Publié le 30 Sep 2024 - 18:33
RENCONTRE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR ET ACTEURS DU PROCESSUS ÉLECTORAL

Jean-Baptiste Tine ‘’vote’’ non pour un report de la période de dépôt de candidatures

 

Le processus électoral sénégalais en vue des élections législatives anticipées du 17 novembre 2024 a franchi une étape décisive, hier dimanche 29 septembre. Malgré les demandes répétées de report émises par plusieurs partis et coalitions, le ministre de l’Intérieur, Jean-Baptiste Tine, est resté inflexible. La date limite pour le dépôt des candidatures, initialement fixée à minuit ce même jour, a été maintenue. Cette décision a provoqué des remous au sein de la classe politique, certains y voyant un coup de force qui compromet la participation de plusieurs formations.

 

Jean-Baptiste Tine a fermement refusé de céder aux appels de l’opposition et d’une partie de la société civile qui réclamaient un report du délai de dépôt des candidatures. À la suite d’une réunion tenue la veille entre les représentants des partis politiques, de la société civile et le ministre de l’Intérieur, beaucoup espéraient un délai supplémentaire de 48 à 72 heures pour finaliser leurs dossiers. Cependant, ces espoirs ont été rapidement douchés par l’annonce du ministère confirmant le maintien de la date butoir.

Une inflexibilité qui suscite l'incompréhension

Pour Ndiaga Sylla, expert électoral sénégalais, cette décision met en lumière des ‘’vides juridiques’’ dans la Constitution qui n'ont toujours pas été résolus. ‘’Il y a un manque de clarté qui rend difficile l’adaptation des délais électoraux à certaines circonstances imprévues. Mais ni le régime ni l'opposition n'ont pris les mesures nécessaires pour y remédier’’, affirme-t-il sur les ondes de la TFM.

Selon lui, les conditions ne sont pas réunies pour une compétition électorale loyale, d’où l’urgence d’une réforme de la loi électorale.

Le respect de la date limite de dépôt des listes de candidatures représente un enjeu majeur dans le processus électoral. Au total, 49 listes de partis politiques, coalitions et entités indépendantes avaient manifesté leur intention de concourir pour les 165 sièges de l'Assemblée nationale.

Cependant, à 21 h 30, seulement 18 listes avaient été officiellement déposées, comme l’a révélé le commissaire Abdou Aziz Sarr, chargé des élections à la Direction générale des Élections (DGE). ‘’Nous attendons encore d’autres listes qui sont en route, mais à minuit, il n’y aura plus de dérogation’’, a-t-il précisé, soulignant la rigueur qui entoure cette phase cruciale du processus. Toutefois, celles (listes) qui sont déjà entrées pourraient être acceptées.

Ce retard s’explique, en grande partie, par les difficultés administratives rencontrées par de nombreux partis, notamment pour obtenir les pièces nécessaires à la validation des candidatures, comme le casier judiciaire.

Babacar Ba, du Forum du justiciable, a appelé à une dématérialisation des procédures pour faciliter l’obtention de ces documents et permettre une participation plus équitable. Il a également souligné la nécessité de réformes urgentes pour aligner les pratiques sénégalaises sur les protocoles additionnels de la CEDEAO, garantissant ainsi la liberté de candidature.

Les frustrations des partis politiques

Plusieurs responsables politiques ont exprimé leur mécontentement face au maintien de la date limite de dépôt des candidatures. Cheikh Tidiane Youm, mandataire de la coalition Sam Sa Kaddu, a dénoncé la confusion provoquée par la réunion du 28 septembre. ‘’Beaucoup de partis pensaient que la date butoir serait reportée, ce qui a induit en erreur plusieurs formations politiques’’. Pour lui, cette précipitation fragilise le processus électoral en empêchant une préparation optimale des candidats.

D'autres formations politiques ont également été confrontées à des problèmes internes. Maitre Moussa Diop, du parti AG/Jotna, a menacé de porter plainte contre son mandataire Boubacar Kamara qui, selon lui, aurait confisqué les documents originaux nécessaires au dépôt de la liste. Ces tensions internes montrent à quel point la gestion des candidatures peut devenir un véritable casse-tête, surtout dans des délais aussi serrés.

Dans ce climat tendu, la Direction générale des Élections a procédé, le jeudi 26 septembre, au tirage au sort pour déterminer l’ordre de passage des candidats pour le dépôt des dossiers de candidatures. Cette étape, hautement symbolique, permet de garantir une équité dans le traitement des candidatures, chaque formation politique ayant une fenêtre définie pour soumettre ses documents.

Le tirage au sort a révélé les 49 formations politiques en lice, parmi lesquelles on trouve des poids lourds comme le Parti démocratique sénégalais (PDS), Takku Wallu Sénégal ou encore Pastef. D'autres, moins connues, mais tout aussi déterminées, telles que Samm Sa Gafa, Sam Sa Kaddu ou encore la coalition Le Temps de la Jeunesse Dafa Diott, font également partie de la course.

Un consensus manqué sur les réformes électorales

Outre les délais de dépôt, d’autres questions sensibles ont été abordées lors des concertations. Le Comité ad hoc de facilitation, créé pour apaiser le climat politique, avait proposé un consensus à minima sur deux points majeurs : le report des délais de dépôt des candidatures de 72 heures à une semaine et la suppression de l’obligation de fournir un casier judiciaire. Si le premier point avait reçu l’adhésion de la majorité des acteurs présents, le second n’a pas fait l’objet d’un consensus.

Babacar Ba a exprimé son inquiétude face aux difficultés que rencontrent les candidats pour obtenir leur casier judiciaire. Il a appelé les autorités à trouver des solutions pour éviter que cette exigence administrative n’exclue pas certains candidats potentiels de la compétition électorale. En dépit des efforts du Comité ad hoc, le ministère de l'Intérieur a annoncé le rejet de ces propositions par les ‘’autorités supérieures’’, renforçant ainsi la frustration des acteurs politiques.

Les élections législatives de novembre 2024 constituent un test majeur pour Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko qui cherchent à obtenir une majorité à l’Assemblée nationale. Avec 165 sièges en jeu, les résultats de ces élections détermineront la capacité du duo exécutif à gouverner et à faire passer ses réformes.

Cette élection marque également un tournant pour les autres partis d’opposition, qui espèrent renverser la dynamique politique actuelle. Mais les nombreux obstacles rencontrés lors du dépôt des candidatures et les tensions autour de la gestion des dossiers risquent de fragiliser davantage le climat électoral. Le maintien de la date limite par le ministre de l’Intérieur est perçu par certains comme un moyen de restreindre la compétition, réduisant ainsi les chances d’une élection véritablement inclusive.

Tout compte fait, le 17 novembre, les urnes trancheront, mais déjà, les conditions de préparation laissent entrevoir une compétition rude et incertaine.

Amadou Camara Gueye

Section: