Quand la réticence des femmes devient un frein au dépistage
Octobre Rose vise à sensibiliser les femmes sur l'importance de l'autosurveillance et du dépistage des cancers féminins. En effet, pendant ce mois, le dépistage du cancer du sein et du col de l’utérus est souvent gratuit. Cependant, en dépit des campagnes de sensibilisation, il s’avère qu’une réticence existe chez certaines femmes à l’égard des dépistages. Reportage.
Dans la capitale sénégalaise, Octobre Rose se fait ressentir. Ce mois dédié à la sensibilisation au cancer est une période marquée par des campagnes de prévention. Sur les réseaux sociaux, on y voit défiler des messages publicitaires sur la thématique. Un peu partout, des rubans roses fleurissent sur les vêtements, les bâtiments et dans les rues, symbolisant l'espoir et la lutte contre cette maladie qui touche des millions de femmes dans le monde.
Le jeudi 10 octobre dernier, sur les deux voies de Niary Tally, une journée de sensibilisation a eu lieu. Plusieurs femmes sont assises avec des tee-shirts roses. Des jeunes distribuent autour d’eux des flyers avec des images décrivant les différentes étapes pour reconnaître les signes d’un cancer du sein.
Si cet engagement collectif rappelle que chaque geste compte dans cette lutte, certaines femmes sont tout de même hésitantes à l’idée de se faire dépister. C’est le cas de la directrice générale d’une boîte de transit, Aminata Niang, âgée de 28 ans. Repérée dans la foule, on la voit prendre un dépliant, mais elle le met directement dans son sac sans pour autant le consulter.
Selon elle, il n’y a pas d’intérêt à aller le faire dans une structure sanitaire, si on peut le faire soi-même. Elle s’explique : ‘’Je ne me suis jamais fait dépister à l’hôpital parce que je le fais moi-même, comme on nous l’apprend avec les informations et les publications sur les réseaux sociaux. Je le fais moi-même en effectuant comme indiqué des mouvements circulaires, en exerçant une légère pression du bord extérieur du sein vers le mamelon. Je le répète pour chaque zone en examinant l'aisselle et la zone entre l'aisselle et ma poitrine pour vérifier s’il n’y a pas de boule dure. Je presse aussi le mamelon pour voir s’il n’y a pas d’écoulement’’.
D’après elle, son diagnostic n’est pas fiable à 100 % comme celui fait par un expert, mais elle n’a pas le temps de se rendre dans un centre de santé, même en cette période d’Octobre Rose.
Il est utile de souligner que si le dépistage est un outil essentiel de la prévention des maladies graves comme le cancer du sein qui, détecté à un stade précoce, augmente considérablement les chances de survie, il n’en demeure pas moins que de nombreuses femmes évitent ces examens de routine. Au Samu social de Liberté 6, nous interpellons une jeune femme de 26 ans, Noëlle Charline. Elle nous explique qu’elle accompagne sa sœur pour des soins médicaux, mais qu’elle ne compte pas se faire dépister. ‘’Je ne vais pas mentir, j'ai bien envie de le faire, mais j'ai de petites appréhensions. En vrai, j'ai bien envie de savoir, d’être rassuré, savoir que tout se passe bien, mais dans ma tête, je suis aussi craintive. Je m’imagine des choses horribles. Tout ne se passera pas bien’’, dit-elle. Entre le besoin d’être fixé sur sa santé et la crainte qui l'anime, Noëlle préfère ne rien faire et rester dans l’ignorance. ‘’Parfois, je me réveille et je me dis vaut mieux aller savoir et un autre jour, c’est carrément non’’.
Pour elle, ce n’est pas un comportement normal. ‘’Je préfère rester dans l’ignorance. Si je dois mourir sans savoir, ce n’est pas grave. Je sais que ce n’est pas normal, ni bien. Mais je n'ai clairement pas l'esprit à savoir et c’est comme ça. Je crois que j’ai peur’’, avoue-t-elle. La peur de recevoir un diagnostic de maladie grave comme le cancer est l'une des raisons qui l’empêche de se faire dépister.
Entre raison d’influences et méconnaissance
‘’J’ai beaucoup d’amies qui sont allées parce qu'elles disaient qu'elles partaient juste faire un dépistage et au final, elles ont eu des mauvaises nouvelles. Donc moi, tout ça me fait peur’’, insiste N.C.
De telles perceptions ne sont pas souvent isolées. En effet, elles sont amplifiées par les récits anecdotiques, le regard des gens et par un manque d'informations claires sur l'importance du dépistage.
Dans ce contexte, R. A., étudiante en Licence 1, nous confie qu'elle y voit un tabou autour de son corps. La jeune fille de 21 ans y voit un gros complexe. ‘’J’appréhende vraiment le toucher. Je ne sais pas si c’est douloureux ou pas. De plus, je suis très jeune et je crois que ce ne serait pas bien vu qu’un homme me touche les seins, surtout que je vais bientôt me marier. Que diront les gens ?’’. Son hésitation ne se limite pas à cela. Elle poursuit : ‘’En fait, je ne me sens pas concernée, parce que je pense que ce n’est vraiment pas pour moi. Je crois que ça concerne les mamans et les filles qui connaissent déjà les hommes.’’ Elle souligne tout de même qu’elle y pensera une fois mariée.
Il ressort de ce témoignage une certaine crainte d’être stigmatisées, voire même de la honte.
Au centre de santé de Grand-Dakar, une mère de trois enfants, Awa, aborde le fait que le dépistage est souvent perçu comme un signe de vulnérabilité. C’est la raison pour laquelle elle ne le fait pas. ‘’Chez moi à Fatick, on ne parle pas de ces choses-là. Si tu vas te faire dépister, les gens parlent dans ton dos et pensent que tu es malade ou que tu caches quelque chose. De plus, j’ai trois enfants ; mon mari m’a dit que plus tu fais des enfants, moins tu cours le risques d’avoir le cancer du sein, parce que les enfants tètent énormément. Mon premier fils a pris le sein jusqu’à un an et demi. Donc vous voyez, je crois que je suis épargnée’’, lance-t-elle en souriant.
Du point de vue psychologique
D’après le psychologue-clinicien Mamadou Lamine Djitté exerçant au centre hospitalier psychiatrique de Thiaroye, il est essentiel de rassurer les femmes et de leur expliquer l'importance du dépistage précoce pour leur santé, en les mettant en contact avec des professionnels du mental, car c’est souvent un aspect négligé. ‘’Je les encourage à parler de leurs craintes ou de leurs préjugés à un professionnel de santé pour qu'elles puissent obtenir des informations précises et adaptées à leurs besoins. Je leur conseillerais aussi de prendre en compte leur bien-être mental et émotionnel en discutant de leurs préoccupations avec un psychologue ou un conseiller’’. Pour lui, l’objectif est de dédramatiser l'expérience et de montrer que le dépistage peut être une démarche préventive positive et empowering.
Rappelons, toutefois, que les efforts de sensibilisation par les organisations de santé publique, conscientes de cette réticence, intensifient les campagnes d'éducation et de sensibilisation. Sur les chaînes de télévision, ils en parlent. Cela se confirme au centre de santé de Grand-Dakar, où on y voit des textes et des messages inscrits dans l’enceinte du bâtiment qui appellent au dépistage. Le docteur Aminata Niang souligne : ‘’Il est essentiel de démystifier le dépistage. Je conseille à toutes ces femmes qui hésitent que le cancer très tôt dépisté et détecté peut guérir. Il y va donc de leur intérêt. Surtout que le dépistage est accessible à tous, car il y a la subvention de l’Etat et des journées de dépistage gratuites. Elles n’ont pas le droit de penser ainsi’’, a-t-elle déploré.
Alors, il serait crucial que les efforts pour combattre la réticence chez certaines femmes face au dépistage se poursuivent. Cela passe par une éducation constante et par des campagnes de sensibilisation plus inclusives, car le dépistage précoce reste un élément clé pour sauver des vies. Et pour que cette action soit effective, la santé des femmes doit être pleinement intégrée dans les priorités de notre société.
THECIA P. NYOMBA EKOMIE