“On ne permettra à aucun pouvoir de s'immiscer dans le travail de la Cour des comptes”

Leur rapport sur la situation des finances publiques avait suscité un vif débat dans l'espace public. Alors que certains vouaient aux gémonies la Cour des comptes, d'autres prenaient sa défense et louaient la qualité du travail accompli. A l'occasion, le week-end dernier, de la cérémonie de dédicace du nouveau livre du professeur Abdourahmane Dioukhané sur “Le marché commun de l'UEMOA et de l'Union européenne”, le président de la Chambre de discipline financière, Aliou Niane, a porté la réplique aux détracteurs de la haute juridiction.
“Au niveau de la Cour (des comptes), nous tenons à notre indépendance comme à la prunelle de nos yeux. On ne permettra pas à un seul pouvoir dans ce pays de s'impliquer ou de s'immiscer dans le cadre du travail de la cour. Ce que nous faisons, nous le faisons parce que nous sommes la sentinelle des finances publiques dans ce pays et nous continuerons à l'être”. C'est en ces termes fermes, sans équivoque, que le président de la Chambre de discipline financière de la cour, Aliou Niane, a voulu trancher la polémique autour du rapport de l'institution sur la situation des finances publiques. Réaffirmant l'indépendance totale de la juridiction qui ne dépend, selon ses termes, “ni de l'Exécutif ni du Législatif’’, le magistrat affirme : “Je prends à témoin le Pr Dioukhané. Un président de la République a failli dissoudre la Cour des comptes à cause de son indépendance. Plus récemment, vous avez vu que nous avons sorti un rapport sur le Covid et la levée de boucliers que cela avait suscitée. En tout état de cause, nous le disons de façon très nette : nous sommes un pouvoir, au même titre que le pouvoir Exécutif, au même titre que le pouvoir Législatif. Nous ne dépendons ni de l'un ni de l'autre. Nous assumerons notre indépendance jusqu'au bout, quel que soit le pouvoir qui serait en place.”
Le Premier ministre et certains observateurs avaient estimé que la cour avait trois mois pour produire son rapport et qu'elle aurait dépassé les délais. Pour Aliou Niane, certes, le Code de transparence prévoit un délai de trois mois. Mais c'est une loi ordinaire qui ne saurait prévaloir sur les dispositions de la loi organique 2012-23 sur la Cour des comptes. Il ressort de ladite loi, selon lui, qu'un audit des finances publiques ne peut être fait en trois mois.
“Selon les dispositions de la loi organique, on ne peut faire un audit des finances publiques sur trois mois. La loi organique étant supérieure à la loi ordinaire, nous avons appliqué les dispositions régissant les procédures de la cour. Et pour ça, il faut au minimum trois mois pour faire l'audit, au minimum deux mois pour avoir les conclusions du parquet et au minimum deux mois pour faire le contradictoire. La cour ne peut donc pas faire un rapport sur les finances publiques en trois mois”, rectifie-t-il d'emblée.
Respect du principe du contradictoire
Après cette mise au point, le haut magistrat est revenu sur les nombreuses critiques qui ont été brandies par plusieurs responsables de l'ancien régime. Le premier consiste à dire que la Cour des comptes n'a pas respecté le principe du contradictoire. Sur ce point, le président de la Chambre de discipline financière s'est voulu clair. “La loi organique dit clairement que toutes les procédures de la Cour des comptes sont écrites et contradictoires. Tout ce que nous faisons, c'est donc à partir du contradictoire. Maintenant, lorsqu'on parle de l'audit sur la situation des finances publiques, ce n'est pas un audit qui s'intéresse à des personnes. Il s'agit de mettre le curseur sur la situation des finances publiques en tant T. On ne s'intéresse pas aux ministres. Ce qui nous intéressait, ce sont les administrations qui ont produit les données. Et le contradictoire a été respecté avec ces administrations”, corrige le haut magistrat.
Toujours à l'endroit des tenants de l'ancien régime qui accusaient la cour d'avoir publié un rapport non signé, il rétorque : “Le rapport était bien signé. Maintenant, les publications au niveau du site de la cour, c'est des publications où nous n'avons pas de signatures. C'est la même chose dans n'importe quelle cour. Certains sont allés jusqu'à comparer la dernière page d'un rapport signé et la dernière page du rapport sur le site pour faire croire qu'il y a deux rapports différents. Il n'en est rien. On a juste pris un rapport provisoire dont ils ne devaient même pas avoir copie pour le comparer avec le rapport définitif. C'est donc normal qu'il y ait des différences sur les dernières pages, car il s'agit d'un rapport provisoire et d'un rapport définitif.”
À ceux qui reprochent à la cour de s'être dédite sous le prétexte que c'est la même cour qui a certifié les différentes gestions, le président de chambre apporte la réponse suivante : “J'aimerais attirer votre attention sur un aspect. Il n'existe pas de certificat des comptes au niveau de la Cour des comptes. Ce qui existe, c'est ce que nous appelons le rapport sur l'exécution des lois de finances et la déclaration générale de conformité. Et si vous regardez les différents rapports sur l'exécution des lois de finances, vous verrez que ces rapports sont très critiques par rapport à la gestion des deniers publics”, souligne le haut magistrat.
Dans ces rapports, fait-il remarquer, la cour relève les irrégularités et fait des recommandations. Il en est de même, selon lui, pour la déclaration générale de conformité dont l'objectif est de comparer la comptabilité des comptables et la comptabilité des ordonnateurs et de voir si c'est conforme. “Vous pourrez voir que sur certains comptes, on dit que c'est conforme. Sur d'autres, on dit que ce n'est pas conforme. Et pendant une dizaine d'années, la cour a déclaré qu'il n'était pas en mesure de faire cette déclaration, parce que les éléments qu'on avait ne nous permettaient pas de le faire. Pourtant, toutes ces lois de règlement ont été votées par le Parlement. Ça, ce n'est pas de la responsabilité de la cour”, s'est-il défendu.
Pour rappel, conformément aux directives de l'UEMOA et du Code de transparence de 2012, l'actuel régime avait commandité un audit des finances publiques sur les cinq dernières années de gouvernance du régime de Macky Sall. À la suite de la publication de ce rapport et à l'examen de la Cour des comptes qui s'en est suivi, une vive polémique avait éclaté, avec plusieurs accusations émises contre la haute juridiction. Cette sortie du président de la Chambre de discipline financière est la première réaction d'un membre de la juridiction depuis l'éclatement de cette polémique.