Le temple des bonnes pratiques et savoirs agricoles paysans
Au-delà de sa mission de sanctuaire mémoriel, le centre Karonghène Wati Naning de Niaguis est une source vivante et féconde où les générations présentes et futures, d’ici et d’ailleurs peuvent, s’abreuver et s’humecter des bonnes pratiques et savoirs agroécologiques paysans.
A une minute de vol d’oiseau entre le village de Niaguis et celui de Faghote, se dresse le centre de formation et de démonstration Karonghène Wati Naning de Niaguis. L’idée de création de cet outil de promotion et de vulgarisation de l’agroécologie en Casamance, est née en 1985, lors de ‘’longues concertations entre les membres de l’Association des jeunes agriculteurs de Casamance (Ajac)’’, informe Aliou Djiba, le président de ladite association. Ensuite, ‘’les visites d’échanges effectuées au niveau de certains centres agroécologiques en Guinée-Bissau ou encore au Nigeria ont convaincu ces membres de l’impérieuse nécessité de mettre sur pied un prototype de ces centres en Casamance’’, ajoute Mariama Sonko, la coordonnatrice de ce ‘’sanctuaire mémoriel’’ situé au cœur d’une végétation sauvagement belle où il fait bon vivre.
Après une tentative infructueuse à Adéane, le choix du site devant abriter le centre fut porté au niveau du village de Niaguis, à une dizaine de kilomètres de Ziguinchor, sur la RN6. ‘’Ce site de 3 ha, lorsque la commune de Niaguis l’affectait à l’Association des jeunes agriculteurs de Casamance (Ajac), était une forêt touffue. Chemin faisant, il est devenu ce qu’il est aujourd’hui. Preuve que des citoyens de ce pays croient fermement à l’agroécologie qui, au-delà de la pratique, est un état d’esprit qui fait focus sur l’agriculture familiale qui a nourri l’Afrique des siècles et des siècles’’, se réjouit le chef du village de Niaguis, Alassane Ndiaye.
Ce projet de réalisation d’un centre agroécologie fut concrétisé en 2015, grâce au soutien financier de la New Field Foundation basée à Boston, aux Etats-Unis. Le Centre de formation et de démonstration des bonnes pratiques agroécologiques paysannes porta le nom de’’Karonghène Wati Naning’’ qui signifie dans la langue diola ‘’revitaliser, restaurer les pratiques et savoirs paysans, les traditions anciennes en matière d’agriculture et de gestion durable de l’environnement’’. Sur le choix du nom du centre, le président de l’Ajac explique : ‘’Nous prônons et pratiquons l’agroécologie que nos anciens ont, eux-mêmes, pratiquée. Nous plaidons pour la promotion et la vulgarisation des bonnes pratiques et les savoirs agricoles paysans respectueux de l’environnement.’’
Le joyau dispose d’infrastructures et d’équipements de base modestes lui permettant d’accueillir des camps de formation et de démonstration sur les pratiques agroécologiques paysannes. Il dispose d’un système d’éclairage solaire et du Wifi. Il peut héberger une quarantaine de visiteurs pour des séjours plus ou moins longs, dans le cadre de sessions de formation ou des visites de partage et d’échanges. Il accueille des étudiants en agroécologie, des techniciens, des associations de femmes rurales, des universitaires, mais également des chercheurs en provenance du Sénégal et de la sous-région ouest-africaine, en particulier.
Outre la production de biofertilisants et de biopesticides, le centre dispose d’une banque de semences paysannes. ‘’On ne peut pas parler d’agroécologie sans parler de semences paysannes qui sont en voie de disparition. Cette case de semences sert à reconstituer le capital semencier paysan avec l’appui des femmes membres de notre organisation panafricaine Nous sommes la solution, co-initiatrice, avec l’Ajac, de la réalisation de ce projet’’, souligne Mariama Sonko, Coordonnatrice du centre. Elle révèle que de cinq au départ, la case dispose, maintenant, d’une centaine de variétés de riz local, parce que leur ambition est de valoriser ce riz aux valeurs nutritives et médicinales avérées, qui n’est pas seulement un aliment, mais un élément important dans la sauvegarde du patrimoine et des traditions.
Mamadou Danfakha, Chargé de programme à l’ONG Fahamu Africa, qui a contribué avec d’autres partenaires financiers à la réhabilitation du centre, estime que le pays dispose d’un centre de référence où les Sénégalais pourront se former en matière d’agroécologie. Ce centre, soutient-il, est un outil de plus en matière de renforcement de capacités, d’amélioration de techniques, savoirs et d’innovations sur la pratique agroécologique.
Tendre vers la mécanisation du travail…
Malgré les ambitions affichées par la coordination du centre, ce temple des bonnes pratiques et savoirs agricoles paysans souffre de nombreux écueils qui impactent négativement sur l’atteinte des objectifs. Parmi ces contraintes, la sécurisation du site dont le grillage, qui fait office de clôture, croupit sous le poids de l’âge, mais également le renforcement des équipements (magasins de stockage de produits). S’y ajoute l’acquisition de futs en plastique pour la conservation des engrais solubles, de camionnettes de transport de matières organiques entrant dans la fabrication de l’engrais, entre autres. ‘’Nous utilisons de mortiers et des pilons. Le travail est manuel. Il ne nous permet pas de disposer de biofertilisants et de bio-pesticides en quantité et en qualité. Il faut tendre vers la mécanisation du travail’’, avoue Mme Sonko.
Elle demande le soutien de l’État et des partenaires financiers pour réaliser leur rêve au profit des communautés. ‘’L’État doit tourner un regard vers nous, en tant que femmes et femmes rurales, si nous voulons nous inscrire inéluctablement dans la voie d’une bonne transition écologique et de la souveraineté alimentaire en Afrique’’, estime Mme Sonko.
HUBERT SAGNA (ZIGUINCHOR)