Publié le 7 Oct 2021 - 22:41
EXPLOITATIONS AGRICOLES ET COVID-19

Le monde rural entre rupture de stock et manque de ressources financières

 

Dans le but d’analyser les effets de la Covid-19 sur les moyens d’existence des exploitations familiales membres du Cadre national de concertation des ruraux (CNCR), l’organisation, accompagnée de l’Initiative prospective agricole et rurale (Ipar) a mené une étude portant sur 22 départements de sept régions. Publiée hier, elle vise à comprendre les stratégies d’ajustement et d’adaptation développées par les exploitations familiales.

 

L’avènement de la Covid-19 a accentué certaines difficultés habituelles des exploitations familiales. D’après l’étude de l’Ipar et du CNCR, leurs modes de consommation alimentaires ont connu des diminutions à 14,8 %, en matière de nombre de repas, près de 34 % en matière de quantité et à 42,8 % en matière de qualité. Ces réalités affectent les départements de Linguère, Dagana, Podor, Goudiry, Koumpentoum, Diourbel, Mbour, Thiès et Bignona. Cela s’explique, selon les enquêteurs, par la période de soudure combinée aux effets négatifs des mesures de restriction (fermeture des marchés, limitation de la mobilité) prises durant l’état d’urgence.

En effet, les exploitations concernées pourraient avoir adopté des mesures de prudence pour économiser les ressources dont elles disposent. Pour faire face à cette situation, les chefs d’exploitation ont dû trouver en urgence des solutions pour satisfaire leurs besoins alimentaires de base. Les principales mesures d’ajustement tournent autour de l’utilisation de l’épargne, de la vente de plus d’animaux, de l’aide de parents ou d’amis.

Par ailleurs, ces mesures montrent que l’aide alimentaire du gouvernement a constitué une véritable bouée de sauvetage pour la majorité des exploitations familiales (95,1 %). Cela leur a permis de sortir de la soudure précoce et de constituer des stocks alimentaires pour une durée moyenne de trois mois et vingt-et-un-jours de consommation.

Cependant, certains départements tels que Louga (16,7 %), Saint-Louis (4,3 %), Goudiry (27,3 %) et Thiès (43,3 %) constituent une exception, car une minorité d’exploitations familiales disposent de stocks alimentaires. ‘’Un facteur important porte sur le fait que le choc a eu lieu hors saison hivernale, à une période où les exploitations étaient en train de se préparer à affronter la période de soudure. Ce qui signifie que la Covid-19 est venue s’additionner aux difficultés habituelles. Les contraintes portent essentiellement sur les difficultés à organiser des activités de sensibilisation et de partage d’informations. En effet, les mesures de restriction édictées ont empêché une grande partie des organisations de producteurs (OP) à tenir des réunions de sensibilisation et de partage d’informations avec leurs membres, pour une bonne préparation de la campagne agricole’’, fait savoir le rapport d’étude.

Une insuffisance des intrants

Une autre contrainte imputable aux mesures de restriction, a été l’insuffisance des intrants. En effet, la pandémie a fait irruption à une période où les producteurs s’activaient autour de la préparation de la campagne agricole, à travers essentiellement les activités de commerce au niveau des marchés hebdomadaires (‘’louma’’). La cession brusque des activités de commerce a privé la majorité des producteurs de ressources, notamment financières, pour acquérir assez d’intrants. Ce déficit de ressources financières a conduit également beaucoup d’exploitations vers des difficultés d’accès à des aliments, à la rupture des stocks alimentaires. Certaines ont finalement consommé leurs stocks de semences. La région de Kolda se trouve être la plus affectée, avec un risque d’insécurité alimentaire.

Face aux mesures induites par la pandémie Covid-19, une grande partie des exploitations familiales (44,8 %) membres du CNCR prévoient de changer leurs pratiques culturales habituelles. Ces changements portent sur la pratique des cultures à cycle court, le changement de cultures, le fait de privilégier les cultures céréalières et l’augmentation des surfaces cultivées.

Par ailleurs, l’étude relève des difficultés liées à l’acquisition des engrais, des semences et des équipements agricoles. De ce fait, les chercheurs insistent sur la mise en place de stratégies de résilience à travers la constitution de stocks alimentaires.

Avec un taux de pauvreté de 46,7 % au niveau national dont 57,1 % en milieu rural, l’insécurité alimentaire reste une préoccupation constante au Sénégal. La majorité de la population dépend de l’agriculture qui emploie 56 % des actifs. Mais elle est majoritairement sous pluie, peu modernisée et dans un état de vulnérabilité chronique, en raison de la récurrence des chocs climatiques (sécheresse en 2006, 2007 et 2011 et inondations en 2009 et 2012) et ceux économiques (hausse des prix des produits alimentaires en 2008, crise financière mondiale de 2009 et une nouvelle flambée des prix en 2011).

Par ailleurs, le pays doit importer près de 70 % de ses besoins alimentaires, principalement le riz, le blé et le maïs. Cette dépendance vis-à-vis des marchés mondiaux expose les ménages aux fluctuations des prix et à une plus grande vulnérabilité. La part des revenus agricoles sur le revenu global s’établit en moyenne à 40,1 %.

Et la moitié des exploitations tire en moyenne 30 % de revenus de l’agriculture. A en croire les chercheurs, l’agriculture contribue à moins de 50 % des revenus globaux pour 61,3 % des exploitations familiales membres du CNCR. Quatre départements font exception : Diourbel (76,7 %), Kaolack (56,7 %), Dagana (93,8 %) et Goudiry (78,8 %) où les parts des revenus agricoles représentent plus de 80 % de ceux globaux pour la majorité des exploitations familiales. Bien que l’agriculture soit le premier secteur d’emploi, elle ne contribue plus à la majorité des formations des revenus des exploitations. Ceux non-agricoles constituent la part la plus importante des revenus globaux, et cela confirme les stratégies de diversification des sources de revenus symbolisées par la pluriactivité des actifs, surtout des femmes. Les activités de diversification sont généralement la migration, le commerce et l’artisanat.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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