Publié le 8 Aug 2022 - 23:06

 

Expert agréé en évaluation d’impact environnemental, le maître de conférences à l’Institut des sciences de la terre (IST) totalise une expérience de plus de 30 ans dans l’étude des inondations au Sénégal, particulièrement à Dakar.

 

Apprend-on de nos erreurs ? De nos mauvais choix ? Faisons-nous des choix dictés par des intérêts politiques ou par la satisfaction des désirs des populations ? Ces questions se posent à chaque hivernage au Sénégal. À chaque ouverture conséquente des vannes du ciel et que certains quartiers de Dakar se retrouvent sous les eaux. Les conséquences sont alors multiples : des pertes de vies humaines, le déplacement de populations, des impacts sur la santé des populations, sur leurs biens et sur les réseaux de  toutes sortes. À grande échelle, les inondations compromettent gravement le développement économique.

Deux pluies de 88 mm et de plus de 126 mm, à un mois d’intervalle, ont remis la question des inondations au centre de l’actualité. Celle de vendredi dernier ayant même provoqué le déclenchement d’un plan Orsec par le président de la République. Une solution d’urgence des autorités publiques tellement récurrente qu’elle interpelle sur les actions mises en place pour apporter une solution durable à un phénomène naturel très prévisible. Car les inondations à Dakar ne datent pas d’hier.

Cela fait plus de 30 ans que le Pr. Papa Goumba Lo étudie le phénomène naturel qui frappe  habituellement certains quartiers de la capitale sénégalaise. En 2001, le géologue et environnementaliste encadrait un étudiant ayant écrit son mémoire de fin d’études sur le sujet : ‘’Déterminants géologiques, impacts urbanistiques et aménagements durables : cas des inondations à  Dakar et banlieue’’.

Dakar, une zone propice aux inondations pour plusieurs raisons…

Dans l’analyse des résultats de ses recherches, Abdoulaye Diop, étudiant à l’Institut des sciences et techniques (IST) à la faculté des Sciences et techniques de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, a abouti à la conclusion que la capitale sénégalaise est une zone propice aux inondations pour plusieurs raisons : ‘’Une topographie particulière fait qu’une vaste zone basse est comprise entre le horst nord (Mamelles) le horst sud. Dans la région est de la presqu’île, la topographie montre un relief avec des interdunes où affleure la nappe phréatique. Plusieurs zones se retrouvent à des niveaux inférieurs à celui de la mer. L’occupation du sol ne tient pas compte de l’environnement naturel et une forte urbanisation a entraîné une absence d’infiltration des eaux. Le réseau d’aménagement, lorsqu’il existe, est souvent non approprié au contexte naturel. Et surtout, aucun aménagement durable ne devrait se faire sans adéquation avec le milieu naturel.’’

Plusieurs études ont été menées par le gouvernement et parfois avec des partenaires étrangers afin de déterminer les causes des inondations récurrentes et d’y apporter des solutions. Dans son mémoire, Abdoulaye Diop rappelait qu’en 1994, ‘’le gouvernement sénégalais, en collaboration avec l’Agence japonaise de coopération internationale (Jica) a fait réaliser une étude sur l’assainissement de Dakar et de ses environs. Le rapport de soutien qui en a découlé traite des problèmes de l’assainissement des eaux usées, mais également de l’assainissement des eaux pluviales. À ce propos, le rapport insiste particulièrement sur les conditions d’inondation, lors de la plus importante inondation enregistrée en août 1989 avec 113,7 mm de précipitation. La force de la tempête était telle qu’il n’en survient qu’une tous les dix ans. L’étude a identifié trois zones d’inondation à Pikine, en plus des 45 zones d’inondation décelées par le Plan de stratégie Jica 1994. Un plan directeur  de drainage urbain a été proposé avec des ouvrages, l’an 2010 choisi comme année d’objectif d’amélioration’’.

Des causes identifiées depuis longtemps par les spécialistes

Les recommandations faites par ces études ont-elles été appliquées ? À son arrivée au pouvoir, le président de la République Macky Sall a lancé le Programme décennal de lutte contre les inondations (PDLI) sur la période 2012-2022. D’un montant de plus de 750 milliards F CFA, en tranche annuelle de 75 milliards de francs, le PDGI est articulé autour de quatre volets essentiels : l’amélioration de la connaissance des zones d’inondation, le relogement des populations sinistrées, la planification, l’aménagement des villes et un important aspect relatif au renforcement de la résilience des villes consistant, entre autres, à réaliser des ouvrages de drainage d’eaux pluviales.

Plusieurs programmes ont été réalisés à travers la dernière décennie. Parmi eux, le Projet de gestion des eaux pluviales et d’adaptation au changement climatique (Progep, 2012-2019). Selon les autorités, il a impacté positivement plus de 800 000 personnes dans la banlieue de Dakar (Pikine, Guédiawaye, Dalifort et cité Soleil) et même au-delà au Pôle urbain de Diamniadio. D’autres projets ont été réalisés ou sont en cours de l’être dans le cadre du volet Renforcement de la résilience des villes du Programme décennal de gestion des inondations. Ces investissements ont tout de même permis d’avoir des impacts réels et d’améliorer la situation dans beaucoup de quartiers de Dakar, surtout dans la banlieue.

 Malgré les réalisations qui ont été faites, les précipitations du weekend ont rappelé qu’il existait encore énormément de choses à faire pour régler le problème des inondations à Dakar.

D’autres recherches effectuées par le Pr. Goumba Lo ont été partagées dans un document intitulé ‘’Stratégie d’aménagement des Niayes, zones vulnérables aux inondations pour une adaptation efficace  aux changements climatiques’’. Publiées en octobre 2021, elles permettent de constater qu’il faut une réponse globale à la situation et intégrer les changements climatiques qui apportent une nouvelle donne. Selon ce document, ‘’la variation du niveau marin (marée, remontée de la mer) a une grande influence sur le niveau des lacs côtiers et de la nappe. L’élévation du niveau de la mer de part et d’autre de la presqu'île s’oppose à tout écoulement vers la mer, en dehors des zones élevées.

Les solutions techniques du Pr. Goumba Lo

Le directeur général du Centre expérimental de recherches et d’études pour l’équipement (Cereeq) assure que la plupart des zones inondables et inondées autour de Dakar demandent qu’on y réfléchisse de manière plus stratégique. Car ‘’pomper les nappes ou les lacs ne peut être efficace que si l’eau est rejetée vers des bassins isolés et plus bas, que celui dans lequel on pompe, ce qui n’est pas le cas dans la banlieue’’. Ainsi, la topographie fait que ces solutions temporaires peuvent être sujettes à d’autres problèmes. ‘’Dans la nature, il n’y a ni remblai ni pompage. Le drainage et le stockage se font naturellement vers le point le plus approprié’’, explique l’environnementaliste.

Parmi les solutions techniques proposées par le spécialiste, l’aménagement d’un canal principal de 30 km entre le lac Thiourour et le lac Tamna ; la construction d’une vingtaine de stations solaires dans des zones de stockage/épuration ou collecteurs ; la mise en place d’une station de recyclage des ordures pour réhabiliter le lac de Mbeubeuss, entre autres.

 Lamine Diouf

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