La note d'espoir
![](https://enqueteplus.com/sites/default/files/styles/article-default/public/main/articles/capture_decran_2025-02-13_a_18.49.26.png?itok=sEMsso_W)
Face à la presse hier, le ministre des Finances et son homologue de l'Économie ont tenté de rassurer, malgré une situation catastrophique.
Après avoir suscité la grande inquiétude, le gouvernement tente de rassurer. Malgré les constats effarants, avec un déficit budgétaire évalué à plus de 12 %, un encours de la dette de près de 100 %, le ministre chargé de l'Économie et du Plan a bien voulu faire croire que cette dette reste quand même soutenable. Rappelant que la dernière analyse conjointe de viabilité de la dette du Sénégal réalisée par le FMI et la Banque mondiale, en juin 2023, avait maintenu le Sénégal à un risque de surendettement modéré, il déclare : “L’analyse de viabilité de la dette réalisée par mon département révèle que la dette du Sénégal est toujours soutenable. Même si le ratio d’endettement a fortement progressé, l’ajustement budgétaire entamé dès cette année devrait aider à stabiliser la dette à moyen terme”.
De l'avis du ministre Abdourahmane Sarr, le Sénégal a une bonne structure de la dette. Son coût moyen, justifie-t-il, reste inférieur au taux de croissance de l’économie. “Le taux d’intérêt moyen est estimé à 4,6 %, alors que le taux de croissance est projeté en moyenne à 6,5 % bien au-dessus. Le déficit primaire qui stabiliserait la dette à 100 % du PIB (c’est-à-dire celui qui exclut les intérêts) est de 4 %, alors que nous avons un solde primaire en excédent de 1 % du PIB après les régularisations dont nous avons parlé tantôt et le nettoyage du portefeuille de projets que nous avons fait en 2024”.
Cela dit, Abdourahmane Sarr n'a pas rechigné sur les qualificatifs pour juger ce qui a été fait par l'ancien régime. Il a dénoncé les nombreuses dépenses “engagées en dehors des circuits budgétaires normaux et sans autorisation parlementaire”. Le ministre est revenu sur le mécanisme qui a été à l'origine de cette situation. “... Ceci a été rendu facile par des pratiques budgétaires qui consistaient, d’une part, à effectuer des transferts budgétaires dans des comptes de dépôts de l’État afin de pouvoir effectuer des dépenses supplémentaires non autorisées et pouvoir assurer le service de dettes (intérêts et amortissements) cachées contractées sans autorisation parlementaire”, a-t-il expliqué.
Certaines de ces dettes, ajoute le ministre de l'Économie, venaient dans une moindre mesure du secteur bancaire local, mais surtout de décaissements sur des projets financés sur ressources extérieures, parce que l’argent était disponible auprès des partenaires. “Pour donner un caractère légal à ces pratiques, les autorités sortantes donnaient des lettres de confort ou des lettres de couverture budgétaire afin que les travaux en question non prévus par les lois de finances votées puissent se faire”, a-t-il soutenu.
À en croire le ministre de l'Économie et du Plan, “il est important de comprendre que ce n’est pas parce que des ressources sont disponibles chez des partenaires qu’il faut les mobiliser surtout pour des projets qui ne sont pas productifs. Ce n’est également pas parce que des ressources sont disponibles qu’il faut les mobiliser, surtout si la conséquence est une accumulation de dettes que vous risquez de ne pas pouvoir rembourser, puisqu’elles n’étaient pas prévues dans vos capacités. Ce sont ces pratiques que nous avons arrêtées”.
Le ministère des Finances s'ajuste
Dans son intervention, le ministre chargé des Finances a mis l'accent sur les perspectives de réformes pour une gestion plus efficiente des finances publiques. Le gouvernement, selon lui, a engagé une réforme en profondeur de la gestion budgétaire et de la dette publique avec un objectif très clair : assurer la viabilité des finances publiques, tout en préservant la souveraineté économique.
Ces réformes, souligne-t-il, s'articulent autour de trois axes, à savoir le renforcement du contrôle budgétaire et de la gestion des investissements publics, la modernisation et la digitalisation de la gestion des finances publiques, les réformes structurelles visant une réorganisation des services impliqués dans la gestion de la dette.
Pour y parvenir, le gouvernement compte améliorer la qualité de la gestion comptable et de l'information financière, à travers la mise en place d'un système d'information intégré de gestion des finances publiques. Un système qui devra garantir un meilleur contrôle des dépenses et des financements. “Cette modernisation permettrait d'améliorer la qualité et la fiabilité des données, de faciliter leur accès et d'assurer la sincérité des comptes publics”.
Dans le même sillage, le ministère des Finances compte instaurer “un contrôle plus strict des projets financés sur ressources extérieures avec la désignation d'un agent comptable chargé du suivi comptable des projets financés à cet effet. Cette mesure vise à assurer un contrôle rigoureux et une meilleure gestion des engagements financiers du pays”, a plaidé Cheikh Diba, qui annonce également “la réorganisation du réseau comptable, afin d'accélérer la centralisation des données, d'améliorer leur fiabilité et d'optimiser la gestion de la trésorerie de l'État’’.
En ce qui concerne le deuxième axe qui porte sur la réforme de la gestion de la dette publique, le ministre des Finances a expliqué qu'il s'opérera à travers le retour à l'orthodoxie dans la gestion de la dette par une centralisation des fonctions de négociations, d'utilisation et de gestion de la dette publique. “Cette centralisation permettrait de surmonter les difficultés liées à la dispersion des compétences dans l'administration de la dette publique. Cela passera notamment par la création d'un service unique au sein de l'État, compétent pour la gestion des emprunts et des garanties associés. Ce qui assurera une approche plus transparente et harmonisée de la politique d'endettement”, assure-t-il.
Quant au troisième axe qui porte sur le renforcement de l'efficacité et de la transparence des finances publiques, l'argentier de l'État compte y parvenir à travers le “renforcement du dispositif de collecte et de fiabilisation des informations sur les finances publiques, l'instauration d'une déclaration de responsabilité personnelle de tous les agents impliqués dans la production de l'information financière.
Les trois axes de la réforme
Par ailleurs, interpellé sur les implications de cet audit des comptes publics sur la mobilisation des ressources et les capacités d'endettement du Sénégal, le ministre a voulu rassurer l'opinion. L'ambition du Sénégal, dit-il, c'est de compter d'abord sur ses propres ressources. “L'enjeu, c'est le renforcement de notre capacité de mobilisation des ressources internes. C'est à deux niveaux : les ressources qui sont gérées au niveau de la DGID, celles mobilisées par la DGD et, de manière subsidiaire, la Direction de la Comptabilité publique qui encaisse des ressources par constatations. Ce que nous souhaitons faire, c'est d'avoir une deuxième génération de stratégie de mobilisation des ressources à moyen terme, en tenant compte des résultats de la première génération”.
Dans cette perspective, la première action sera la réforme du Code général des impôts, dont les principales dispositions remonteraient aux années 70-80. “Si nous voulons être dans l'air du temps, capter les niches de recettes que nous retrouvons dans l'économie moderne, qui est une économie numérique, une économie de communication basée sur les ressources nationales, il nous faut réinventer un nouveau code. Nous avons déjà stabilisé les termes de référence, élaboré une lettre de mission adressée au Premier ministre qui a donné, avec toutes ses équipes, toutes les orientations requises, afin que la DGID puisse dérouler cette nouvelle réforme”.
La grande innovation, selon lui, c'est que cette fois, ce ne sera pas un code écrit que par les spécialistes du droit fiscal. “Il n'est plus question que l'Administration, que la Direction générale des Impôts et des Domaines, quoique constituée d'experts brillants en matière fiscale, s'enferme dans les locaux du Bloc fiscal et nous viennent avec un code qu'ils ont élaboré dans un français, un droit limpide, bien rédigé, plus ou moins simple. Certainement, ils nous aideraient à procéder à une bonne modélisation juste des aspects juridiques de notre code, mais ils pourraient manquer de vigilance pour des raisons que l'on peut accepter. Pour la plupart, ils sont de brillants juristes certes, mais ils ne maitrisent pas forcément les enjeux que l'on peut retrouver dans le secteur des télécommunications, dans les mines...”, informe le ministre des Finances et du Budget, qui a aussi souligné que son administration compte également renforcer la digitalisation, qui va aussi aider dans la mobilisation des recettes. “L'interopérabilité des plateformes devrait nous permettre de dénicher des entités économiques dans l'informel et de les amener à un meilleur formalisme. Il y a aussi les efforts de facturation électronique à faire en ce qui concerne les transactions internationales”.
Le gouvernement prêt pour le misreporting Après l'exercice de clarification, il reste maintenant à convaincre les bailleurs de fonds, en particulier le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Au mois d'avril, le Sénégal va ainsi passer devant le Conseil d'administration des deux instances. Tout de suite, il faudra s'atteler aux négociations avec le FMI pour un nouvel accord. Ce sera au mois de juin, selon le ministre des Finances. “Notre ambition est de boucler le nouveau programme au plus tard à la fin du mois de juin et de procéder avec la Banque mondiale dans le cadre de l'appui budgétaire durant cette période”, a précisé le ministre des Finances. Pour sa part, le secrétaire général du gouvernement est revenu sur les hypothèses possibles avec le FMI, après le constat du misreporting. “Trois hypothèses sont possibles : qu'ils nous disent payer toute la dette. C'est hors de question, ce n'est pas envisageable. L'autre hypothèse, c'est de suspendre le Sénégal. Nous prendrons acte, mais nous pensons qu'on n’en est pas là. La troisième et la plus plausible, c'est de discuter et de nous demander quelles sont les mesures que nous allons prendre. Et nous n'avons pas attendu le FMI pour prendre des mesures. Ce que nous faisons, nous ne le faisons pas pour le FMI, mais pour nous-mêmes, au nom du Jub, Jubal, Jubanti”, insiste le SGG. Concernant les agences de notation et les risques de voir la note du Sénégal se dégrader, il rassure : “Il n'y a pas à avoir peur en ce qui concerne le FMI et les agences de notation. Ce processus n'a pas commencé aujourd'hui. Il remonte au mois de septembre et à l'époque déjà, les constats étaient graves. Beaucoup avaient peur, mais seule une agence de notation nous avait dégradés. Parce que ce qui importe, c'est là où nous allons, ce que nous voulons faire. Et je pense qu'ils l'ont tous bien compris”. Selon le bras droit du Premier ministre, la note du Sénégal actuellement est équivalente à une note de 13/20. “Comme je l'ai dit, au mois de septembre, une seule agence avait légèrement revu notre note. Là, peut-être certains pourraient le faire, mais la situation est loin d'être alarmiste. Notre ambition est d'aller vers une amélioration de cette note pour la porter à 15/20”. |