‘’Le rapport entre un marabout et son disciple, c’est comme le lien qui lie un cadavre et celui qui le lave’’
Face à un monde qui connait des mutations, avec la montée de l’extrémisme religieux et la présence des masses médias, que doit être le comportement d’un mouride modèle tel que défini par Serigne Touba Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, le fondateur du mouridisme ? Le chercheur Cheikh Oumar Bamba Diop évoque la question dans cette interview.
Quelle est la place d’un disciple dans le mouridisme et quels sont ses rapports avec son guide spirituel ?
Le disciple est avant tout celui qui aspire à l’agrément de Dieu, en se soumettant aux ordres d’un cheikh qui a une connaissance large et des savoirs qui permettent de purifier l’âme, afin d’avoir une reconnaissance de Dieu. Dans un de ses ‘’khassida’’ qui parlent des critères d’un bon mouride, d’un bon postulant, Serigne Touba le définit comme quelqu’un qui voue un amour incontestable envers son marabout, qui exécute ses ordres sans rouspéter, qui a confiance en ses décisions, même si parfois ça va à l’encontre de votre vision cartésienne et le fait de se départir de ses choix, en se soumettant complétement à sa volonté. Voici les quatre conditions pour être un bon talibé.
Justement, que doit être le rapport entre un marabout et son disciple ?
C’est comme le rapport entre un cadavre et celui qui le lave. Le cadavre n’a aucun choix, ni d’opinion à donner. Il se soumet exclusivement et totalement à celui qui le lave. C’est ainsi que doit se comporter le postulant qui veut avoir l’agrément de Dieu, en passant par quelqu’un qui a la maitrise des sciences concernant l’âme et sa purification. Il doit se soumettre entièrement à lui.
Quel est le prototype du disciple modèle ?
Un disciple modèle doit être tout d’abord un bon musulman. Pour être un bon mouride, il faut d’abord être un bon musulman. Etre un bon musulman, c’est marché entre les rails du Coran et de la Sunna. Comme le dit Serigne Touba : ‘’Celui qui veut accéder à l’agrément de Dieu, doit passer par la Sunna du Prophète Mouhamed (PSL). Donc, il doit apprendre les sciences, la jurisprudence islamique, pour pouvoir bien pratiquer l’islam dans toute sa globalité. Mais aussi savoir si, par erreur ou accident, le culte est entamé et qu’il puisse le réparer. Il doit s’acquitter des trois sciences qui constituent l’islam, à savoir connaitre Dieu, ne jamais l’associer à quoi que ce soit et l’application stricte de la religion, en se basant sur le Coran et la Sunna, à savoir les hadiths et le consensus des oulémas. Par exemple, concernant les questions qui sont trop modernes, comme le clonage humain ou la fécondation in vitro, sont des questions qui n’ont pas été débattues devant le Prophète Mouhamed (PSL). Maintenant, il incombe de retrouver le consensus des oulémas. Il s’agit, ici, des questions qui n’ont pas été tranchées clairement ou textuellement dans le Coran ou la Sunna. Là, ça requiert l’avis des savants musulmans.
Donc, le fait de s’acquitter de l’islam, c’est de maitriser le Coran ou le culte dans le Coran, la Sunna et le consensus des oulémas. Ce que Serigne Touba a très bien fait pour nous. Il disait que c’est son devoir à lui, une dette qu’il a envers nous de nous écrire tout ce dont nous aurons besoin pour bien rendre le culte à Allah (SWT) et bien nous acquitter de trois conditions pour être un bon musulman.
Le mouridisme est une branche du Tassawouf qui est une science qui enseigne l’islam. Quand on s’apprête à vouer un culte à Dieu, il faut être certain qu’Il te voit, même si on n’arrive pas à Le voir. Donc, avoir en conscience sa présence, et faire toutes les choses en Le gardant dans son esprit, pour avoir l’humilité du corps et l’âme qu’il faut devant la grandeur divine. Alors celui qui assimile ces trois sciences devient un bon mouride. S’il les perfectionne en le pratiquant bien avec tout le respect qui sied, il peut devenir un cheikh. Serigne Touba a dit que la première obligation d’un mouride est d’apprendre les sciences.
Donc, un modèle mouride est celui qui s’acquitte de toutes ses obligations divines.
Face à cette nouvelle génération, avec l’avènement des réseaux sociaux, comment doit être les relations entre un disciple et son guide spirituel ?
Nous avons eu la chance d’avoir un guide qui n’a rien laissé en rade. Il s’est prononcé sur toutes les questions qui puissent nous interpeller, tout au long de notre vie. C’est ainsi que, pour les règles de bienfaisance, de politesse, il a écrit un livre intitulé ‘’La voie pour l’accomplissement de tous les besoins’’. Dans ce livre, il nous enseigne les bonnes règles et comportements à tenir, du respect envers notre prochain. S’il est plus âgé que nous, qu’on le considère comme un grand frère ; s’il est de notre âge, comme notre propre personne ; de nos parents comme des parents. Il a dit : ‘’En chaque créature, respecte celui qui l’a créée.’’ C’est un mot qui résumerait cette situation.
Ce qu’on voit dans les réseaux sociaux, c’est un manque d’éducation. Si on avait appliqué ses règles de politesse, on aurait des relations fluides, basées sur le respect mutuel et l’amour. Donc, il incombe à chaque mouride, à chaque fois qu’il se retrouve devant son clavier, de se rappeler de ces paroles de Serigne Touba, Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoulilah. Ce dernier interdit même à quelqu’un de dire, même si on est conscient qu’il a tort, clairement qu’il ment ou qu’il n’a pas raison ; à plus forte raison l’insulter de mère ou de père. Le mouridisme ne laisse rien en rade. Il est venu pour assainir nos relations aussi bien virtuelles que physiques. Il incombe à chaque mouride de respecter les règles de bienfaisance et de politesse, que le cheikh a bien écrit dans ce livre et aussi dans les citations de ses conversations qu’il a eues avec ses contemporains et ses disciples. Il disait, dans ce même livre : ‘’Gloire au Seigneur qui a fait dans la politesse que cette dernière occulte la bassesse de la naissance ou l’absence des valeurs.’’
Donc, celui qui veut s’afficher devant Dieu et ses prochains, exempt de reproches, il doit essayer de s’acquitter de ces ordres du cheikh cités dans ce livre.
Quelle est la place d’un mouride, dans une société et surtout pour l’émergence de la ville sainte de Touba ?
Vous savez, comme j’ai toujours l’habitude de le dire, parmi toutes les voies du soufisme, seul le mouridisme prend en charge la relation verticale et horizontale. C’est-à-dire le rapport qui nous lie avec Dieu est bien entretenu et mis en exergue, aussi bien que le rapport qui nous lie avec nos prochains, avec notre environnement et contemporain. C’est ainsi que le cheikh a élevé au rang de culte le travail. Il a même dit ses vérités qui vont l’encontre des anciens soufis qui voulaient exclure le travail, la quête du licite dans l’adoration de Dieu. C’est ainsi qu’il a dit : ‘’Celui qui se dit être soumis à Dieu à tel point qu’il délaisse le travail et la quête du licite, celui-là ne pose que des actes de folie.’’ Il a encouragé le travail et a dit : ‘’La quête du licite est un devoir pour chaque musulman.’’
C’est ainsi qu’on retrouve dans ses grands disciples Cheikh Ibrahima Fall qui disait : ‘’Chaque travail bien fait est une prière.’’ Ceci vient corroborer les mots que je viens de dire sur le travail élevé au rang de culte. Donc, il incombe à tout mouride de travailler là-dessus pour son développement personnel, pour entretenir sa famille et aussi entretenir sa religion. Celui qui dépend d’une autre personne sera obligé de la suivre, même si cette dernière suit un mauvais chemin. Donc, on doit nous acquitter tous de notre devoir de travailler pour être libre dans nos choix et foi. C’est ainsi que le cheikh avait ordonné à ses disciples, à Diourbel, à chacun de regrouper 28 F de l’époque, pour participer à l’effort communautaire du mouridisme. Une fois que cette somme a été réunie, il a leur a dit que ce qu’il vient de faire, ce n’est pas par amour pour l’argent, parce qu’il ne le touche même pas, mais c’est pour leur apprendre à être autonomes, à voler de leurs propres ailes. Car celui qui détient votre finance aura la mainmise sur votre cœur et sur vos actes et il veut leur éviter cela. Qu’ils apprennent à se prendre en charge, quelles que soient les situations.
Une leçon qui a été bien sue par les mourides qui se sont acquittés des travaux herculéens, en se basant sur les leçons du cheikh sur le licite. Le mouride du XXIe siècle comme celui du XXe siècle doit ériger le travail comme un culte qu’il voue à Dieu. Tous les moyens qu’on utilise pour sauver sa foi, sont des actes de culte. Il disait à Mame Thierno Birahim : ‘’Il se trouve dans l’agriculture de la nourriture pour tout le monde, mais aussi le moyen d’être autonome dans ta religion.’’ Donc, nous devons travailler afin d’entretenir Touba, le lopin de terre, mais aussi Touba, l’idéal vers lequel chaque mouride converge.
Dans ‘’Matlaboul Fawzeyni’’, on sait que le cheikh est en train d’étaler le rêve qu’il a de cette ville qu’il est en train de fonder. On comprend aussi à travers ce ‘’khassida’’ que Touba est un idéal au-delà même du lopin de terre. Qui mène vers la perfection de l’âme. Cet idéal doit être notre destination finale. Chaque pas que nous posons aujourd’hui peut contribuer à hâter ou ralentir notre marche vers cet idéal.
Donc, Touba doit être notre priorité, qui doit être préservée. La lettre et l’esprit doivent être un sacerdoce pour nous tous, parce que Touba a une lettre et un esprit qui se résument dans ‘’Matlaboul Fawzeyni’’, pour dire quelle Touba il veut. Et nous, notre amour, ne doit être qu’une parcelle dans le sien, car devant lui, nous n’avons pas de choix. On doit se soumettre comme un cadavre à celui qui le lave.
Il faut aussi que les jeunes se rappellent à l’ordre et rentre dans les rangs. Il faut qu’ils sachent que le mouridisme a une autorité centrale et nous devons tous être sous la gouverne. On doit l’obéir au doigt et à l’œil. C’est ainsi et seulement ainsi que nous formerons une synergie qui pourra donner corps aux rêves et aux ambitions de nos guides et du cheikh lui-même.
Ni la politique, ni l’activisme, ni rien d’autre dans ce monde qui doit pousser le mouride à désobéir à l’autorité. Nous devrons, à tout moment, être sous la tutelle d’un guide, d’un mentor. Le mouride n’est jamais libre. Il s’affranchit par l’assujettissement. Ceci est vital est nécessaire, voire crucial, même pour les réalisations de ce que nous voulons à Touba et la réalisation de nos propres vies.
Justement, dites-nous s’il y a une différence entre les anciens et les nouveaux disciples ?
Même dans le Coran, Dieu dit : ‘’Ne seront jamais égaux ceux qui se sont engagés auprès du Prophète Mouhamed (PSL), avant l’ouverture de La Mecque. Cela veut dire pendant les premières heures sombres de l’islam.’’ Il dit aussi que ‘’ceux qui suivront après auront leur mérite. Mais ceux de la première heure n’ont pas d’égal’’. Ainsi, ceux qui ont vécu auprès du cheikh comme Serigne Adama Guèye, qui fut le premier mouride à faire acte d’allégeance, Serigne Massamba Diop Sam, Serigne Ibrahima Sarr Ndiagne, Cheikh Mouhamadou Fa Diama Niang, Serigne Mbacké Bousso, Serigne Darou Assane, Serigne Dame Abdou Rahmane, Cheikh Ibrahima Faty Borom Darou Mouhty, Mame Cheikh Anta, ainsi que la première génération de Mbacké Kadior, n’auront jamais d’égal dans le mouridisme. Ils ont tété à la mamelle nourricière du cheikh. Ils ont stocké des quantités énormes de lumière intarissable qui font d’eux des phares à travers le monde et l’histoire.
Cependant, ceux qui sont venus après, s’ils suivent les pas de ceux qui les avaient précédés, ils seront distingués dans leur époque. Donc, nous devrons tous suivre les pas de ces grands hommes qui se sont donné entièrement au cheikh à leurs périls et risques. Il y en a certains d’entre eux qui ont été menacés de mort par le colon ou l’aristocratie autochtone. Mais ils étaient prêts à en découdre avec qui que ce soit pour leur foi. Ils étaient des musulmans très pieux, des mourides sadikh et des citoyens très engagés pour leur pays. Pour être un bon mouride, il faut apprendre l’islam, les écrits du cheikh. Il faut aussi profiter des ‘’khassida’’ du cheikh qui sont des raccourcis pour avoir l’agrément de Dieu. Il faut aussi se délecter de la servitude, respecter la ‘’khidma’’ et être prêt à le faire pour tout le monde. Le mouridisme enseigne l’humilité qui met en exergue leur dignité. C’est ainsi que, parmi nous, nous avons les baye-fall qui constituent la partie croustillante du mouridisme, avec leur manière de faire, empreinte d’humilité et de pudeur, mais aussi d’engagement.
PAR CHEIKH THIAM