Publié le 16 Oct 2024 - 19:16
ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DU 24 NOVEMBRE 2024

Les coalitions hybrides à l’épreuve du discours politique

 

À l'approche des élections législatives du 24 novembre 2024, le Sénégal s'engage dans une phase politique marquée par des alliances inattendues et des coalitions surprenantes. La constitution de la 15e législature représente un enjeu majeur pour le régime d'Ousmane Sonko ainsi que pour une opposition fragmentée, mais désireuse de peser sur la balance politique. Dans ce climat d'incertitudes, le discours politique devient un outil central non seulement pour attirer l'électorat, mais aussi pour donner une légitimité aux alliances improbables qui redéfinissent actuellement le paysage politique sénégalais.

 

Dans ce contexte, le discours politique devient un outil déterminant pour conquérir le suffrage des électeurs. Le professeur Kalidou Sy, spécialiste de l’analyse du discours politique à l’université Gaston Berger, décrypte les enjeux rhétoriques et les narratifs à venir dans ces Législatives.

Selon lui, les discours des différents camps révèlent des faiblesses structurelles, en ce qui concerne la cohérence et la crédibilité, en particulier.

Le nouveau régime : Un discours de rupture en question

Après sept mois au pouvoir, le régime incarné par Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko est confronté à de nombreux défis. Malgré une volonté affichée de rupture, les débuts du nouveau gouvernement sont entachés de doutes et d’écueils. Le discours du régime, censé incarner une nouvelle ère pour le Sénégal, peine à se structurer autour d’un projet clair. Le professeur Kalidou Sy souligne que si le discours de rupture est nécessaire pour marquer une distinction avec l’ancien régime de Macky Sall, il est également crucial de proposer des solutions concrètes aux problèmes quotidiens des Sénégalais.

‘’Ce que les Sénégalais attendent, c’est une vision claire pour l’avenir du pays. Pour l’instant, le narratif du nouveau régime reste trop focalisé sur la critique du passé, sans offrir de réelles perspectives pour l’avenir. Les attaques contre l’ancien régime, notamment sur des questions de corruption, sont certes nécessaires, mais elles ne peuvent constituer l’unique socle du discours politique’’, explique-t-il.

En effet, bien que l’opinion publique ait montré un soutien massif au Pastef à la dernière élection présidentielle, les attentes des électeurs vont au-delà de la dénonciation des abus du passé. Pour maintenir la confiance du peuple sénégalais, Sonko et son équipe devront rapidement élaborer un projet de société ambitieux, capable de répondre aux aspirations des citoyens.

Une opposition fragmentée : Des alliances contre nature

Du côté de l’opposition, la situation est encore plus complexe. Face à la montée en puissance du nouveau régime, d’anciens ennemis politiques se sont alliés dans ce qui semble être des mariages de raison. La grande alliance de l’opposition, constituée de figures comme Amadou Ba, peine à convaincre les électeurs, notamment en raison des contradictions internes et de l’absence d’un projet commun.

Selon Kalidou Sy, cette recomposition politique présente de nombreux risques. ‘’Le fait que des formations politiques qui, hier encore, s’opposaient violemment se retrouvent aujourd’hui sur une même liste pose problème. Cela fragilise la crédibilité de l’opposition aux yeux des électeurs, car ces alliances semblent motivées par la volonté de peser dans l’Assemblée plutôt que par un réel projet de gouvernance. Ce n’est pas parce qu’on a un ennemi commun qu’on doit aller ensemble’’, analyse-t-il.

Il est également difficile, pour ces coalitions, de construire un récit cohérent. Alors que chaque parti cherche à préserver sa propre identité et ses propres intérêts, l’absence d’objectifs communs devient évidente. ‘’Ce qui manque cruellement à cette opposition, c’est un narratif crédible. Les Sénégalais ne sont pas dupes. Ils savent que ces coalitions sont des constructions de circonstance et non des alliances fondées sur une vision partagée de l’avenir du pays’’, poursuit le Pr. Sy.

Le Retour de Macky Sall : Un affront pour le nouveau régime ?

Parallèlement, le retour dans l’arène politique de l’ancien président crée une nouvelle dynamique. Malgré sa défaite, Macky Sall reste une figure influente dans la politique sénégalaise et son retour est perçu par beaucoup comme un défi direct au jeune régime de Sonko et Diomaye Faye.

Beaucoup d’observateurs y voient une source potentielle de tensions accrues. Le retour de Macky Sall est perçu comme une provocation par une partie du nouveau pouvoir. L’ancien président conserve une base électorale solide et des soutiens au sein de l’élite politique. Cette situation risque d’attiser les divisions et de rendre le discours du nouveau régime encore plus défensif, centré sur la nécessité de se démarquer de l’ancien président.

Cependant, ce retour soulève également des questions quant à la stratégie de l’ancien chef de l’État. Après avoir quitté le pouvoir dans un contexte de contestation, Macky Sall peut-il véritablement espérer retrouver une place centrale dans le paysage politique ?

Pour beaucoup d’analystes, la réponse est incertaine : ‘’Tout dépendra de la capacité de Macky Sall à renouveler son discours et à proposer quelque chose de neuf aux Sénégalais. S’il se contente de revenir avec les mêmes idées et la même équipe, il pourrait rapidement perdre son aura politique.’’

Le discours politique comme arme de légitimité

Dans ce contexte complexe, où les alliances se font et se défont, le discours politique joue un rôle central. Il est l’instrument par lequel les acteurs politiques cherchent à convaincre les électeurs de leur légitimité et de leur capacité à gouverner.

Pour le journaliste M. Ndiaye, cette élection sera un test pour la classe politique sénégalaise, en particulier pour le nouveau régime. ‘’Le discours politique ne peut se limiter à des slogans ou à des critiques de l’opposition. Il doit proposer une vision d’avenir, un projet concret pour le Sénégal. Or, jusqu’à présent, ni le nouveau régime ni l’opposition n’ont réussi à formuler un narratif cohérent et mobilisateur’’, constate-t-il.

Il rappelle que les discours électoraux doivent s’inscrire dans une stratégie à long terme. ‘’Les élections législatives ne sont pas une fin en soi. Elles s’inscrivent dans un processus de légitimation du pouvoir. C’est pourquoi il est essentiel que les acteurs politiques se concentrent sur des discours porteurs d’espoir et de solutions, plutôt que sur des querelles partisanes ou des attaques personnelles’’, souligne-t-il.

En définitive, les élections législatives du 24 novembre 2024 seront marquées par des alliances hybrides et des discours contradictoires. Pour le nouveau régime, l’enjeu est de construire un discours de rupture crédible, ancré dans des propositions concrètes pour l’avenir. Pour l’opposition, il s’agit de surmonter les divisions internes et de présenter un projet commun qui convainc les Sénégalais de la pertinence de leur coalition.

‘’Les Sénégalais ne sont pas dupes. Ils attendent des discours politiques qui soient à la hauteur des enjeux du moment. Des discours visionnaires, capables de répondre aux défis économiques, sociaux et environnementaux que traverse le pays. Si les acteurs politiques ne réussissent pas à formuler un tel discours, ils risquent de perdre la confiance des électeurs’’.

AMADOU CAMARA GUEYE

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