‘’On ne peut pas engraisser un Etat qui refuse de coopérer’’
Quand il s’agit de défendre les deniers publics, Birahime Seck n’y va pas du dos de la cuillère. C’est ainsi que lors de la restitution du rapport sur l’indice de perception de la corruption 2014, ce membre du conseil d’administration du Forum civil s’était insurgé contre certains pays qui, selon lui, refusent de coopérer dans le cadre de la traque des biens mal acquis. Entretien.
Vous avez dénoncé la duplicité des partenaires financiers du Sénégal dans la traque des biens dits mal acquis. Qu’est-ce qui vous le fait dire ?
Le constat est là ; il est réel. Les bailleurs de fonds étaient les premiers à demander la transparence quand notre pays a voulu engager le combat contre la délinquance financière. Mais lorsque la procédure est enclenchée, ils sont en retrait. C’est ce que nous avons constaté avec la traque des biens dits mal acquis. Certains partenaires financiers comme la Banque mondiale qui ont mis en place l’initiative STAR, n’ont pas véritablement coopérer.
A quoi sert l’initiative STAR concrètement ?
Star entend aider les pays à rapatrier les avoirs volés. La Banque mondiale étant composée de plusieurs pays, elle connaît les paradis fiscaux, les sociétés écrans. Il lui appartient, en tant qu’institution disposant de plusieurs experts, d’aider les pays à rapatrier les avoirs volés. Elle doit surtout assister les commissions rogatoires envoyées par les juges.
Vous pensez donc que ces partenaires techniques et financiers cherchent à protéger les délinquants à col blanc ?
Je ne peux l’affirmer, mais le constat est là. Les partenaires financiers sont les premiers à vouloir aider les Etats africains en leur accordant des prêts, mais quand cet argent est détourné, ils ne font aucun effort pour les recouvrer. Malheureusement, cette dette est payée par les populations.
Pourtant, au début de la traque, le gouvernement disait avoir le soutien des grandes puissances
Malheureusement, on ne sent pas les grands pays comme les Etats-Unis dans ce combat de la traque des biens mal acquis. Il ne suffit pas seulement de donner de l’argent, mais également d’aider les pays à recouvrer cet argent.
Vous faites certainement allusion à l’affaire Karim Wade. Mais est-ce que l’Etat n’a pas surestimé les montants des biens attribués à ce dernier ?
Moi je ne parle pas de Karim Wade ou de quelqu’un d’autre. Je reste sur les principes. Il faut être républicain jusqu’au bout. Il ne s’agit pas d’une surestimation ou d’une sous-estimation. C’est un faux problème. Aucun Sénégalais n’a le droit de tirer un franc du Trésor public sans passer par les règles de l’art. Que ça soit mille francs ou 800 milliards, cela importe peu. Les deniers publics sont sacrés. C’est un principe fondamental. Maintenant, si un Etat étranger sait qu’il y a des fonds déposés dans ses banques, il doit être dans l’obligation de coopérer. Plus on nous donne des fonds financiers, plus l’argent est détourné, plus on s’enfonce dans la pauvreté.
Nos confrères de Libération ont révélé que le Roi Mohamed 6 n’a pas donné suite à la note que lui a adressée la commission rogatoire envoyée par la CREI. Quel est votre commentaire ?
L’enseignement que je peux tirer de l’attitude du Maroc, c’est qu’il est incohérent qu’un pays puisse refuser de coopérer avec un autre dans le cadre d’une enquête alors que ce pays (Maroc) gagne des contrats de construction de logements, de routes… L’Etat du Sénégal ne doit pas être complice de ce double jeu.
Ets-ce que l’Etat marocain ne cherche pas à couvrir ses concitoyens d’autant que la BMCE (Banque marocaine de commerce extérieur) est citée dans l’affaire Karim Wade ?
Que cherche-t-il à protéger ? De quoi l’Etat marocain a-t-il peur ? Est-ce qu’on est en face d’une banque délinquante ? Aujourd’hui, l’Etat marocain doit impérativement coopérer. Parce que le Sénégal est lié au Maroc par les conventions internationales, les traités internationaux. Et l’Etat du Sénégal ne doit pas jouer le jeu de ces Etats non coopérants.
C’est-à-dire ?
Qu’il ne nous dise pas que c’est du business. On ne peut pas déconnecter le business de la gestion des ressources publiques. N’oublions pas que l’axe 3 du PSE parle de gouvernance. La gouvernance, c’est la reddition des comptes. Par conséquent, l’Etat marocain comme tous les Etats qui ont des intérêts au Sénégal doivent coopérer. S’ils ne le font pas, l’Etat du Sénégal doit prendre ses responsabilités.
Préconisez-vous par exemple la rupture des relations diplomatiques ?
Il appartiendra aux autorités de la République d’évaluer et d’en tirer les conséquences. Parce qu’on ne peut pas engraisser un Etat qui refuse de coopérer. Pendant ce temps, nos ressources sont pillées.
Est-ce que la non-collaboration de certains Etats peut influer sur le procès de Karim Wade ?
Je ne suis pas dans le dossier. Je constate simplement que le procès est en cours et se déroule normalement. Je ne pense pas que cela puisse influer sur le procès. Que ce soit Karim Wade ou un autre, les Etats doivent coopérer.
Le Nigeria a attendu près de dix ans avant de recouvrer l’argent détourné par son ancien président Sani Abacha…
Avant le recouvrement des avoirs volés par le président Abacha, il n’y avait pas ces mécanismes de coopération internationale, c’est-à-dire la convention de Mérina. D’où l’intérêt pour le Sénégal d’adopter le projet de loi sur le code de procédure pénale qui introduit en son sein plusieurs dispositions. Comme par exemple la création d’une personne morale de droit public chargée de protéger les biens saisis ou confisqués.
PAR DAOUDA GBAYA