Ces dossiers nébuleux qui poursuivront Macky Sall
Le changement de régime en mars 2012 était un espoir de rectifier quelques grandes magouilles économico-financières développées sous les Wade. Mais avec Macky Sall, certaines d'entre elles ont au contraire été consolidées, au grand dam des Sénégalais avides de transparence. C'est le cas du dossier Suneor, mais aussi de l'autoroute à péage et de l'affaire Tahibou Ndiaye.
En arrivant au pouvoir, Macky Sall avait promis d’inscrire la bonne gouvernance au cœur de son action. C'est un fait. Mais force est de constater que cette promesse reste à l’état d’intention sous plusieurs points au regard de nombreuses affaires dont le caractère scandaleux a souvent été recyclé en fait accompli durant ces 18 premiers mois d’exercice du pouvoir.
Et parmi les scandales, on peut citer l’affaire Suneor (ex Sonacos), une unité industrielle nationale cédée quasi gracieusement par l'ancien régime des Wade à l'homme d'affaires franco-sénégalais Abass Jaber. A ce propos d'ailleurs, faut-il rappeler que l'actuel ministre chargé de la Promotion de la Bonne gouvernance, Abdou Latif Coulibaly, sous sa plume de journaliste, s'était ému d'une transaction absolument scandaleuse quand on sait que le seul patrimoine de l'entreprise pouvait être évalué à plusieurs dizaines de milliards de francs Cfa. Or, Jaber n'avait pas décaissé plus de 10 milliards de francs Cfa.
Le scandale Suneor recyclé en profit politique
Alors que l’on s’attendait à une procédure judiciaire en bonne et due forme pour vider ce deal réalisé au détriment des intérêts du Sénégal, le régime de Macky Sall s'est engagé dans une sorte de médiation pénale qui a été tout bénéfique pour Abass Jaber. Au terme d’«un protocole d’accord signé avec l’Etat du Sénégal», l’homme d’affaires accepte de transiger pour la somme de 5,4 milliards de francs Cfa dont la première tranche de 2, 4 milliards aurait été remise au mois d’avril, le reliquat étant prévu en septembre.
Si l’Etat a cru avoir réussi un bon coup en invitant la presse à la cérémonie de remise d'un chèque à cet effet, une bonne partie de l’opinion sénégalaise est restée plutôt dubitative face à une «opération opaque de transaction». «C’est un faux-fuyant présidentiel pour ne pas faire face à l’acte d’enrichissement du sieur Jaber qui, en complicité avec Wade et son fils, sous le magistère de Macky Sall comme Premier ministre, s’est enrichi de manière illicite à travers le bradage volontaire de la Sonacos», avait déclaré Amadou Guèye, président de l’Union des indépendantistes du Sénégal (UNIS) dans un communiqué rendu public. Pour lui, l’acte «d’enrichissement illicite ne peut être mieux établi que dans ce dossier qui a permis de donner un patrimoine au prix de 2 milliards, si l’on intègre le plan social qu’il a financé pour 4 milliards contre 6 milliards décaissés par Jaber».
Face à la pression des travailleurs qui exigent la «renationalisation» de la Suneor, l’Etat va-t-il revoir sa copie dans ce sulfureux dossier ? En tout cas, l’affaire Tahibou Ndiaye montre que le gouvernement d'Aminata Touré n’a pas trop de choix par rapport à la traque des biens mal acquis. Accusé d’«enrichissement illicite» pour un montant d'environ 8 milliards, l’ancien directeur du cadastre a dû casquer 3 milliards (en biens immobiliers et autres) pour échapper à la prison. Selon les mauvaises langues, l'Etat a tellement besoin d'argent liquide ou d'autres biens pour financer les promesses du président de la République qu'il en vient à «accepter n'importe quoi à n'importe quel prix». Le tarif semble désormais connu des poursuivis et autres suspects : c'est presque du fifty-fifty pour ne pas aller à Rebeuss. L'Etat avait écarté tout ce qui pourrait être assimilé à de la compromission, aujourd’hui, par la force des choses, Macky Sall semble s'être démarqué de cette position initiale.
Cheikh Amar et les phosphatagesa
Pressé par une opinion qui attend toujours le rapatriement des «600 milliards planqués à l’étranger», le président de la République semble opter pour un… raccourci pour rentrer dans ses fonds. Pendant que les dignitaires de l’ancien régime sont traqués, d’autres semblent se tirer d’affaire. C’est le cas de l’homme d’affaire Cheikh Amar, proche de l’ancien président Wade, qui au lendemain de l’alternance, a été au cœur de la controverse autour des 8 milliards que l’ancien régime lui avait alloués au terme d’un décret d’avance pour le «phosphatage» de Matam. Mais n’ayant «pas exécuté ce travail», l’Etat avait décidé de poursuivre le patron du Tse. Face aux députés, en octobre 2012, Abdoulaye Daouda Diallo, alors ministre du Budget, déclarait : «Je confirme que la totalité du montant a été payée et versée au contractant (…). l’Etat a le droit de poursuivre la personne pour récupérer l’argent. Il peut initier une procédure pénale dans le but de reprendre 1,733 milliard de FCfa» déjà versé à l’homme d’affaires.
Deux mois plus tard, c’est-à-dire en décembre 2012, c’est un revirement à 180 degrés. Le président Macky Sall ordonne le paiement de 23 milliards de francs Cfa que l’Etat «devait» à Cheikh Amar. Un montant qui correspond à ce qu’«il a pré-financé pour les campagnes agricoles, l’achat de matériel agricole à l’Etat du Sénégal, des véhicules qu’il a concédés à l’administration territoriale pour équiper les gouvernances, les préfectures et les sous-préfectures, entre autres». L’homme d’affaire, qui était sous la menace de poursuites judiciaires, est aujourd’hui entré dans les bonnes grâces du président de la République et se voit octroyer un bon stock de marchés relatifs au monde rural. Qui disait que les politiques s'entendent toujours avec les hommes d'affaires bailleurs de fonds potentiels