Publié le 28 Feb 2015 - 02:17
DOMINIQUE PLIHON (SPÉCIALISTE DES QUESTIONS BANCAIRES SUR L’AFFAIRE SWISSLEAKS)

‘’Il faut que les autorités aient le courage de sanctionner  les auteurs’’

 

Les révélations de l’International consortium of investigative journalist (ICIJ) sur l’affaire de l’évasion fiscale de la filière suisse du deuxième groupe bancaire mondial HSBC font état de 310 gros clients sénégalais qui ont ouvert un compte dans cette banque suisse. Dans cet entretien qu’il nous accordé, en marge de la conférence que l’Institut Supérieur de Finance a organisée hier à l’UCAD 2 sur le thème : ‘’La régulation bancaire et financière, qu’avons-nous appris de la crise financière ?’’, le professeur Emérite Dominique Plihon invite les autorités à ‘’arriver à récupérer cet argent’’ si cela s’avère vrai et de ‘’sanctionner très fort les auteurs’’.

 

Quelle analyse faites-vous du système bancaire et financier du Sénégal?

Je ne comprends pas trop bien le système bancaire et financier du Sénégal mais je pense qu’il devra pouvoir s’adapter aux nouvelles règles internationales, notamment Bale 3 qui va amener des difficultés supplémentaires pour les banques. Il faut que les autorités locales sachent à la fois mettre en place des règles et ne pas être contraignantes aux risques que font courir les banques sénégalaises à l’économie sénégalaise. Il faut que ces risques soient moins graves que ceux que font courir les banques américaines ou françaises.

Au Sénégal, les banques appliquent des taux d’intérêts jugés usuriers par les usagers, des taux qui peuvent aller jusqu’à plus de 8%. Qu’en pensez-vous ?

Ces taux sont très élevés mais peut-être que c’est une politique d’évaluation des risques qui les amènent à être très exigeante avec les taux d’intérêts, ce qui est beaucoup trop. Du coup ça nécessite, à côté des banques, qu’il y ait des institutions publiques ou des coopératives qui ont une logique différente et qui sont moins intéressées par l’argent, les rendements à court terme et qui acceptent de faire payer moins cher. Quand on pense aux petites et moyennes entreprises ou aux agriculteurs, ils ne peuvent pas s’endetter à des taux élevés de 8%. Il faut absolument trouver d’autres sources de financements pour eux.

Dans l’affaire Swiss-Leaks, un système international de fraude fiscale a été éventré. Au Sénégal, pas moins de 310 gros clients ont été cités. Quel est l’impact de cette fraude fiscale pour l’économie sénégalaise?

Cela a un impact sur le budget dans tous les États, que ce soit au Sénégal, en France, aux Etats-Unis ou en Suisse. Il y a une perte pour les finances publiques qui est très importante. C’est là qu’il y a des déficits publics importants. Il faut absolument arriver à récupérer cet argent. Ensuite, il faut que les autorités aient le courage d’appliquer des règles et des sanctions très fortes. Je ne connais pas très bien la situation du Sénégal mais dans certains pays comme le mien, il y a une véritable collusion entre les autorités qui sont supposées appliquer les règles et ceux qui font l’évasion fiscale, au sens où les autorités ne veulent pas les sanctionner alors qu’elles pouvaient le faire, parce qu’il y a une certaine complicité entre elles.

J’imagine qu’il y a des choses pareilles au Sénégal mais je ne suis pas sûr. Il faut que les autorités aient le courage politique de sanctionner très fort les auteurs, que ce soient des entreprises ou des particuliers qui font de l’évasion fiscale. Pour assainir les finances publiques mais aussi pour que les gens qui ont des revenus moyens, qui payent l’impôt, n’aient pas l’impression qu’on se moque d’eux, qu’on les vole, parce qu’eux, ils payent l’impôt et les plus riches ne payent pas l’impôt. Cela crée un mauvais état d’esprit dans une société. Il est donc indispensable que le pouvoir public prenne ses responsabilités dans ce domaine.

Le Sénégal est en train de mettre en œuvre le Plan Sénégal Emergent, quel rôle peut jouer le secteur bancaire et financier pour la réussite d’un tel projet ?

Je ne connais pas ce plan, mais ma conviction profonde est qu’un pays ne peut se développer de manière rapide et effective sans avoir un système financier efficace. Il faut des règles strictes pour éviter des dérapages, éviter des erreurs, des prises de risques excessifs. Là, les autorités ont un rôle très important à jouer. Au Sénégal, il y a des banques locales et des banques étrangères. Il faut les deux, mais je serais autorité locale, j’essayerais d’aider au maximum les banques locales parce que les besoins des petites et moyennes entreprises au Sénégal ou des agriculteurs ou des artisans, ce sont les banques locales qui y sont tournées. Ce serait pour moi la priorité.

Dans votre présentation, vous avez dit que la crise financière est loin d’être terminée, sur quoi vous vous fondez pour affirmer cela?

Je pense que les banques sont toujours fragiles, plus fragiles qu’avant alors qu’elles continuent de prendre des risques importants. Comme les nouvelles régulations sont, à mon avis, insuffisantes, je pense que ça va continuer. J’ai raisonné surtout dans le cadre de l’Europe. En Europe, nous avons un grand problème, c’est une crise de l’inflation. Nous avons des prix qui sont très, très bas et nous avons une dette très importante.

Les entreprises, les ménages ont une dette très importante. Dans une telle situation, la crise ne peut que durer tant qu’on n’a pas résolu ce problème de la dette. A la fois, les banques en souffrent parce qu’elles ont font face à des gens qui ont fait des prêts et ne peuvent pas rembourser. Et en même temps, les entreprises sont très endettées. Alors,  elles n’investissent plus, ne contribuent plus au développement de l’économie. C’est ça qui me fait dire que la crise va continuer. Tant qu’on n’a pas résolu ce problème de la dette, on est toujours dans une situation financière difficile. 

PAR ALIOU NGAMBY NDIAYE

 

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