La bataille des terroirs
Candidat à la candidature pour l’élection présidentielle de 2024, Khalifa Ababacar Sall poursuit son maillage du Sénégal oriental, en déclinant au fur et à mesure des pans de sa vision pour le Sénégal. Sur le développement des terroirs, il lance le défi au président Sall et à son Acte 3.
C’est un Khalifa très confiant qui sillonne le Sénégal oriental à la quête des suffrages des Sénégalais. Loin des quolibets et autres querelles, il écoute les populations, note leurs différentes doléances et parle de ses ambitions. L’un des axes forts de cette vision, c’est la décentralisation.
De l’avis de l’ancien maire de Dakar, il est temps d’aller vers une véritable politique de décentralisation, avec des collectivités locales fortes, un État central concentré dans ses missions régaliennes. ‘’Notre conviction, affirme-t-il dans un entretien avec la chaine locale Alkuma, c’est qu’il faut changer le mode de gouvernance de ce pays. D’ailleurs, c’est ce que prévoit l’ODD 11 (Objectifs de développement durable) qui recommande une localisation du développement. C’est-à-dire que si l’on veut développer Tamba, ça doit être avec des gens de Tamba et non des gens d’ailleurs…’’
À en croire le socialiste, la décentralisation, au Sénégal, est incomplète. Et la principale limite, selon lui, c’est que l’État ne donne pas les moyens aux élus. Or, les directives de certains organismes communautaires avaient déjà posé les jalons. ‘’En 2009, rappelle l’ancien édile de la capitale, l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) avait pris une importante directive pour demander la décentralisation du BCI (Budget consolidé d’investissement). Malheureusement, ce n’est pas le cas. On demande aux collectivités locales de prendre en charge les préoccupations des populations, sans leur donner les moyens de le faire. Ce n’est pas possible’’, fulmine l’ancien maire en véritable passionné.
Dans le détail, Khalifa Ababacar Sall entend par là que pour construire une école, par exemple, dans une commune, l’État central n’a pas besoin de construire directement. Il n’a qu’à transférer le budget à ladite commune. À charge pour elle de mener les travaux pour ses populations. ‘’L’expérience a montré que quand on construit avec la main-d’œuvre locale, par la collectivité locale, cela coute bien moins cher. Et cela permet de créer des emplois pour les populations de la localité qui n’auront plus besoin d’aller se regrouper dans les centres urbains. Le problème est que l’État veut faire un bilan sur le dos des collectivités territoriales dans leurs compétences’’.
En fait, l’ancien maire prône des mutations profondes dans le fonctionnement de l’État. Pour matérialiser ses ambitions en matière de décentralisation, il estime qu’il faut régler certains préalables, déconcentrer davantage certains services de l’État. À titre d’illustration, il cite la Direction centrale des marchés publics et l’Autorité de régulation des marchés publics. ‘’Bien sûr que cela demande des préalables. Cette politique doit s’accompagner d’une déconcentration des services de l’État. Au-delà de l’administration territoriale, il faut rendre plus proche les instruments. Qu’il y ait une DCMP, par exemple, par région ou au moins par pôle régional. Il doit en être de même pour l’ARMP, comme c’est le cas des tribunaux. L’État doit s’occuper de ses fonctions régaliennes’’, a-t-il insisté.
La Sall réplique
C’est à croire que le gouvernement accorde une oreille attentive à la tournée de Khalifa Ababacar Sall dans le Sénégal oriental. En tout cas, la coïncidence est troublante. À peine trois jours après cette sortie de l’ancien maire de Dakar, le président de la République, en Conseil des ministres, a réservé une place très importante aux villes et collectivités du Sénégal. Il a insisté sur l’accélération de la modernisation des villes et la maitrise stratégique du développement urbain, à travers notamment la dynamique de territorialisation des politiques publiques. ‘’Cette politique hardie renforce le désenclavement interne du territoire national, améliore le cadre de vie des populations et valorise les localités’’, soutient le gouvernement.
Dans la même veine, le président de la République a demandé au Premier ministre ‘’de faire l’état des lieux exhaustif des réalisations de l’État dans chaque commune, mais aussi de finaliser un plan d’action annuel consolidé des interventions des programmes de développement territorial (PUDC, Puma, Pacasen urbain et rural, Promovilles)’’.
En outre, informe le communiqué, le président de la République a exhorté le Premier ministre à mener une réflexion stratégique sur une gouvernance foncière prospective, en tenant compte des orientations et prescriptions du Plan national d’aménagement et de développement du territoire (PNADT).
Dans sa sortie sur Alkuma FM, Khalifa regrettait le défaut de planification depuis des années. Il affirme : ‘’Le développement a des instruments. Il faut de la prévision, de la prévisibilité, pour avoir de la visibilité. Ils ont renoncé depuis 2000 à la planification. Alors que même dans les pays développés, on n’improvise pas ; le développement ne s’improvise pas. Il faut une vision partagée dans des ensembles cohérents et dans des conditions d’intégration et d’inclusion des populations.’’
Selon lui, ‘’ce qui se passe dans le Sénégal oriental est un vrai scandale et que les populations de cette zone ont le droit d’être révoltées’’. Il ajoute : ‘’Vous savez, la région du Fleuve, le Sénégal oriental et la Casamance auraient dû être les principaux pôles de développement du Sénégal, vu leurs ressources extraordinaires en termes de disponibilité de la terre, de l’eau, de la richesse du sous-sol. Si on veut se développer, il faut s’appuyer sur ces trois régions. Nous avons tout pour développer ce pays, mais il faut une vision à long terme du développement, mais aussi une vision partagée.’’
KHALIFA ABABACAR SALL ‘’Les bourses familiales ont été dévoyées de leur vocation’’ Interpellé par ailleurs sur la politique des bourses de sécurité familiale, Khalifa a surtout dénoncé une instrumentalisation des bourses à des fins politiciennes. Même s’il pense que ce n’est pas une mauvaise chose, il est d’avis que leur vocation a été dévoyée par le gouvernement, car les bourses doivent aider les bénéficiaires à être autonomes et indépendants, et non à être éternellement dans les liens de la dépendance. ‘’Il faut savoir, souligne-t-il, que le Sénégal n’a pas inventé les bourses familiales. Nous l’avons imité d’autres pays, mais l’avons dévoyé de sa vocation initiale. La bourse familiale n’est pas comme le secours que donnent les collectivités locales. Sa vocation, dans les pays qui l’ont initiée, c’est d’être une sorte de crédit revolving destiné aux chefs de ménage qui n’ont pas de travail, par exemple. Le gouvernement les finance pour qu’ils travaillent, je dis bien travailler. C’est aux antipodes de ce que nous faisons. Ici, c’est un instrument politique. C’est la base sur laquelle ils s’appuient pour inscrire les gens, remplir leurs parrainages’’. |
Mor AMAR