GESTION DE L’EAU EN MILIEU RURAL
L’Etat invité à sévir
Dans la région de Diourbel, l’Etat a pris l’option de recourir à la contractualisation, avec des délégations du service public, en lieu et place des associations des usagers de forages (Asufor) pour permettre un accès équitable à l’eau potable. La réforme avait pour but de corriger les manquements de ces dernières. Au niveau du monde rural, deux camps se font face. Si l’Etat ne fait rien pour qu’Aquatech poursuive sa mission, l’irréparable pourrait se produire.
‘’Depuis l’arrivée d’Aquatech, les populations rencontrent d’énormes difficultés. Avant son arrivée, le mètre cube d’eau coûtait 175, voire 200 F au maximum. Présentement, il faut débourser 250 F pour le mètre cube. Pour les branchements particuliers, il fallait débourser entre 2 000 et 2 500 F. Aujourd’hui, on exige 93 000 F. Et il faut payer à Diourbel, au niveau de leur service régional. Avant la venue d’Aquatech, on n’avait aucun problème pour avoir accès au liquide précieux, parce que l’eau était en abondance’’.
Ainsi s’exprimait le maire de Taif, une collectivité locale du département de Mbacké, devant le ministre de l’Eau et de l’Assainissement. Mbaye Tine poursuivait : ‘’Ni le maire, ni les chefs de village, ni les chefs religieux, encore moins les populations n’ont accès à la gestion du forage. Des forages qui ne sont pas gérés par Aquatech se portent mieux. Leurs Asufor assurent l’essentiel. Aujourd’hui, tous les forages qui sont gérés par Aquatech, aussi bien les populations desservies, les maires, les chefs religieux rencontrent des difficultés pour avoir accès à l’eau. Or, l’accès à l’eau, c’est élémentaire, c’est un droit universel. Cette politique d’équité sociale est en train d’être plombée par Aquatech qui nous prive d’eau. Nous n’avons plus accès à l’eau, ni en qualité ni en quantité. Il y a un an et demi, le gestionnaire avait fait des promesses qu’il n’a pas respectées à ce jour. Le monde rural est considéré comme une vache laitière.’’ Avec ses collègues élus locaux, ils demandent même la résiliation du contrat qui lie l’Etat à l’opérateur privé Aquatech.
Mais ce que les maires ne disent pas, c’est que la plupart d’entre eux veulent s’immiscer dans la gestion de l’eau, alors qu’elle n’est pas une compétence transférée. Actuellement, dans le monde rural, là où il y a problème dans le ravitaillement en eau des populations, c’est que les anciens responsables des Asufor refusent tout bonnement que la réforme soit appliquée.
En alliance avec certaines autorités locales, les responsables de ces Asufor organisent des sit-in, des marches pour dénoncer le recours à un opérateur privé. Des agents d’Aquatech ont fait l’objet d’agressions physiques de la part de certaines populations. Des maires ont, en lieu et place de cet opérateur privé, recouvré même des factures d’eau.
Appel à l’Etat
Face à cette équation, Abdoulaye Fall, le chef de village de Bambey Sérère, dans le département de Bambey, demande que ‘’force reste à la loi’’. Très amer, le septuagénaire confie : ‘’L’Etat doit aller jusqu’au bout de la réforme. Ce qui se passe actuellement dans le monde rural fragilise l’Etat, et ce n’est pas normal. Il faut que les délégations au service public gèrent les forages. L’eau n’est plus potable et 75 % de la population refusent de payer les factures d’eau aux Asufor.’’
Et Mbaye Tine, un usager du même village, de renchérir : ‘’Nous interpellons le président de la République au sujet de la réforme de gestion de l’eau en milieu rural. Au niveau de Bambey Sérère, c’est un groupuscule qui tient les rênes du forage et refuse systématiquement qu’Aquatech gère le forage. Maintenant, les populations refusent de payer l’eau, tant que ce sont ces personnes qui gèrent le forage. Depuis le 1er avril 2018, nous éprouvons des difficultés majeures dans le cadre de l’approvisionnement en eau. Les populations utilisent les puits maintenant.’’
Du côté d’Aquatech, les responsables auraient souhaité ‘’une meilleure implication des autorités administratives. L’Etat doit vider cette question et cela pour le bien de tous. Nous n’avons pas senti l’appui de l’Etat’’, dit-on. Ces responsables ne comprennent pas que des plaintes déposées contre des contrevenants à la réforme ne soient pas vidées. Il s’y ajoute que le programme d’investissement de 2 milliards que ‘’l’Etat devait remettre, tarde à être reçu’’.
Interpellé sur le prix élevé de l’eau, objet de toutes les récriminations, Pape Diop, responsable d’Aquatech Thiès-Diourbel, confie : ‘’Ce n’est pas Aquatech qui a fixé les prix, mais un arrêté interministériel. C’est l’Etat.’’ Cet arrêté interministériel en date du 22 décembre 2016 fixe le prix du mètre cube (m3) comme suit : “250 F CFA pour les abonnés domestiques, 200 F CFA pour les activités maraîchères et 200 F CFA pour les abreuvoirs. Ces prix sont défiscalisés en tranche unique, quelle que soit la quantité de m3 consommée. Il est de 321,85 F CFA pour les bornes fontaines et 416,25 F CFA pour les activités commerciales.”
Pour l’électrification, Aquatech annonce même un programme de solarisation des forages, pour éviter les factures souvent jugées élevées par certains.
Le contrat d’affermage qui lie l’Etat et Aquatech dure depuis 10 ans. Il y a la volonté des bailleurs de fonds d’injecter de l’argent, mais avec une exigence que la réforme soit exécutée.
Les raisons de la réforme
Cette réforme trouve son origine dans une défaillance du système de gouvernance. Il a été constaté, d’après un document de l’Office des forages ruraux, “une absence de contrôle des ressources financières générées par la vente de l’eau : 55 millions USD/an, soit plus du tiers du budget du ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement, une impossibilité d’améliorer l’accès, de financer les renouvellements, de faire de la maintenance préventive. Au niveau de la zone Centre, 80 % des Asufor n’avaient pas renouvelé et que 37 % des sommes recouvrés servaient au fonctionnement des Asufor. Ce qui a favorisé la réforme”.
BOUCAR ALIOU DIALLO (DIOURBEL)
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