Publié le 18 Aug 2023 - 07:19
GRÈVE DE LA FAIM DU LEADER DE PASTEF

Sonko ou la stratégie du martyr politique

 

Le choix de l’opposant Ousmane Sonko et plusieurs de ses camarades de refuser de s’alimenter laisse craindre une dégradation de leur état de santé. Cette méthode de grève de la faim comme moyen de lutte politique vise à chercher à attirer la sympathie et l’assentiment de l’opinion publique dans cette bataille de communication.

 

Le leader de Pastef/Les patriotes, Ousmane Sonko, observe depuis plus deux semaines une grève de la faim et refuse même de se soigner à l’hôpital Principal de Dakar. Me Ciré Clédor Ly, membre du collectif de la défense d’Ousmane Sonko, renseigne, dans un post sur X (anciennement Twitter), qu’Ousmane Sonko observe son ‘’17e jour d'abstention volontaire et 5e jour de refus de tout soin médical’’.

La robe noire souligne que son état de santé s’étant détérioré, le projet de l’État de le sortir de l’hôpital sera d’endosser la responsabilité d’une non-assistance de personne en danger. Un cri d’alarme auquel Alioune Tine, président du Think Tank Afrikajom Center, n'est pas du tout insensible. D’après le droit-de-l’hommiste, il faut permettre au maire de Ziguinchor de rejoindre les siens. ‘’Il faut libérer Sonko et les détenus politiques, pendant qu’il est encore temps", écrit-il dans son compte X. 

Même son de cloche pour Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International/Sénégal, pour qui la grève de la faim observée par les autres camarades d’Ousmane Sonko - Cheikh Bara Ndiaye, Hannibal Djim, Pape Abdoulaye Touré - admis aux urgences de l’hôpital Principal de Dakar, pourrait aboutir à une cascade de décès. Il fait savoir que "les informations qui (lui) parviennent de proches de Sonko, de ses avocats et même de médecins sur l’état de santé d'Ousmane Sonko sont très préoccupantes et pourraient, si des décisions urgentes ne sont pas prises, mettre en danger sa vie’’.   

Cette stratégie de lutte vise à choquer et émouvoir l’opinion publique et à la sensibiliser à une cause. En effet, l'expression ‘’grève de la faim’’ ne s'impose qu'au XIXe siècle. Il s'agit d'une privation de nourriture à caractère public associée à une revendication, face à un adversaire ou à une autorité qui serait susceptible de satisfaire la revendication. L’arme de la grève de la faim peut avoir d’importantes répercussions sur la santé du gréviste et implique le plus souvent la mise en danger du gréviste.

Ainsi, des personnalités comme l’homme politique indien Mahatma Gandhi, pour protester contre les dérives de la colonisation britannique et la partition du sous-continent indien en 1947, et l’activiste nord-irlandais Bobby Sands ont profondément démocratisé ce moyen de lutte politique. Sans oublier les ‘’sans-papiers’’ de l’église Saint-Bernard à Paris en 1996. 

Dans le cas du nationaliste irlandais et responsable local de l’Armée républicaine irlandaise (Ira) Bobby Sands, mondialement connu en 1981, lorsqu'il entame une grève de la faim de 66 jours à laquelle il ne survit pas, il entendait dénoncer le sort dégradant réservé aux militants de l’Ira et aux nationalistes irlandais par le gouvernement britannique de Margaret Thatcher. La Première ministre britannique demeura sourde aux divers appels à la libération de Sands et des prisonniers de l’Ira. Il est souvent considéré en Irlande, et au-delà des frontières, comme un héros de la cause républicaine, mais également de la défense de la liberté et de la dignité des prisonniers politiques. 

Grève de la faim comme arme politique face à des régimes répressifs

Du côté de Pastef, cette stratégie de la grève de la faim pour les détenus politiques s’inscrit dans une volonté de continuer l’action entamée dans la rue par divers autres moyens. Une méthode de résistance qui, dans certains cas, a porté des fruits. La grève de la faim sévère du journaliste Pape Alé Niang a poussé l’État à le libérer de prison définitivement, de peur d’en faire un vrai martyr de la liberté. 

Ainsi, certains gouvernements semblent désemparés face à cette forme de lutte. L’État du Sénégal, qui entend garder ses prérogatives en tenant une position ferme face à Ousmane Sonko, peut rapidement se retrouver en difficulté face au poids de l’opinion publique. La crainte pour l’État est que l’opinion peut passer rapidement du stade d’indifférence à celui d’indignation et de la contestation.

En outre, sur le plan communicationnel, cette grève de la faim met toujours la lumière sur le leader de Pastef et ses camarades victimes d’une forte répression. Une situation qui viendra valider leur maître mot de résistance face à un pouvoir considéré comme répressif et autoritaire. Cette bataille de la narration peut-elle être gagnée par le maire de Ziguinchor ? La volonté de l’État de le maintenir en détention risque, à terme, d'être perçue comme un acharnement sur sa personne. Et les arrestations de ses militants et cadres emprisonnés pourraient accréditer cette rhétorique.

De plus, les solutions de l’État pour briser cette grève de la faim peuvent s'avérer contre-productives.  

Johanna Siméant, spécialiste en sociologie politique, soutient que les pratiques de nutrition de force, qui ont été les premières réponses répressives aux grèves de la faim en milieu carcéral, peuvent être d'une grande brutalité. D’après la chercheuse, elles peuvent entraîner la mort du gréviste. La technique de la mise sous perfusion peut aussi être contre-productive. Ousmane Sonko, accusé d’atteinte à la sûreté de l’État et de terrorisme, veut gommer son image de trublion qui menace la paix et la concorde nationale.

Ainsi, le leader de l’ex Pastef, qui se considère comme une victime, entre en droite ligne de sa rhétorique antisystème. Un système qui, d’après lui, a déjà fait la preuve de sa déliquescence en martyrisant la jeunesse sénégalaise, avec son lot de victimes liées aux émeutes.

AMADOU FALL

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