Comment l'intelligence artificielle inonde le monde du sport
Depuis une dizaine d'années, l'intelligence artificielle a, peu à peu, quitté la science-fiction pour s'installer dans notre réalité et le milieu sportif n'a pas manqué de suivre le mouvement.
Une intelligence artificielle (IA) avait fait la prédiction que l'Irlande sortirait gagnante de la Coupe du monde de rugby, avec la France sur ses talons... Si ses dons de voyance sont à revoir, l'IA fait déjà ses preuves dans d'autres aspects du sport. Des clubs de Ligue 1 au XV de France en passant par le tennis, franceinfo: sport décrypte les avancées de cette technologie.
Dans le sport, l'usage des statistiques et des données ("datas" en anglais) ne date pas d'hier. Trouvant son origine dans le milieu du baseball, se développant dans les années 1990, notamment avec les jeux vidéo, la data a pris une place incontournable dans le sport depuis le début des années 2000. Parler chiffres fait désormais partie du jargon sportif, et il n'y a qu'un pas entre analyse de données et intelligence artificielle. Encore faut-il savoir le franchir, et le comprendre.
Data, IA, les hommes de l'ombre
Fabien Galthié, sélectionneur du XV de France, l'a fait il y a un peu plus de trois ans. Après avoir rencontré en séminaire le dirigeant de l'entreprise SAS Viya, il a fait appel à cette entreprise spécialisée dans l'intelligence artificielle pour créer une plateforme adaptée aux besoins de la Fédération française de rugby. "On a voulu répondre à des questions simples, expliquait-il dans une conférence de presse en novembre 2022. Comment mieux s’entraîner pour être meilleur en match ? Comment on va battre notre prochain adversaire ? Qu’ont fait les équipes qui l’ont battu et qu’ont fait celles qui ne l’ont pas battu ?"
Sahbi Chaieb, data scientist, est au cœur de cette collaboration entre haute technologie et rugby. Pour lui, la différence entre data et intelligence artificielle réside dans la capacité de l'IA à "se baser sur un gros volume de données pour que la machine apprenne et qu'elle puisse prendre des décisions ou prédire des événements". Il fait référence à l'analyse prédictive, utilisée pour anticiper le futur sur la base de schémas établis à partir du passé. Grâce à sa plateforme d'IA interactive, le staff des Bleus peut interroger dans le but d'"objectiver ses intuitions", explique Sahbi Chaieb à franceinfo: sport. "L'entraîneur peut demander : 'Quelle est la meilleure option pour faire une sortie de camp ?' Et là, l'IA va faire toute une analyse pour essayer de restituer de la manière la plus claire les risques et les opportunités de chaque option."
Au service de la performance
Cette analyse prédictive n'est pas de la divination. Elle est plutôt la suite logique de ce qu'on appelle l'analyse explorative, qui consiste à regrouper et classifier les données pour en extraire des modèles. Nicolas Buffa, analyste vidéo pour les rugbymen tricolores, résume pour 20 Minutes son action comme la volonté "de sortir de cette masse de données une ou deux informations essentielles à partager aux entraîneurs, qui vont ensuite établir le plan de jeu et en discuter avec les joueurs".
Et ça paie ! Un cas d'école est celui du triomphe des Bleus face aux All Blacks en novembre 2021 (40-25). En utilisant la plateforme, les Tricolores ont tout simplement demandé à l'IA quelles différences existaient entre les équipes victorieuses des Blacks et les perdantes. Buffa expliquait en octobre 2022 dans le podcast Crunch de L'Equipe qu'ils ont finalement "réussi à sortir une info qui a été déterminante dans le gain de ce match. C’était une donnée sur la durée de possession de balle de l’adversaire." En clair, ceux qui perdaient face aux Néo-Zélandais s'exposaient en gardant le ballon trop longtemps. Un temps maximal de possession de balle et un nombre maximum de rucks a donc été déterminé pour le XV de France.
Cet outil efficace s'installe aussi dans le paysage footballistique. Depuis deux saisons, la Ligue de football professionnel (LFP) a mis en place un système de tracking vidéo en Ligue 1 et Ligue 2, retranscrit par une intelligence artificielle. Par le biais de ces vidéos, cumulées aux données GPS des joueurs, toutes les informations cruciales pour le staff apparaissent : vitesse moyenne, de pointe, distance parcourue, actions décisives, passes... L'IA représente une réelle valeur ajoutée : "Pour traiter deux millions de lignes [les données d'un seul match], il faudrait des heures et des heures de travail, estime Aurélien Dubearn, directeur de l'analyse vidéo du Toulouse FC. Ca fait gagner du temps, et ce temps, on peut le réinvestir ailleurs". Ensuite, à chacun d'utiliser au mieux les données de la LFP pour en tirer le meilleur profit.
Reste une interrogation en forme d'inquiétude permanente : les IA, qui peuvent travailler jour et nuit, remplaceront-elles les hommes sur le bord du terrain ? Aurélien Dubearn concède qu'à la vitesse où elle progresse, elle va s'octroyer une place de choix, mais il n'est pas question de remplacer le facteur humain : "Forcément, il y aura un département qui sera dédié à l'intelligence artificielle dans les équipes, comme il y en a un pour la vidéo, qui n'existait pas il y a une dizaine d'années". Il rappelle aussi que "le foot [et le sport en général], ça reste les êtres humains, avec toutes les émotions et ce que ça engendre. Est-ce que l'intelligence artificielle va pouvoir sentir toutes les émotions qu'il y a dans un vestiaire ? Ce n'est pas demain la veille."
Filtrer, cibler les informations, évaluer, comparer en quelques clics les performances individuelles des joueurs et les résultats d'une stratégie... Au final, l'IA fournit un compte-rendu chiffré, précis et fiable, qui vient compléter l'expérience du staff. Pour Damien Comolli, le président du club toulousain, ces méthodes ont pour but d'"enlever au maximum les incertitudes et l'irrationalité qui existent dans le foot", disait-il dans L'Equipe.
Le club toulousain est avant-gardiste dans son utilisation des nouvelles technologies. Dès 2020, il a basé son recrutement sur un algorithme d'IA pour repérer des talents. L'outil développé permet de condenser toutes les statistiques concernant un joueur et de proposer celui qui serait le plus adapté à ce que l'entraîneur souhaite. "Avec notre budget, qui n'est pas l'un des plus gros de L1, il faut essayer de trouver des solutions pour être plus efficaces", expliquait Aurélien Dubearn à France Football.
Arbitre, commentatrice... l'intelligence artificielle s'invite dans les stades
L'IA peut aussi être utile pour les spectateurs. Au vu des récentes protestations des supporters français, puis anglais, face aux décisions de l'arbitre Ben O'Keeffe lors de la Coupe du monde de rugby, l'arbitrage demeure plus que jamais au cœur des débats. Une intelligence artificielle a été capable de comptabiliser les erreurs commises par O'Keeffe, rapporte Ouest-France. Selon elle, il en a commis 10, dont huit qui auraient désavantagé les Français face à l'Afrique du Sud. L'IA peut-elle devenir un soutien des arbitres dans le futur ? Voire pallier le manque d'arbitres officiels dans les divisions inférieures, comme le demande ZDNet, site spécialisé dans les nouvelles technologies ?
Pierre Miralles, responsable de l’IA chez Footovision, une start-up spécialisée dans l'analyse statistique, pointe aussi une aide dans la détection des matchs truqués. "Quand on cherche les joueurs qui performent, on peut également trouver ceux qui sous-performent", détaille-t-il pour L'Equipe.
Grâce à la puissance de l'intelligence artificielle, dans les stades de football, des images 3D peuvent être projetées sur les écrans pour définir si un joueur était hors-jeu ou pas. Pour Guy Accoceberry, ancien joueur du XV de France, le même modèle serait souhaitable en rugby, où les règles sont parfois méconnues ou mal comprises.
Vers une relégation de l'humain ?
Le plébiscite de ChatGPT en est l'illustration, l'IA générative, qui peut construire en temps réel une réponse orale ou écrite à une situation donnée, a fait des progrès considérables. En juillet, cette révolution a trouvé une traduction directe : les commentaires des résumés de certains matchs de Wimbledon ont été réalisés par des IA. Selon les organisateurs du Grand Chelem de tennis, l'objectif à terme serait qu'elles puissent commenter des matchs entiers dans des tournois qui ne bénéficient pas toujours de commentaires. "Remplacer les commentaires de John McEnroe, c'est impossible !", nuance Bill Jinks, le directeur des technologies du prestigieux tournoi londonien. Ni toute-puissante, ni prête à jouer les matchs à la place des acteurs, l'intelligence artificielle et sa démocratisation progressive posent deux questions : jusqu'où pourra-t-elle aller, et va-t-elle conduire à une uniformisation des styles de jeu ?
FRANCEINFO.FR