il propose moins cher.
Au niveau de la Banque mondiale, nous avons déjà des modèles de dossiers d’appels d’offres dans lesquels les questions environnementales et sociales sont prises en charge.
Une chose est d’avoir les mécanismes, mais comment faites-vous pour vous assurer de la mise en œuvre effective de ces mécanismes ?
Dans les plus gros marchés, la Banque mondiale doit revoir toute la procédure. En nombre c’est environ 5 % des marchés, mais en valeur c’est quand même important, ça peut atteindre 40-45 % de la valeur. Les 95 % des marchés sont gérés sans l’avis préalable de la banque. Mais les projets utilisent des dossiers standards de la banque ou bien des dossiers qui existent au niveau national. Nous faisons donc deux types de revues : un préalable pour les gros marchés, un a posteriori. On s’assure donc que tous ces aspects soient pris en compte. Même avant de lancer un marché, il y a toute une phase de préparation, une stratégie que des pays et chaque projet doivent préparer. Là aussi, on s’assure que les aspects liés à la durabilité soient pris en charge.
Aujourd’hui, peut-on avoir une idée sur le niveau de prise en charge de ces dispositions dans les codes des marchés publics des pays concernés ?
Il faut d’abord souligner que la thématique est assez récente. Je ne pense pas qu’il existe en Afrique de l’Ouest des statistiques. Mais de plus en plus, nous assistons les pays pour qu’ils aient des systèmes dématérialisés des marchés publics ; lesquels devraient permettre de dégager des statistiques sur différents aspects. Actuellement, il n’y a pas de statistiques, mais tous les codes qui ont été révisés dernièrement prennent en compte ces enjeux. La question n’est donc pas seulement d’ordre législatif, mais comment mettre en œuvre les dispositions déjà en place.
Qu’en est-il des contraintes auxquelles les États font face ?
Les autorités contractantes ne savent pas toujours comment faire pour prendre en charge ces problématiques nouvelles. Comment intégrer la nécessité d’utiliser les matériaux locaux ? Comment employer la main-d’œuvre locale ? Comment on va faire pour les évaluer ? Cela demande une certaine capacitation des acteurs. L’autre aspect, c’est effectivement le cout. Les ressources étant limitées, les gens ne regardent que le prix d’achat ; on ne se focalise pas trop sur le prix à l’arrivée, alors qu’il faut une approche cycle de vie dans une perspective de durabilité.
Quid des fournisseurs ? Sont-ils vraiment prêts pour relever ces nouveaux défis ?
Puisqu’on fait les marchés de la même manière, on peut se demander s’ils ont la capacité. L’expérience montre que dans d’autres pays, il suffit de changer de paradigme pour que le marché s’adapte. Un fournisseur, il veut gagner des contrats. Si on lui dit que pour gagner il faut un plan de gestion du personnel, des matériaux qui tiennent compte du climat, il va chercher des ressources pour répondre aux attentes. Je pense que c’est aux autorités contractantes d’insuffler cette nouvelle stratégie dans la mise en œuvre des marchés.
En ce qui concerne le financement des projets d’hydrocarbures qui intéressent beaucoup des pays comme le Sénégal, pouvez-vous rappeler les dernières orientations de la Banque mondiale ?
Pour le Sénégal comme pour la Mauritanie, nous avons un projet d’appui au secteur pétrolier et du gaz. Mais il est interdit maintenant pour la banque de financer des projets dans ces domaines. Ce que nous faisons, c’est vraiment accroitre la capacité, l’appui institutionnel pour que les entités qui gèrent les hydrocarbures puissent le faire de façon soutenable. La Banque mondiale ne finance plus de projets qui tendent à l’exploitation, mais nous appuyons en termes de renforcement de capacités les institutions pour qu’elles puissent gérer leurs ressources naturelles.