On ne peut pas continuer à vivre dans l'obscurantisme législatif"
Le journaliste François Mendy a vécu une situation comme tant de Sénégalais qui, murés dans le silence, refusent de dénoncer. Se voir refuser l'identité sénégalaise parce qu'on porte un patronyme à consonance étrangère. En attendant les éclaircissements des autorités concernées, ‘’EnQuête’’ s’est entretenu avec le concerné.
Revenons sur les faits du jeudi 3 octobre dernier. Qu'est-ce qui s'est réellement passé ?
J'ai profité de mes congés au Sénégal pour obtenir la carte d'identité pour mon fils de 5 ans. Chose que la loi permet. Je me suis donc rendu à la Daf (Direction de l’automatisation des fichiers) et on m'a fait savoir que les dépôts se font à la cité de la Police qui se trouve au niveau de la mosquée omarienne. Une fois là-bas, les agents m'ont orienté vers le commissariat de Rebeuss et m'ont recommandé à celui qui s'en charge. Arrivé sur les lieux, l'agent en question m'a demandé l'extrait de naissance de l'enfant et la photocopie de ma carte d'identité. Je lui ai remis ces pièces, et juste quelques secondes après, il me tend les documents en me disant : "Ce n'est pas possible." Évidemment, je lui demande : "Pourquoi ? ", il me répond : "C'est comme ça et ceux qui t'ont orienté vers moi le savent très bien."
J'ai donc insisté pour comprendre la raison. C'est à ce moment qu'il me dit : "C'est Mendy, un nom à consonance étrangère ; il vous faut un certificat de nationalité pour votre enfant." Tout en sachant que je suis natif de Kaolack, mon épouse est de Ziguinchor. Je suis un Mendy, je suis un Manjak, donc de la Casamance. Mon village d'origine, où mes parents vivaient, se trouve dans l'arrondissement de Niaguiss. C'est en Basse-Casamance et il se nomme Guidel Bambalika. Mes grands-parents y ont vécu. Un village très célèbre du fait des affrontements entre l'armée sénégalaise et les éléments du Mfdc. Il a donc été déserté, les populations arrivent à peine à y accéder.
Face à ce refus, quelle a été votre réaction ?
En fait, je ne l'ai pas compris. Pourquoi il faut un certificat de nationalité, alors que la loi est claire ? Moi, je suis sénégalais, je n'ai aucune autre nationalité et c'est pareil pour mon épouse. Elle et moi avons nos certificats de nationalité. Si la loi dit que lorsque le père ou la mère est de nationalité sénégalaise, l'enfant est automatiquement sénégalais, pourquoi me demander un certificat de nationalité pour mon fils qui n'a que 5 ans et qui est né à Kaolack ? C'est cela que je ne comprends pas.
Vous a-t-on fait savoir que c'est la règle pour tout le monde ?
Non. Justement, c'est ce qui me pose problème. Je ne suis pas contre le fait que la loi s'applique à tout le monde ; mais je suis contre le fait que la loi ou cette directive soit donnée spécifiquement pour une catégorie de personnes. Des compatriotes qui, soi-disant sont une minorité, un groupe de personnes dont on doute des origines sénégalaises. Franchement, c'est cela que je n'arrive pas à comprendre. Sommes-nous dans un État de droit ou dans un État où des fonctionnaires agissent en fonction de leur volonté ou de leurs humeurs ?
À ce sujet, dans votre post de dénonciation sur Facebook ("Je suis Mendy et je ne serai pas sénégalais"), vous dites qu'il y a une multitude de Sénégalais qui vivent en silence cette situation...
Oui, tout à fait. Pour moi, c'est la porte ouverte à toutes sortes de dérives. Nous avons malheureusement, aujourd'hui, beaucoup d'apatrides au Sénégal, et j'invite les organisations de défense des Droits de l'homme et les organisations internationales à se pencher sur cette question. Les gens n'en parlent pas, mais c'est une question très sérieuse. J'ai reçu énormément de témoignages ; chacun a sa propre histoire. Chacun a une expérience et chacune de ces personnes a quelque chose à dire sur ces problèmes administratifs. Il y certains qui sont au Sénégal et n'ont pas de pièce d'identité. Et si quelqu'un n'a pas une carte nationale d'identité, il ne faut pas avoir peur des mots, c'est un apatride. En France, beaucoup sont refoulés par le consul général du Sénégal à Paris. Pendant que certains ressortent avec leur récépissé de dépôt, soit pour la Cni ou le passeport ; d'autres sont refoulés alors qu'ils ont tous les mêmes pièces. Et c'est la même explication qui m'a été servie, lorsque je me suis plaint. Ce qui se passe est contraire aux conventions internationales que le Sénégal a ratifiées.
Vous donnez également les patronymes concernés comme Mané, Diallo, Mendy, Ba, Dacosta, Touré... Quels sont ces groupes de personnes ?
Ça va du Peulh au Manjak. Ils vivent dans les zones périphériques du pays comme Kédougou, Tambacounda, la Casamance et la région de Matam. C'est toute la périphérie qui est concernée, y compris la région de Kolda. En fait, si vous n'êtes pas du Centre, vous avez un souci. Vous faites face à des suspicions, même si vos papiers sont en règle. On leur en demande plus que les autres. Pourtant, la loi est impersonnelle. Ce qu'on demande à un natif de Dakar doit aussi l'être pour un natif de Kédougou.
Qu'attendez-vous du gouvernement ?
J'interpelle le ministre de l'Intérieur, parce qu'il s'agit de ses hommes. Qu'il nous dise de façon claire et nette s'il y a une consigne particulière pour les gens qui ont des patronymes qu'ils jugent étrangers. En tant que parent, j'attends vraiment que le gouvernement fasse une communication claire et précise qui mentionne s'il y a un document spécifique qui catalogue les patronymes de ceux qui doivent produire des documents supplémentaires par rapport à d'autres patronymes sénégalais. On ne peut pas continuer à vivre dans l'obscurantisme législatif.
PAR EMMANUELLA MARAME FAYE