«Tout ce que les Assises ont adopté est encore valable»
Alors que certains jugent non pertinente la Cnri, son président, Amadou Moctar Mbow parle lui d’approfondissement de la réflexion en droite ligne des Assises nationales. C'est l'objet de la rentrée effectuée hier par la Commission des réformes des institutions qui a six mois pour parachever son travail, en s'appuyant sur des sommités de tous horizons.
Amadou Makhtar Mbow a pris le temps hier de répondre aux détracteurs de la Commission nationale de réforme des institutions (CRNI) dont il est le président. Si une frange de l’opinion estime ladite commission «redondante» par rapport à un travail qui aurait déjà été effectué par les Assises nationales, Pr. Mbow, lui, relativise. «Nous pensons qu’il n’est pas mauvais, après tout le travail qui a été fait par les Assises nationales, qu’on revienne encore aux citoyens pour qu’ils confirment leur sentiment et disent leur point de vue détaillé sur des réformes qui ont été esquissées dans la charte de gouvernance démocratique», déclare-t-il au cours d’une conférence de presse. En d’autres termes, la Cnri est un prolongement des conclusions dégagées par les dites assises auxquelles «certains segments de la société n’avaient pas participé». «Tout ce que les Assises ont adopté est encore valable, rassure l’ancien Directeur général de l’Unesco, mais cela ne nous dispense pas, nous des Assises, d’avoir à consulter d’autres si nous voulons que les fils du pays se réunissent autour d’idées et d’orientations fondamentales en matière d’institution».
Née de la volonté du Président de la République d’«organiser une large concertation nationale sur les réformes à mettre en œuvre à court, moyen et long termes, pour doter le pays d’une armature institutionnelle moderne», la Cnri devra prendre en charge plusieurs problématiques. Il s’agit, selon son président, de : la consolidation de l’Etat de droit, l’équilibre des pouvoirs entre l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire, le renforcement de l’indépendance de la justice, l’approfondissement de la démocratie représentative et participative, le renforcement de la protection des libertés publiques, le renforcement de la décentralisation et de la déconcentration, la territorialisation des politiques publiques.
Les habitudes ayant été négativement bouleversées ces dernières années, souligne Mbow, la Cnri a la délicate mission de veiller à la protection des valeurs positives de notre société, la promotion de la bonne gouvernance, de la transparence et de l’éthique dans la gestion des affaires publiques ainsi que la culture de l’imputabilité. Mais aussi garantir la stabilité institutionnelle. La question du mandat du président de l’Assemblée nationale, objet de polémique, sera aussi au menu des discussions. Pour ce faire, indique Mbow, la Cnri «devra s’appuyer sur les principes et orientations du programme Yoonu Yokuté et s’inspirer fortement de la Charte de gouvernance démocratique qu’il (Macky Sall) avait signée et qu’il s’était engagé à mettre en œuvre, s’il était élu».
A l’issue de ces concertations, les conclusions seront soumises à référendum. Les travaux devront durer six (06) mois à compter du mois de mai 2013 au cours desquels, des consultations citoyennes seront organisées. «Hommes et femmes, jeunes et vieux de toutes conditions, de toutes croyances, de toutes appartenances politiques militant ou non dans des partis politiques, membres des organisations de la société civile ou simples citoyens y seront conviés», souligne le patron de la Cnri. Une manière peut-être de rassurer Me Mbaye Jacques Diop, leader du Parti pour le progrès et la citoyenneté, très critique contre une certaine «opacité» dans la conduite des travaux.
A signaler que le Parti démocratique sénégalais (PDS) a décidé de boycotter les travaux de la Cnri.
COMPOSITION DE LA CNRI
Les «Assisards» mènent la barque Pour la réussite de la mission, la Cnri compte sur des personnes choisies «en raison de leur expérience et de leur disponibilité» mais aussi elles y sont «ès nom et qualité». Outre le président Amadou Mahtar Mbow, le vice-président est Mamadou Lamine Loum, dernier Premier ministre du régime d'Abdou Diouf. Le rapporteur de la Commission est le Pr. Abdoulaye Dièye, Juriste et enseignant à l’Ucad, alors que son adjoint est le sociologue Moussa Mbaye. Les autres membres sont : Aminata Diaw Cissé (philosophe), Ndèye Marie Diédhiou (institutrice), Abdoulaye Bara Diop (sociologue), Serigne Diop (juriste, médiateur de la République), Me Sidiki Kaba (avocat), Cheikh Hamidou Kane (administrateur civil, écrivain), Ahmadou Fadel Kane (géographe), Amadou Moctar Mbacké (magistrat à la retraite), Saliou Mbaye (ancien directeur des Archives nationales), Aloyse Raymond Ndiaye (philosophie), Mazide Ndiaye (économiste), Seydou Madani Sy (juriste, ancien recteur de l'Ucad), Maïmouna Ndongo Touré (magistrat à la retraite, ancienne ministre), Samba Traoré (juriste), Babacar Touré (journaliste, président du Cnra). La particularité de cette équipe, est que, mises à part quelques personnalités, tout le reste a été membre des Assises nationales, avec des réunions qui ont toujours lieu chaque mercredi., a révélé le président Amadou Makhtar Mbow. |
BUDGET
700 millions de francs Cfa pour changer les institutions La Cnri va mobiliser 700 millions de F Cfa, a déclaré Mamadou Lamine Loum, vice-président de la Cnri, lors de la conférence de presse d'hier. Le montant sera réparti comme suit : «300 millions pour les équipements et les moyens de roulement ; 400 millions pour les consultations et la campagne de communication». Mais tout le budget n’est pas encore mobilisé. «Il y a un décaissement qui sera fait incessamment par le ministre des Finances», a indiqué l'ancien Premier ministre. |
METHODOLGIE DE LA CONCERTATION La «démarche inclusive» comme credo Le travail de la Cnri reposera sur un «dispositif (qui) combine «trois volets complémentaires d’intervention» : les consultations citoyennes, qui auront lieu dans chaque département et permettront de constituer des panels citoyens et de valoriser les points de vue des populations locales ou du simple citoyen. Des questionnaires adaptés seront élaborés et adressés aux cibles dont l’objectif est de dégager les principales orientations et mesures nouvelles. Le second volet concerne l’enquête par questionnaire, "qui vise surtout à recueillir les points de vue des porteurs d’enjeux». A la différence du premier, «le questionnaire proposé ici est assez détaillé car il passe en revue toutes les propositions de règles nouvelles qui s’alignent en face des diagnostics portant sur les institutions», indique M. Mbow. C'est-à-dire «un questionnaire fermé (avec des réponses «oui» ou «non», complété éventuellement par des observations ou arguments précis) qui fera l’objet d’un traitement statistique simple». Enfin, il y aura les séminaires thématiques et comités ad hoc. Lesquels «mobiliseront essentiellement les experts et des porteurs d’enjeux (partis politiques, entreprises, ONG, instances religieuses, etc.), pour approfondir des dimensions spécifiques identifiées à travers les consultations citoyennes et les réponses aux questionnaires». De plus, les questionnaires (guide d’entretien pour les panels citoyens et le questionnaire d’enquête) sont codifiés et traduits dans les langues nationales afin de les rendre accessible aux populations. Critiquée pour son mutisme, la Commission nationale de réforme des institutions a prévu de mener «une campagne d’information tous azimuts pour informer les citoyens et les organisations sur les modalités de participation aux concertations» ; ce «en collaboration avec les radios communautaires et d’autres médias.» |
TRIPATOUILLAGE DE LA CONSTITUTION, NON SEPARATION DES POUVOIRS… Le diagnostic sévère de Mbow C’est parce que «l’évolution des institutions et des pratiques durant les cinquante ans d’indépendance» étaient inquiétante que la Cnri a été chargée de les reformer. A cet effet, son «diagnostic» est sans appel. «Il (en) résulte notamment que la Constitution - qui régit les institutions de la Nation - a été si souvent modifiée pour des raisons peu louables qu’elle en a perdu de son caractère sacré», analyse M. Mbow. Outre «un manque d’effectivité ou un déficit de mise en œuvre de certains droits et liberté», la Cnri «constate aussi une insuffisante séparation et un équilibre contestable des pouvoirs, en dépit de ce qui est proclamé dans le préambule de la Constitution en vigueur». En effet, «le Parlement n’exerce pas de contrôle efficient sur l’action du gouvernement, se bornant généralement à un soutien inconditionnel à celui-ci. Son rôle en matière d’évaluation des politiques n’est pas assuré». De plus, «le Pouvoir judiciaire n’est pas toujours en mesure d’assurer pleinement ses missions dans l’impartialité, l’équité et l’indépendance». Une situation «qui aggrave encore la situation, c’est la difficulté d’une véritable concertation politique nationale conduisant à des choix communs, et dans l’intérêt commun, du fait de la prolifération des partis politiques aux idéologies et aux programmes parfois peu apparents, l’absence de démocratie au sein de beaucoup d’entre eux, le manque de civisme qui renforce le système clientéliste et aggrave la corruption etc.» |
DAOUDA GBAYA