Quand le pôle agronomique se cherche
Vétusté des infrastructures, équipements obsolètes, laboratoires d’expérimentation qui battent de l’aile pour ce qui en tient lieu, financements modeste… Autant de contraintes multiformes et structurelles qui plombent l’essor de la recherche au niveau du pôle agronomique de l'université de Thiès. Une recherche qui ...cherche encore ses marques.
Vendredi 12 juillet 2013. Il est huit (08) heures à la Direction nationale de l’Institut sénégalais de recherche agricole (ISRA). Debout, dans l’enceinte, Macoumba Diouf, Directeur général de l’institut et quelques membres de son équipe attendent que le groupe de journalistes, une vingtaine, pour la plupart membres du Réseau des journalistes scientifiques et techniques (REJOST), soit complète. Ces derniers sont invités à prendre part, deux (02) jours durant, à une tournée au niveau des établissements du pôle agronomique de l’Université de Thiès et de Bambey sur invitation du Cadre de concertation des institutions de recherches et d’enseignement supérieur ; une branche du Système national de recherches agro-sylvopastorales (SNRASP) et du Fonds national de recherches agricoles et agroalimentaires (FNRAA).
Trente minutes après, le DG Macoumba Diouf explique le rôle de l'ISRA : '' Ici, l’on travaille pour générer des connaissances scientifiques. L’ISRA a aussi pour mission de contribuer largement à la sécurité alimentaire. Autrement dit, à la lutte contre la pauvreté.'' Il note que l’institut appuie et accompagne le secteur privé pour transformer les acquis en opportunités d’affaires. M Diouf ajoute que l'établissement fait dans la coopération scientifique et a valu ''beaucoup de satisfactions'' au pays. D'ailleurs, précise-t-il, le développement de la coopération est une question de survie pour l’institution, car son budget n'est supporté par l’État qu'à hauteur de 50%. C'était juste un début du constat des obstacles auxquels se heurte le secteur de la recherche agronomique...
Vétuste des bâtiments et des équipements
Si des actions urgentes et durables ne sont pas entreprises, il sera très difficile, d’ici à quelques années, de faire de la formation et de la recherche de qualité au niveau du pôle agronomique de Thiès qui regroupe l’essentiel des institutions de formation et de recherche de la zone centre du pays. En effet, le constat a été le même partout : Vétusté des bâtiments, locaux abandonnés, équipement obsolètes et laboratoires qui n'en tiennent lieu que de nom. C'est le décor qui frappe le plus à l’École nationale supérieure d’agriculture (ENSA), à l’Institut supérieur de formation agricole et rurale (ISFAR, ex-École nationale des cadres ruraux – ENCR), ainsi qu’au Centre national de recherche agricole (CNRA). Des établissements presque à ''l’agonie''.
Pourtant, c’est de ces instituts que sont sortis et sortent encore la plupart des ingénieurs, chercheurs sénégalais et étrangers. Et c’est là aussi que la recherche a connu ses lettres de noblesse au Sénégal. Le CNRA, par exemple, a été le centre le plus prestigieux du pays. Les travaux de recherche y ont commencé en 1936 avec la variété d’arachide appelée ''206''. Toutes les variétés d’arachide et de certaines spéculations au Sénégal ont été développées dans cette institution. Le centre dispose d’un laboratoire à partir duquel peuvent se faire toutes les analyses de sol. C’est d’ailleurs à ce centre qu’a été confiée la mission de reconstitution du capital semencier, renseigne son directeur Dr Samba Thiaw.
L’ISFAR n'est pas mieux loti, il ne dispose pas de laboratoire. Les bâtiments ont plus de 50 ans d’âge. ''On se débrouille tant bien que mal. Notre labo n’est pas encore fonctionnel. Nous commençons à recevoir des équipements mais sans laboratoire, on ne sait pas où les mettre'', déplore Mamadou Camara, directeur de l’institut. L'établissement, qui accueille 196 étudiants de huit (08) nationalités différentes, est obligé de combler le déficit de formation par des voyages d’études. Ce qui engendre des dépenses supplémentaires, de l’avis de M. Camara. A l’ENSA, une timide reprise du laboratoire est en cours grâce au projet de recherche sur la valeur nutritive du jatropha. Une bouffée d’oxygène pour l’institut qui vit une ''paupérisation (…) faute d’un engagement constant de l’État et d’une politique cohérente fondée sur la durée''.
''Trop informel''
Selon Moussa Fall, secrétaire permanent du Cadre de concertation des institutions de recherches et d’enseignement supérieur, une branche du Système national de recherches agropastorales (SNRASP), c’est quand l’agriculture se meurt au Sénégal, qu’il n’existe plus de variétés adéquats, que les techniques culturales ne sont plus appropriées, que l’on se rend compte que la recherche est utile dans un pays. ''Quand ils verront que tout tombe à l’eau, ils en feront une priorité et ils financeront la recherche. C’est un drame dans nos pays. On n'est jamais prévoyant, on est trop informel. Il faut planifier les moyens et savoir ce que nous voulons. Tous les pays qui se sont développés le sont grâce à la recherche. C’est la recherche qui a fait le développement des pays. Il faut [investir] dans la recherche. Au Sénégal, les moyens mis à la disposition de la recherche sont dérisoires'', se désole M. Fall. Lequel se réjouit néanmoins que le pays dispose ''d’hommes qui croient'' et de ''chercheurs qui travaillent''. ''Vous ne les entendrez jamais faire la grève ni crier. Ils travaillent dans le silence, [font] des résultats. Ils sont compétents. Il faut simplement leur donner plus de moyens.'', plaide-t-il.
Le tableau n’est pas pour autant si noir partout au niveau du pôle agronomique de Thiès. En témoigne l’existence du Centre d’études régionales pour l’amélioration de l’adaptation à la sécheresse (CERAAS). Une institution mise en place pour répondre aux défis et enjeux de la production agricole en zones sèches. Bâtiments neufs, bureaux et laboratoires équipés. Tout comme l’Université de Bambey et l’Unité de formation et de recherche (UFR) de santé de la capitale du Rail. Deuxième Faculté de médecine au Sénégal après celle de Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), l’UFR de santé de Thiès a été créée en 2008. Elle reçoit 335 étudiants de 17 nationalités différentes. Elle dispose d'un laboratoire polyvalent pouvant accueillir moins de 100 étudiants. ''Les Travaux pratiques (TP) se déroulent bien. Tout ce qui est prévu par le curricula se fait ici'', soutient le vice-recteur et directeur de l’UFR, docteur Mourtala Ka. D'après lui, l'établissement bénéficie de l'appui de partenaires dont la Lonase, la Fondation Sonatel, l'Agence de l'informatisation de l'État (ADIE), les Cimenteries du Sahel et la CDE, et relativement à la réhabilitation de certaines infrastructures. M. Ka informe de la construction prochaine d’un amphithéâtre de trois cents (300) places, d’une bibliothèque numérique mais aussi d’un plateau multifonctionnel pour la pratique du sport.
Le financement en question
Plus reluisants, les résultats obtenus dans la production agricole, dans les techniques culturales, la production d’aliments de qualité, etc.. A travers le Projet de production agricole en Afrique de l’Ouest (WAAP), l’Isra opte désormais, pour dix ans encore, pour une diffusion à grande échelle des résultats de la recherche. ''Il s’agit de valoriser les acquis. Pour cela, il faut que l’État investisse dans les équipements, qui du reste, sont très coûteux, s’il veut atteindre les objectifs de développement agricole qu'il s’est fixés dans le cadre du Yoonu Yokkute'', indique le Directeur général de l’ISRA, Macoumba Diouf. Pour sa part, Moussa Fall du SNRASP estime que la recherche est le parent pauvre de l’arbitrage budgétaire. ''Il est en faveur d’autres priorités'', dénonce M. Fall.
De façon générale, le financement de la formation et de la recherche agricole et agroalimentaire constitue, pour l’essentiel, le maillon faible du secteur. ''Elle n’est pas structurée'', affirme Pape Ibrahima Ndiaye vice-recteur en charge, entre autres, de la recherche à l’Université Alioune Diop de Bambey. En dépit des faiblesses structurelles, la baisse des ressources allouées au secteur a été constante. Hormis la période 1973-1983, la part du budget national dévolue à la recherche n’a cessé de décroître. Les ressources publiques qui sont dégagées sous forme de budget d’investissement couvrant une période de trois (03) ans concernent essentiellement les contreparties aux projets et le Fonds d’impulsion de la recherche scientifique et technique (FIRST). Ces ressources sont souvent consacrées aux salaires des chercheurs et subissent une baisse régulière. Elles plafonnent autour de trois (03) milliards de francs CFA soit environ 0,5% du PIB. Les ressources publiques extérieures sont issues de conventions bilatérales ou multilatérales. Ces fonds qui occupent près de 8,60% du volume global du financement de la recherche deviennent de plus en plus prépondérantes. Cependant, leur mobilisation est parfois accompagnée de conditions contraignantes. En outre, elles ne répondent pas, en général, aux besoins librement exprimés par les chercheurs eux-mêmes alors qu’elles sont issues de prêts contractés par l’État. Les sources privées de financement sont, quant à elles, rares et le FIRST, créée pour mobiliser les financements privés peinerait à relever le défi.
(Autre sources : ''Bilan de la recherche agricole et agroalimentaire au Sénégal 1964-2004'')