Le bout du tunnel ?
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Après Sangomar en février, GTA a accueilli, le 11 mai, son FPSO (Unité flottante de production, de traitement et de stockage). Selon les experts, si Sangomar pourrait sortir le ‘’First Oil’’ au plus tard au mois de juillet, pour GTA, les prévisions les plus optimistes parlent de la fin de l’année ou début 2025.
C’est une étape importante dans le processus de développement du champ gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA). Avec l’arrivée, le 11 mai du FPSO (Floating, Production, Storage and Offloading ou Unité flottante de production, de traitement et de stockage en français), le ‘’First Gas’’ plusieurs fois annoncé et reporté pourrait bientôt devenir réalité.
Mais les Sénégalais devront prendre leur mal en patience. Les experts contactés par ‘’EnQuête’’ restent très pessimistes quant à la possibilité de voir la ressource durant le troisième trimestre, conformément aux dernières prévisions. ‘’Il faut savoir que les travaux de raccordement du FPSO sont bien plus complexes avec le gaz qu’avec le pétrole. Si pour le pétrole, le délai est de six mois au maximum, avec le gaz, c’est six mois au minimum. Si on est très, très performant, on peut faire légèrement mieux, mais c’est quasi impossible de tout terminer d’ici la fin du premier trimestre’’, explique notre interlocuteur. Selon qui les prévisions les plus optimistes parlent de la fin d’année pour la mise en marche du champ gazier. Les plus raisonnables au début de l’année 2025.
S’il est peu probable d’avoir le ‘’First Gas’’ cette année avec GTA, pour le ‘’First Oil’’ avec Sangomar, on y est presque, selon nombre d’experts. ‘’Comme vous le savez, le FPSO pour Sangomar est là depuis le début de l’année, au mois de février si je ne m’abuse. Et comme je l’ai dit, les travaux de raccordement doivent prendre au maximum six mois, sauf cas de force majeure. Compte tenu de ces données, on peut attendre les premiers tests au plus tard juillet-aout. Les plus optimistes parlent même de fin mai ou début juin’’, relève le spécialiste.
Les travaux de raccordement prennent max six mois pour le pétrole, minimum six mois pour le gaz
Mais attention, prévient notre interlocuteur, ‘’First Oil’’ ou ‘’First Gas’’, ça ne veut pas dire que tout de suite après, dès le ‘’Day One’’, comme on dit, c’est la commercialisation. ‘’Après les raccordements, on met en marche la machine. Le premier liquide qui sort, pour parler de manière triviale, c'est le ‘First baril’ ou le ‘First Gas’. Après, il y a une quantité définie dans les contrats. C’est à partir de ce seuil qu'on va commencer la commercialisation’’, informe l’expert. Ainsi, si le ‘’First Oil’’ est attendu au plus tard au mois de juillet, le ‘’First Gas’ à la fin de l’année ou au début de l’année 2025, il faudra attendre encore quelques semaines pour voir les premiers bateaux partir des plateformes sénégalaises pour aller ravitailler le reste du monde en pétrole et en gaz.
Une loi de finances rectificative s’impose
Quel que soit le scénario retenu, il faut souligner que ces retards ne manqueront pas d’impacter les prévisions budgétaires.
En effet, dans la loi de finances initiale pour l’année 2024 votée au mois d’octobre 2023, le gouvernement tablait sur des recettes fiscales de l’ordre de 4 180 milliards contre 3 486,7 milliards dans la LFI 2023, soit une hausse exceptionnelle de 693,3 milliards de francs CFA basée essentiellement sur l’arrivée du pétrole et du gaz, dont l’exploitation était prévue durant le premier trimestre de l’année 2024 (au moment desdites prévisions).
Nous sommes déjà au mois de mai, presque à la fin du premier semestre, il n’y a toujours ni pétrole ni gaz.
De l’avis de ce spécialiste des Finances publiques, il est impossible d’atteindre cette hausse de 93 milliards de recettes fiscales prévues dans la loi de finances. ‘’L’hypothèse était que dès le début de l’année, on va démarrer l’exploitation. Donc, on a augmenté les prévisions de recettes pour ce qui concerne l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur les salaires, la TVA… Or, dès le mois de janvier, on s’est aperçu que le démarrage ne serait pas effectif. Par la suite, on a parlé du troisième trimestre. Dès lors, toutes les prévisions de recettes sont faussées’’, a-t-il expliqué.
A l’en croire, il faudrait, dès maintenant, penser à une loi de finances rectificative, parce qu’il est presque certain que les prévisions ne seront pas atteintes, ce qui était prévisible depuis le mois de janvier. ‘’Nous sommes presque à la fin du premier semestre. Cette hausse de 693 milliards, si on ne la réalise pas à partir de ce premier semestre, il sera impossible de le faire en six mois, d’autant plus que l’exploitation ne va pas se faire avant le troisième trimestre’’.
Il faudra soit réduire le budget soit recourir à l’endettement
Au-delà des retards notés dans le démarrage de l’exploitation des hydrocarbures, c’est la sincérité même du budget qui se pose, selon nos interlocuteurs. ‘’Une hausse de 693 milliards, cela ne s’est jamais fait dans l’histoire du Sénégal. La hausse la plus importante qu’on ait connue, c’était environ 300 milliards et c’était exceptionnel. La tendance moyenne, c’est des hausses de 100 milliards. On a parlé des hydrocarbures, mais je pense qu’on a été trop optimiste en tablant sur près de 700 milliards d’une année à l’autre’’, analyse le haut fonctionnaire.
Avec cet énorme gap dans le recouvrement des recettes fiscales, deux options s’offrent au nouveau régime. Soit il devra recourir à la dette pour financer ses nombreuses charges soit éliminer certaines charges de l’État. Notre interlocuteur semble plaider pour une réduction du budget plutôt qu’à un recours à l’endettement. ‘’Nous n’aimons pas trop parler de réduction du budget, mais je pense qu’il faudrait aller vers ça. En tant qu’ancien directeur chargé de l’ordonnancement, le nouveau ministre connait très bien les dépenses qui ne sont ni urgentes ni vitales. Il faut les identifier et préparer une loi de finances rectificative pour les supprimer’’.
Il faut rappeler que la tâche s’annonce d’autant plus compliquée que le nouveau régime ne dispose pas de majorité à l’Assemblée nationale. Le président Diomaye et son Premier ministre pourront cependant compter sur l’appui de leur prédécesseur Macky Sall qui pourrait leur faciliter la tâche.
BACHIR DRAMÉ, EXPERT PÉTROLIER, CONSULTANT INTERNATIONAL Pendant que les installations continuent, l’expert pétrolier Bachir Dramé, lui, dit s’inquiéter plutôt du débat autour de la renégociation du contrat. À son avis, les parties devraient travailler dans la sérénité. ‘’Ce qui me fait le plus peur, c’est cette histoire de renégociation des contrats. On en parle beaucoup, mais on ne sait pas ce que ça renferme. Qu’est-ce qu’ils vont renégocier ? Tout cela crée de l’incertitude qui n’est pas de nature à démarrer sous de bons auspices. Je pense que chaque partie doit être raisonnable, parce qu’il y a quand même beaucoup d’espoir de la part de nos populations. Il est temps d’accélérer le processus et d’éviter ce qui peut encore le retarder…’’, a-t-il indiqué. Pour le moment, l’État est en tout cas clair sur sa volonté d’auditer les couts d’investissements qui ont explosé à cause des nombreux reports. D’ailleurs, cet audit annoncé par le Sénégal depuis Macky Sall était au cœur des discussions entre Diomaye et son homologue mauritanien Mohamed Ould El Ghazouani. Bachir Dramé précise : ‘’Le Sénégal parle effectivement de cet audit depuis le mois de janvier. Il fallait juste harmoniser avec la Mauritanie pour parler le même langage. C’est plus raisonnable, à mon avis, que de vouloir revenir sur des clauses contractuelles, ce qui pourrait impacter le processus et le démarrage de l’exploitation.’’ |
MOR AMAR