Quand le genre prend le dessus
La lutte pour l’amélioration de la condition des femmes au Sénégal a connu ses années de gloire il y a plus de 30 ans. Présentement, elle est en perte de vitesse. C’est ce qui est ressorti du débat sur ‘‘Féminisme au Sénégal : histoire, actualité et enjeux’’.
‘‘Qu’est-ce qui fonde l’inertie des femmes sénégalaises ?’’. L’interrogation est de Marie Angélique Savané, l’une des figures de proue du mouvement féministe depuis les années 80. Elle fait un constat amer : le féminisme a régressé au Sénégal. La sociologue regrette que le concept de genre se soit substitué à celui de féminisme. ‘‘Il y a un hiatus. C’est que le mouvement s’est éteint. On ne parle plus d’oppression, de subordination, mais de genre. Si on veut créer des conditions de changement de fond dans notre société, il faut revenir aux fondamentaux du féminisme’’, selon elle.
Ainsi, lors du panel organisé à la librairie Athéna, samedi, la militante des droits de la femme a passé en revue l’histoire de ce mouvement, avant de déplorer son essoufflement progressif du à des raisons politiques. ‘‘Tout ce pourquoi nous nous sommes battues jusque là a été réduit à des enjeux politiques alimentaires’’. Selon elle, le seul cadre du féminisme au Sénégal a été Yeewu Yeewi pour la libération des femmes, dont elle est membre fondatrice, lancé en 1984. Il a lancé la pétition du 8 mars 1985, afin que ce jour soit retenu pour la célébration de la journée de la femme, au lieu du 25 mars. En outre, il a institué le prix Aline Sitoé Diatta en 1987, ainsi que la publication du journal Fippu pour défendre un point de vue féministe.
L’ex-journaliste regrette la rupture générationnelle pour relayer le combat, ainsi que la dilapidation des acquis. La panéliste s’inquiéte également de la tournure que prend le combat pour l’amélioration de la condition des femmes avec comme soubassement ‘‘le renouveau du conservatisme religieux’’. ‘‘Qui osait mettre le voile dans les années 70 ? Ce n’est pas notre culture. Il faut oser le dire’’, déclare la sociologue. Selon elle, le statut des femmes n’est pas surnaturel, car c’est un système patriarcal qui l’a organisé avec des lois, des tabous, des interdits…, Pour lutter contre ce ‘‘terrorisme intellectuel’’ qui essaie de confiner la femme à un rôle second, Marie Angélique Savané préconise une solution. ‘‘Il faut que les jeunes filles osent aller à contre-courant’’, dit-elle.
‘‘On pose à la religion des questions qui ne la concernent pas’’
Bakary Samb, professeur au centre d’études des religions de l’université Gaston Berger de St. Louis est d’avis ‘’qu’on pose à la religion des problèmes qui ne la concernent pas’’. Intervenant sur le rapport entre la religion et la femme, le panéliste estime que ‘‘la malchance des femmes, dans toutes les religions, c’est que les interprétations sont masculines’’. Une ‘‘arnaque interprétative’’ d’autant plus déplorable que le manque de relecture historique et de mise en contexte des paradigmes religieux rendent critiques pour une lecture claire de la question féminine en théologie. Le professeur déplore par exemple la codification des pratiques sociales issues du rite malikite maghrébin au Sénégal. ‘‘On n’a jamais pris le courage de réfléchir sur nos propres problématiques. Il y a une forme de communautarisation où toute forme de critique est interdite’’, dénonce-t-il.
Ousmane Laye DIOP