100 jours d’intenses guerres médiatiques
Nommé le 18 septembre 2022, le premier gouvernement d’Amadou Ba a eu, hier, 100 jours. Annoncé comme un gouvernement de combat, il s’est montré hyper-présent dans les médias, tantôt pour vendre les réalisations du régime, tantôt pour défendre l’indéfendable.
Un gouvernement proche des populations. Un gouvernement immédiatement opérationnel. Un gouvernement de combat… Voilà, entre autres éléments de langage maintes fois rabâchés, il y a exactement 100 jours, lors de la nomination du gouvernement Amadou Ba. ‘’Le président de la République, disait le tout nouveau PM, a préféré nommer des hommes et des femmes d’expérience, engagés, qui peuvent être immédiatement opérationnels. C’est pour cela que vous l’aurez remarqué, il y a eu des reconductions, des permutations, des profils qui peuvent aller très vite… Il s’agira d’un gouvernement de combat, d’un gouvernement immédiatement opérationnel, mais surtout d’un gouvernement de terrain, c’est-à-dire proche des préoccupations des populations’’.
Depuis, c’est le branle-bas médiatique. Il se passe rarement une semaine sans voir des membres du gouvernement sur les différents plateaux des différentes télévisions, publique comme privées. Souvent, c’est dans des émissions où ils sont seuls à débattre avec un journaliste ou un animateur. Mais de plus en plus, les ministres n’hésitent pas à aller au front dans les émissions où ils font face à plusieurs chroniqueurs. Tous les moyens semblent bons pour s’adresser au grand public, tenter de vendre les réalisations et la vision du président de la République. Parfois à leurs risques et périls.
À titre d’illustration, vendredi dernier, le ministre des Finances et du Budget, Mamadou Moustapha Ba, présenté comme un technocrate, était à l’émission ‘’Jakarloo’’ de la TFM, au moment où son collègue chargé des Sports, Yankhoba Diattara, était à l’émission ‘’Ndoumbelaane’’ sur la SenTV. Tous deux avaient pour mission de laver à grande eau le gouvernement dans l’affaire dite du rapport de la Cour des Comptes sur la gestion des fonds Force-Covid-19.
À la 2STV, il se passe rarement une semaine sans voir défiler des pontes du régime, des ministres en particulier. ‘’Il y a une période où nous avons noté au moins trois à quatre ministres dans l’émission ‘Entre Deux’ avec Babacar Dione’’, souffle ce journaliste de la chaine qui cite, pêle-mêle : Abdou Karim Fofana (deux fois au moins), Abdoulaye Sow, Alioune Ndoye, Victorine Ndèye, Pape Malick Ndour… ‘’Je ne retiens pas tous leurs noms, mais ils sont nombreux. Au-delà d’‘Entre Deux’, il y a ‘On en parle toujours’ avec Babacar Dione, et ‘Lii’. Je confirme en tout cas qu’ils sont très fréquents dans nos différentes émissions’’.
Dans les autres chaines privées, le décor est quasi identique. À la SenTV, en l’espace de quelques semaines, c’est au moins cinq ministres de la République. Outre le ministre des Sports, il y a eu son homologue du Commerce doublé de porte-parole du gouvernement Abdou Karim Fofana, le ministre de la Jeunesse Pape Malick Ndour, le ministre de l’Urbanisme Abdoulaye Sow, Mme Victorine Ndèye (chargée de la Microfinance), Fatou Diané Guèye de la Femme, entre autres. Même Walf dont la ligne éditoriale est réputée proche de l’opposition reçoit de plus en plus de membres du gouvernement. Idem pour les radios et les médias de la presse écrite.
Quand ils ne parlent pas des réalisations du régime ou du 3e mandat, c’est surtout pour intervenir sur des sujets brûlants de l’actualité. Parmi ces sujets qui mobilisent tout le gouvernement, il y a eu la lutte contre la vie chère et les différentes mesures du président de la République, mais surtout celui qui défraie encore la chronique, à savoir le rapport de la Cour des Comptes.
Souvent, les représentants du gouvernement manquent de peu de passer à côté de la plaque. Dans ce lot, c’est le beau-frère du président et ministre des Transports terrestres qui est allé le plus loin en traitant les auditeurs de ‘’politiques’’. Chroniqueur à la TFM, Abdoulaye Cissé a du mal à contenir sa colère par rapport à de telles accusations. Il fulmine : ‘’Ces gens dont il parle sont non seulement beaucoup plus instruits que lui, mais ils aiment ce pays beaucoup plus. En tout cas, je respecte plus ces gens qui essaient de préserver nos deniers publics que ces prévaricateurs de nos deniers. Il faut vraiment qu’on arrête, savoir que le ministre est là par décret. Ces gens sont là par leur seul mérite. Il faut que l’on soit plus sérieux.’’
Dans le même dossier, le journaliste en veut au gouvernement qui tente vaille que vaille à ‘’blanchir’’ certains de ses membres accusés de malversations. ‘’Au nom de quoi le gouvernement doit répondre au nom de ceux qui sont épinglés ? Nous n’attendons pas le gouvernement, nous n’attendons pas le ministre des Finances… Nous attendons les véritables responsables et ceux qui n’ont même pas daigné répondre à l’interpellation de la cour comme le ministre de la Santé de l’époque. Ces gens qu’ils essaient de défendre ne méritent pas que le gouvernement déploie toute son énergie pour les défendre’’, proteste le journaliste sur le plateau de la TFM.
Pour lui, le gouvernement fait hors sujet en voulant faire croire aux Sénégalais qu’il est difficile de dépenser indument l’argent public. ‘’C’est peine perdue, parce que le rapport de la cour nous a démontré le contraire. On nomme n’importe qui comme gestionnaire, on dépense les deniers n’importe comment… Sans même exiger des pièces justificatives. Voilà la réalité et le président et son gouvernement doivent arrêter de défendre ces gens’’.
Marathon budgétaire
Malgré ces insuffisances, on note une volonté manifeste de ne pas laisser les plateaux aux adversaires politiques. Outre le volet médiatique, le gouvernement doit aussi batailler ferme au niveau de l’Assemblée nationale où les coups de poing n’ont pas manqué en certaines occasions. Là également, quelques évènements phares sont remarqués et ont été des moments de grande communication.
Il en est ainsi de la période de vote de la loi de finances pour l’année 2023. À peine le marathon budgétaire terminé, le Premier ministre est entré dans la danse avec sa Déclaration de politique générale qui avait mobilisé tout le gouvernement. Il en fut de même lors de la motion de censure déposée par les députés de Yewwi Askan Wi qui ne font aucun cadeau à Amadou Ba et Cie, aussi bien sur les plateaux qu’au sein de l’hémicycle.
Mais le gouvernement ne se limite pas à une communication directe à travers les sorties médiatiques et autres évènements du calendrier républicain. Il est aussi omniprésent à travers des éléments de langage et documents de presse constamment distillés sur la place publique par ses différents services, notamment le Bureau d’information gouvernemental. Désormais, à la veille de presque chaque grand évènement, les médias reçoivent les discours des officiels et autres éléments de langage.
Cette omniprésence médiatique, si l’on en croit certains observateurs comme Abdoulaye Cissé, n’a pas que des effets positifs. Il peut aussi comporter des effets pervers. Dès la nomination du gouvernement, il avertissait : ‘’Nous avons un président qui pense que le rôle du communicant, c’est de faire en sorte que tout soit lisse, désamorcer tous les scandales qui nuisent à l’image du gouvernement. Ils pensent aussi que la communication, c’est faire en sorte que le gouvernement soit visible partout, tout le temps. C’est peut-être pourquoi il a souvent mis en avant les journalistes : Abou Abel Thiam, Souleymane Jules Diop, Abdou Latif Coulibaly, El Hadj Kassé, Mamadou Thiam et maintenant Yoro Dia… Souvent, ce sont des journalistes, à l’exception peut-être de Seydou Guèye. Or, la communication, ça va bien au-delà du rapport avec les médias.’’
Par ailleurs, ce que le gouvernement semble perdre de vue, c’est qu’on a beau avoir les meilleurs communicants, si le contenu n’est pas vendable, les efforts vont rester vains. C’est le cas dans le dossier des fonds Force-Covid-19 où le gouvernement a tout intérêt à faire profil bas. Dans le dossier Pape Alé Niang également, le gouvernement a su, à un moment donné, reculer pour mieux maitriser ensuite sa proie.
Il en est de même des sujets relatifs à Adji Sarr et au troisième mandat dans lesquels le gouvernement se sent souvent très mal à l’aise.
RASSEMBLEMENT SOCIÉTÉ CIVILE Les politiciens n’auront pas droit à la parole ! Au niveau de la société civile, les acteurs préparent activement le rassemblement du vendredi 30 décembre, pour exiger la lumière sur le rapport de la Cour des Comptes. Hier, une importante réunion a été tenue entre les protagonistes, pour fixer les règles du jeu. Dans ce cadre, trois décisions majeures ont été prises. En premier lieu, les organisateurs de la marche, pour éviter toute politisation de ce combat, ont retenu que les politiciens, de quelque bord qu’ils puissent être, seront les bienvenues à la manifestation. Seulement, ils n’auront pas droit à la parole. La deuxième mesure est que dans la déclaration finale, il ne s’agira de parler que du rapport de la Cour des Comptes. Et il y aura une seule personne pour la lire. Maintenant, avant la lecture de la déclaration finale, des organisations membres vont faire des communications. En fait, comme annoncé hier par ‘’EnQuête’’, il y a des risques de politisation outrancière de ce dossier et les acteurs de la société civile ne veulent pas tomber dans le piège. D’où la décision de verrouiller la prise de parole. |
MOR AMAR