De la professionnalisation de l'activité politique
Faut-il se résoudre à ce que la politique soit fondamentalement un métier dans lequel on «enfile» un profil de carrière ? Cette question n’est pas dissociable du fait de savoir si on doit concevoir la politique dans les limites de la délégation.
La plupart de ceux que nous appelons «hommes politiques » consacrent toute leur énergie et toute leur vie à la politique, dont ils tirent aussi leurs moyens de subsistance.
La politique devient cet ascenseur social pour accéder très vite au prestige et à la fortune. Pour toute une série de raisons, la professionnalisation de l’univers politique a toutefois été poussée beaucoup trop loin.
La politique, cet ascenseur vers l'embourgeoisement
Dans toutes les chapelles politiques, le jeu des carrières électorales a secrété une élite de plus en plus spécialisée. Sa longévité et sa reproduction ont été assurées par tout un système de cumul des mandats, de contrôle des fiefs locaux et de maîtrise des appareils politiques.
Une caste de professionnels de la politique a ainsi pu contrôler progressivement le jeu démocratique. Le phénomène est porté à son paroxysme lorsque les responsabilités échoient à des personnes qui n’ont jamais exercé d’autre activité professionnelle dans leur existence.
Mais qu’est-ce que faire de la politique ?
Vient immédiatement l’idée d’habileté, de sens tactique, de talent manœuvrier. C’est souvent dit avec une forme de respect : « il est très politique ». On touche là un des problèmes moraux de l’action, en particulier de l’action politique : les moyens l’emportent-ils sur la fin ? Faire de la politique devrait être entendu comme se préoccuper des citoyens (qu’attendent-ils ?) et pas seulement de l’énoncé de mesures et de chiffres.
Pour faire de la politique, il faut aimer les gens. Les citoyens-électeurs peuvent être aussi bien pénibles que merveilleux. Au cours d’une permanence, vous êtes confrontés à la misère, à l’injustice, parfois au désespoir. Le poids des souffrances finit par peser sur vos épaules. Il ne faut jamais être un marchand d’illusions mais un médecin qui indique au patient ce que vous ferez et ce qu’il devra faire. Et puis, la fois suivante, vous serez porté par l’énergie créatrice d’un porteur de projets ou d’un fabricant de solutions.
Former les citoyens à l'armature de la démocratie
Pour notre démocratie, la violence débridée de ses acteurs peut se révéler une maladie mortelle. Au nom de critiques ou d’exigences qui peuvent être fondées, elle est en train de mettre à bas les règles qui sont au cœur du fonctionnement démocratique. La violence dans les rapports sociaux et politiques ne connaît qu’une seule issue : la loi du plus fort. Pour reconstruire la démocratie, je ne crois pas au grand soir constitutionnel ni à la palabre générale. Il faut des actions exemplaires et des acteurs engagés. La contamination par l’exemple est plus efficace que l’instruction venue d’en haut. Nous devons faire, dans un contexte très difficile, un gigantesque effort pédagogique pour retrouver le sens et la pratique de ce qui fait l’armature de la démocratie : la formation de citoyens. Apprendre à comprendre avant de condamner. Apprendre à écouter les autres. Réapprendre le respect. Apprendre à débattre sans se battre. Illusoire tout cela ? Infaisable ? Non, vital.
Tout commence à l’école. L’éducation morale et civique telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui est très insuffisante. Il faudrait aussi organiser des « écoles des parents » capables de venir en aide aux parents en difficulté. Tout ceci ne se fera pas dans un monde abstrait, mais dans un monde façonné par des luttes et des coopérations qui déterminent une orientation politique. Ce n’est pas à la politique de déterminer le bien et le mal. Mais la politique devrait contribuer à apporter un peu plus de justice. Difficile de définir abstraitement ce qu’est la justice. En revanche, dans des situations concrètes, il est possible de partager un jugement sur ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. La recherche d’un monde plus juste, c’est le fil rouge des vrais engagements politiques.
Limiter les mandats dans le temps et l'espace
J’ajouterais enfin que, pour faire de la politique, il faut vouloir ne plus en faire ! C’est-à-dire accepter que faire de la politique est une mission et pas un métier, qu’on a un mandat mais qu’il peut demain disparaître, que d’autres prendront le relais.
La politique doit rester un engagement éphémère, quelque chose pour lequel on se bat en faisant de son mieux et laisser la place devant l'accompli. Ce qui n’empêche pas d’agir de mille et une façons, car la politique est partout !
Comment sortir d’une pareille spirale? Il serait vain de compter sur une prise de conscience, de la part de la classe politique, du danger qu’elle court à s’autonomiser à ce point de la société.
Le remède radical serait d’instituer une limitation du cumul des mandats, non seulement dans l’espace mais dans le temps. Cela éviterait la constitution d’un classe de professionnels de la politique quasiment à vie et éviterait la sclérose de la permanence et permettrait un renouvellement fréquent et salutaire des personnels politiques.
K.G 19 novembre 2024
Par Khady GADIAGA