ENTRE ABSENTEISME ET FUTILITES
L’Assemblée nationale au bord de l’abîme
Vingt-quatre heures après avoir semé la confusion à l’Assemblée nationale, les députés retournent à leur jeu favori. Absentéisme pour les uns, futilités et griotisme pour les autres.
Après la tempête de la veille, retour au calme, à la sérénité des jours ordinaires. Samedi, l’Assemblée nationale était presque vide. Les députés de l’opposition, pour la plupart, étaient absents de l’hémicycle. De même qu’une bonne partie des membres de la majorité.
Pourtant, deux lois aussi importantes pour la vie des Sénégalais étaient inscrites à l’ordre du jour. Il s’agit de la loi n°12/2021 portant Code de l’électricité et de la loi n°13/2021 portant création, organisation et attributions de la Commission de régulation du secteur de l’énergie (CRSE). Une loi qui a peu la cote auprès de la représentation nationale. Pendant que Cheikh Tidiane Gadio, pour son temps de parole, s’appesantissait surtout sur sa litanie du terrorisme, Mamadou Diop Decroix, lui, s’épanchait sur ses ‘’micro-doléances’’ du genre : tel village aux fins fonds du Sénégal n’a pas d’électricité.
Pendant ce temps, ils étaient rares à s’être véritablement intéressés aux nouvelles lois soumises à leur attention. A l’arrivée, les projets ont été votés presque à l’unanimité, à l’exception de la voix contre de Marie Sow Ndiaye (PDS) qui levait, inlassablement, son doigt pour dire non, sans que l’on sache pourquoi elle votait contre. La députée libérale, qui a le mérite d’honorer sa présence du début à la fin de la séance, n’avait pas jugé utile de prendre la parole pour exprimer sa position.
A l’opposé, ses homologues de la majorité ont tous voté pour les changements, sans jamais véritablement convaincre sur les contenus de ces nouveaux textes. Pour la plupart, quand ils prennent la parole, c’est pour jouer au griot de la ministre en charge du Pétrole et des Energies et du président de la République. Pour d’autres, c’était surtout pour brocarder l’opposition.
Ainsi, à la place de débats féconds autour desdits projets de loi, la plupart des parlementaires ont préféré jouer les prolongations de la journée honteuse du vendredi. Et sur ce registre, c’est le tristement célèbre Mberry Sylla de Louga qui s’est fait le plus remarquer. Sur sa chaise, vêtu d’un boubou traditionnel aux couleurs du ciel, il hèle le nom du président de son groupe parlementaire : ‘’Aymérou !’’, vocifère-t-il. Avant de crier pour bien se faire entendre : ‘’Mais président, il faut nous louer l’Arène nationale ! Nous allons organiser là-bas des combats de lutte entre députés de l’opposition et du pouvoir. On a déjà pas mal de combats. Mberry vs Sonko ; Dembourou vs Toussaint…’’
Une autre dame, également membre de Benno Bokk Yaakaar, le coupe et continue : ‘’Il ne faut pas oublier les femmes. Lambou djigeen dafay am (Il faut des combats de lutte entre femmes), notamment entre Mame Diarra Fam (PDS) et Anna Gomis (APR).’’
De l’autre côté de l’hémicycle, Aymérou de répondre : ‘’C’est déjà réglé pour l’Arène nationale.’’ Pour Mberry, il ne manque alors plus que les sponsors pour finaliser les combats entre gladiateurs. Le principal destinataire de ses pics, Ousmane Sonko, lui, comme à son habitude, était absent des lieux.
En effet, à l’Assemblée nationale, il y a des parlementaires qui ne se signalent que pour les dossiers très politiques, sous le feu des projecteurs. Parmi les plus absentéistes, il y a le leader du Pastef/Les patriotes, mais il n’est pas le seul. Et c’est d’ailleurs la critique que leur font souvent les représentants de la majorité. ‘’L’opposition n’est là que quand il y a la politique et les médias. Pour les dossiers techniques non-plébiscités par les médias, ils brillent surtout par leur absence. C’est dommage que personne n’en parle’’, fulmine un des membres de la majorité.
Outre Ousmane Sonko, d’autres grands noms de l’opposition comme Déthié Fall, Cheikh Bamba Dièye ne semblent pas avoir trop de temps à consacrer à l’Assemblée nationale, sauf quand il s’agit de jouer aux stars, comme c’était le cas vendredi dernier, à l’occasion de l’examen de la loi portant modification du Code pénal.
Mais à l’hémicycle, l’absentéisme est loin d’être l’apanage de la minorité. Du côté de la majorité présidentielle également, l’écrasante majorité des députés étaient absents, samedi, pour l’examen des deux lois susmentionnées.
Ainsi, sur un total de 165 députés, moins de 50 étaient présents pour discuter de cette loi qui va changer la gouvernance du secteur de l’électricité au Sénégal. Alors que la séance était prévue à 10 h, il a fallu attendre jusqu’à 11 h pour lancer les travaux. Au démarrage, il n’y avait que 37 représentants du peuple sur les 165 que compte le Parlement.
Cela dit, l’institution peut encore compter sur son inébranlable vieux chef, le président Moustapha Niasse, toujours très à cheval sur les règles de procédure et du règlement intérieur. ‘’Madame le Ministre, excusez-moi, mais c’est la procédure’’, n’a-t-il eu de cesse de répéter face à une Sophie Gladima perdue dans les notes que lui glissaient ses services.
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GOUVERNANCE DE L’ELECTRICITE
Le saucissonnage en vue de la Senelec
Très à l’aise dans un hémicycle qui paraissait totalement acquis à sa cause, la ministre de l’Energie, Aissatou Sophie Gladima, est revenue sur la portée des nouvelles lois. Mais les nombreux amendements qui ont été reçus, aussi bien de la part de ses services que du président de la Commission parlementaire en charge de la question, cachent une certaine précipitation.
Contrairement à son collègue de la Justice Malick Sall, la ministre en charge de l’Energie, Aissatou Sophie Gladima a, elle, vécu une journée tranquille. Samedi, opposition comme pouvoir n’ont pas tari d’éloges à son endroit. Pour les parlementaires, elle est non seulement compétente, mais également très disciplinée et accessible.
Face aux journalistes, à la fin des débats ennuyeux, elle explique : ‘’Le Sénégal vient d’entrer dans une nouvelle ère. Avec l’adoption de ces deux codes, le Sénégal est prêt à entrer dans la catégorie des pays de grands pétroliers. Peut-être en termes de réserve, nous n’en avons pas beaucoup, par rapport à certains pays, mais en termes de réglementation, nous pouvons nous féliciter.’’
Interpellée sur ce qui va changer, elle déclare : ‘’Ce code va permettre aux tiers d’entrer dans la production de l’électricité. Aujourd’hui, on voit des Sénégalais installer des réseaux solaires ; des industriels qui produisent leur propre électricité et qui en vendent même parfois à la Senelec. Mais pour autant, il ne faut pas déstructurer la Senelec qui est un outil de décision pour le Sénégal. D’où la nécessité de la régulation.’’
Ainsi, le monopole de la Senelec sur la production d’électricité est complètement cassé. Mais, à entendre la ministre, une partie du monopole va demeurer. Sophie Gladima : ‘’Tout sera libéralisé, mais ce sera de façon progressive. D’abord, c’est par la production ; le transport et la distribution viendront par la suite, parce qu’aujourd’hui, c’est la Senelec qui détient le patrimoine du transport.’’
A terme, le gouvernement entend favoriser la production d’une électricité de qualité, en quantité suffisante et à moindre coût.
Parmi les grandes innovations apportées par la loi sur le Code de l’électricité, il y a la fin du monopole de la Senelec pour l’achat en gros d’électricité, la création de la holding de la société d’électricité constituée en filiales, l’extension des pouvoirs du régulateur, le développement de l’électrification rurale, notamment hors réseau.
Pour ce qui est de la loi sur la Commission de régulation du secteur de l’énergie, il y a notamment l’attribution à cette commission de la responsabilité de superviser les appels d’offres du secteur de l’énergie, la surveillance du marché, la garantie de l’accès des tiers aux réseaux et aux installations de stockage du gaz et du pétrole.
Selon le président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, Seydou Diouf, la seule crainte est de voir, avec la filialisation de la Senelec, l’entité qui se chargera de la production manquer de compétitivité. Il déclare : ‘’J’ai vu dans le code qu’il est clairement indiqué que le transport et la distribution restent des monopoles de l’Etat… Si on a créé la holding, j’ai une préoccupation. La société nationale qui va gérer la partie production va gérer un parc qui est ancien, très vétuste. Comment pourrait-elle faire face à la concurrence des producteurs indépendants qui, eux, viennent mettre en place des dispositifs très modernes ? Je pense qu’avant d’arriver à cette étape, il faut que le gouvernement mette les investissements nécessaires pour la modernisation de l’outil de production de la Senelec. Il y a va de la garantie de notre souveraineté en matière de production d’énergie.’’
A cette interrogation, la ministre a tenté d’apporter des assurances pour montrer que l’Etat a bien pris en compte cette problématique.
CENTRALE A CHARBON
Un grand gâchis en redressement judiciaire
A l’arrêt depuis plusieurs mois, la centrale à charbon de Sendou a également été évoquée, à l’occasion du passage du ministre de l’Energie, alors qu’elle a dû coûter des fortunes à l’Etat et à l’investisseur. Quel est le sort de cette centrale très controversée ? Pourquoi est-elle à l’arrêt ?
La ministre a expliqué : ‘’Il faut savoir que c’est une centrale privée qui a connu un incident lié à des problèmes techniques, notamment de vibrations depuis juillet 2019…’’
Par rapport à l’avenir de la centrale, elle a informé de l’arrivée d’un nouveau repreneur, avant d’ajouter : ‘’Un accord a été trouvé avec le nouvel actionnaire majoritaire. Lequel accord permettra de présenter, au niveau du tribunal de commerce, un concordat pour le redressement judiciaire de l’entreprise.’’
Par ailleurs, la ministre de l’Energie a rappelé la volonté du Sénégal de faire passer la centrale du charbon au gaz, sous réserve des discussions avec le nouveau repreneur.
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MOR AMAR
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