Le défi de la complémentarité des pays
En Afrique de l’Ouest, région du continent en proie à une insécurité alimentaire grandissante, les pays doivent pouvoir échanger leurs produits, communiquer, s’informer mutuellement et aussi être complémentaires. Ce qui va régler cette question de l’approvisionnement en denrées et produits de premières nécessités.
La production agricole en Afrique ne bénéficie pas souvent d’un écoulement adéquat. Résultat des courses : les produits finissent par pourrir en stockage. Pourtant, bon nombre de pays du Sahel sont en proie à l’insécurité alimentaire. Pour remédier à cet état de fait, le Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (Cilss) organise depuis hier un atelier de formation des organisations socioprofessionnelles sur l’utilisation des outils de commerce en ligne (bourse virtuelle, e-commerce, m-commerce). Il réunit donc les pays d’intervention du programme (P2RS) ainsi que les acteurs privés partenaires des systèmes d’information sur le marché. L’objectif étant de dresser une cartographie des contraintes et solutions de mise en œuvre de ces outils, et d’identifier une stratégie de diffusion pour favoriser leur appropriation par les acteurs.
L’objectif de cette première phase du Programme régional de résilience à l’insécurité (P2RS) est de contribuer à une croissance inclusive et d’accroître sur une base durable les productions agro-sylvo-pastorales et halieutiques du Sahel. Elle concerne le Burkina Faso, la Gambie, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad.
‘’Cet atelier présente une opportunité majeure de se retrouver avec les autres acteurs des pays du Sahel, particulièrement ceux du Cilss pour ensemble échanger sur la possibilité de créer une plateforme à travers ce système d’information sur le marché agricole ; échanger les informations relatives à la production et à la commercialisation des produits agricoles. Nous sommes confrontés à l’insécurité alimentaire due, en partie, à une pluviométrie variable non-garantie, sans compter les inondations, les problèmes de migration et de sécurité. De tous ces maux, nous pensons que la résilience sera bien prise en compte pour une amélioration de notre système d’information et de nos échanges’’, affirme le président mauritanien de l’Union nationale des professionnels de l’horticulture.
De l’avis de Moulaye Moulaye Idriss, il est temps pour les pays africains d’être dans la complémentarité. ‘’Dans le monde, détaille-t-il, il y a des ensembles économiques et des ensembles géographiques. Nous pensons qu’en Afrique de l’Ouest, il y a un défi de pouvoir échanger les produits, de communiquer, s’informer mutuellement et aussi être complémentaires. Il n’y a pas de raison qu’en Amérique latine ou en Europe, on arrive à avoir cette complémentarité et qu’en Afrique non. Ce que les Anglais ne produisent pas vient d’Italie ; ce qui y est produit est vendu en Hongrie. L’aléa climatique défavorable aux pays du Nord tels que la Norvège est comblé par la France ou l’Italie. Parmi les pays du Cilss, il y a des côtiers comme le Sénégal, la Mauritanie et la Gambie, et les pays au niveau du climat continental comme le Mali, le Niger et le Tchad. Nous pensons que tous ces pays peuvent faire preuve de complémentarité par l’échange de produits aussi bien agricoles que du bétail. Je lance un appel à tous les acteurs socioprofessionnels du secteur agricole pour qu’ils fassent preuve de volonté et d’actions concrètes pour pouvoir créer un cadre d’échange durable’’.
Développement des chaînes de valeur et des marchés régionaux
Selon le secrétaire permanent du Comité national du Cilss du Sénégal, ‘’tandis que les composantes nationales se sont largement investies dans le développement des infrastructures rurales, le volet régional s’investit à accompagner ces dernières dans le développement des chaînes de valeur et des marchés régionaux. L’intégration commerciale est un puissant levier de croissance, de développement et de réduction de la pauvreté’’.
Pour Aliou Diouf, malgré les actions menées, les défis à relever pour venir à bout des besoins en matière d’intégration du commerce régional interpellent les différents acteurs. Ainsi, la mise en œuvre des systèmes d’information sur les marchés (SIM2G) et de la plateforme de e-commerce du SIM2G vise, entre autres, à réduire les délais de transmission des données et de traitement de l’information, d’accroître les canaux de diffusion de l’information sur les marchés et d’assurer une meilleure diversification de l’information.
Financé par la Bad et les États membres du Cilss, le P2RS concerne l’ensemble des 13 Etats membres du Cilss et s’inscrit dans le cadre de la réalisation de l’objectif ‘’Zéro faim en 2032’’ de l’Alliance globale pour la résilience au Sahel.
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3 QUESTIONS A FELIX COMPAORE, COORDONNATEUR REGIONAL DU P2RS
‘’Si l’information circule, on arrivera à combler les déficits là où il y en a’’
Pour le coordonnateur du Programme régional de résilience à l’insécurité alimentaire (P2RS), le défi majeur dans cette lutte contre l’insécurité alimenté n’est autre que la disponibilité et l’accessibilité de l’information relative à la production agricole.
Peut-on adapter cette première phase du P2RS aux réalités nationales ?
Oui, tout à fait. L’objectif fondamental est de renforcer la résilience de nos populations dans la zone Sahel, particulièrement en Afrique de l’Ouest. Qui parle de résilience, parle de sécurité alimentaire et nutritionnelle.
A cet effet, l’une des branches qui doit nous permettre d’atteindre cet objectif, c’est de nous assurer que nos productions sont effectivement améliorées et également que la distribution soit efficiente. Car nous pouvons avoir des productions en surabondance dans une partie du pays et une insuffisance ou un déficit de production dans une autre partie. Si l’information circule et que le marché fonctionne, cela permet de combler les déficits là où il y en a et d’identifier surtout les zones de surproduction pour qu’on puisse équilibrer le marché.
Il est vrai que les États, à travers leur mission de service public, régulent les marchés, mais les premiers acteurs sont les organisations socioprofessionnelles (commerçants, opérateurs économiques privés). A travers ce programme, nous avons donc mis l’accent sur la fludification du marché régional et celle-ci passe par le renforcement des systèmes d’information sur le marché. L’appui que nous apportons aux acteurs, c’est d’utiliser les outils numériques et Tic et à partir de ce moment-là, le traitement devient instantané. On peut avoir les informations relatives à la production rapidement pour l’aide à la décision. Cela doit aider le commerçant ou l’acteur public à décider pour mieux réguler le marché. Nous avons plusieurs supports en matière de formation sur le marché, des sites, des logiciels, des outils du commerce virtuel qui permettent, à partir de votre téléphone portable, d’avoir la situation sur l’ensemble du territoire. La synthèse des informations est immédiate au niveau des différentes plateformes.
L’utilisation des outils numériques ne rentre pas forcément dans les habitudes de votre cible. Est-il prévu des formations pour faciliter leur appropriation ?
L’appropriation du numérique est un challenge pour notre sous-région et particulièrement pour cette frange d’acteurs, car en général, les principaux acteurs ne sont pas des lettrés. Donc, ils ont un problème de maîtrise de l’outil numérique. Mais nous balayons large ; le paysan qui se trouve à Tambacounda peut appeler à partir de son téléphone pour exprimer son besoin, demander l’information. Ce moyen est pour justement ceux qui n’ont pas une maîtrise de l’outil informatique, ceux qui le maîtrisent pourront utiliser le numérique. Nous travaillons avec les opérateurs de téléphonie mobile pour que les échanges se fassent dans les langues nationales.
Considérant les multiples tracasseries, on est tenté de dire que la libre circulation des biens et des personnes ou encore le commerce intra régional sont loin d’être une réalité...
Le défi est là. Même au niveau des organisations politiques comme la CEDEAO qui, depuis des décennies, prônent la libre-circulation des personnes et des biens, le challenge est encore entier, en ce sens qu’il y a encore beaucoup de barrières et beaucoup de tracasseries routières, au niveau des différents acteurs (police, gendarmerie, douane). Nous essayons justement d’organiser tous ces acteurs pour qu’ils sachent que c’est la fludification de notre marché qui va nous permettre à tous d’être plus à l’aise et de créer de la richesse.
Le douanier n’aura plus besoin d’avoir 1 000 F supplémentaires pour acheter son sac de riz, car la libre circulation contribue à l’amélioration de la vie de tout le monde. Le commerçant ne sera pas arnaqué, ni surtaxé. Donc, c’est un défi et nous pensons que le recours aux technologies de l’information et de la communication, et qu’avec la numérisation des coûts et des différentes activités, on va réduire déjà le nombre d’acteurs. Grâce à ces outils, je peux, par exemple, me renseigner auprès des acteurs du bétail pour connaître le prix moyen du mouton. Je peux commander sans avoir à me déplacer pour prospecter et ensuite acheter. Il faut que tous les acteurs participent à la fludification du commerce régional. C’est un facteur incontournable en matière de lutte contre l’insécurité alimentaire.
Il ne sert à rien que Matam produise en excès des oignons et que cela reste stocké jusqu’à pourriture, alors qu’au niveau de Ziguinchor, il y a un énorme besoin. Il faut que chaque acteur joue sa partition. Au niveau du Cilss, nous avons pris l’engagement avec la Bad, à travers ce programme novateur qui tient sur 20 ans, d’accompagner véritablement le renforcement de la résilience, parce que les projets de trois à cinq ans ne peuvent pas aboutir à des résultats sur le long terme. Que tous les acteurs se mobilisent pour qu’on puisse renforcer nos capacités et que la collaboration et la complémentarité soient notre leitmotiv afin qu’on puisse atténuer l’insécurité alimentaire et renforcer la résilience de nos populations.
EMMANUELLA MARAME FAYE