Dans l’enfer des femmes transformatrices de poissons
Khelcom, la cité de transformation des produits halieutiques de Joal, est l’un des poumons économiques de la commune. Ce site arpenté à longueur d’année par des centaines de femmes est dans un état de délabrement avancé. Les transformatrices de poissons demandent l’aide de l’Etat.
Chaque matin vers 6h, les femmes de la commune de Joal-Fadiouth convergent vers leur lieu de travail. En dehors du quai de pêche et du marché central, Khelcom est le principal lieu de travail de la commune. Le site a été créé vers les années 90, suite à la délocalisation du centre de transformation qui se trouvait au centre ville. Khelcom a été créé pour être plus accessible et éviter la pollution au centre ville. Avec la fumée qui étouffait la ville lorsqu’on fumait le poisson, la mairie avait pris la décision de délocaliser la cité de transformation des produits halieutiques, loin de la ville, au niveau du bras de mer de Mama Guedj. À cette époque, il n’y avait aucune habitation près de la cité. Mais avec l’extension de la ville, Khelcom se trouve aujourd’hui environné de maisons.
Des centaines de femmes gagnent leur vie à Khelcom. Lorsque le produit est en abondance, elles viennent des villages environnants (Ndofane, Thiolaye, Ndianda, Ndiarogne, etc.) pour y monnayer quotidiennement leurs forces. Les gains obtenus par journée fluctuent. “Cela dépend de la rareté ou de l’abondance du produit. Quand il y a beaucoup de poissons, nous pouvons gagner jusqu’à 7 000 voire 10 000 F par jour et si le produit se raréfie, parfois, il n’y a pas de travail”, confie Daba Sarr. A ces centaines de femmes qui y viennent chercher leur gagne-pain journalier, s’ajoutent celles de Joal qui sont pour la plupart les propriétaires des fours de transformation.
Dans le site, il y a deux types de produits : il y a le poisson fumé communément appelé "kecax" et le poisson sec dit "gejj". Les transformatrices qui font le poisson fumé utilisent un budget plus conséquent. Elles achètent des tiges de mil, à 35 F le tas. Une charrette peut charger plus de 300 tas. Les villages environnants cités plus haut et d’autres plus lointains ravitaillent le marché de Khelcom en tiges. Chaque jour, plus de 100 charretiers y viennent vendre leurs marchandises. Après l’achat des tiges de mil, les femmes payent des personnes qui rangent le poisson, avant d’y déposer la paille et de mettre le feu. Ensuite, elles paient de nouveau pour dépecer le poisson, après y avoir mis du sel. Après séchage, le produit est mis en vente. Pour le gejj, c’est plus simple. Dès que le poisson arrive, elles payent la main d’œuvre pour le séchage. Ensuite, le produit est vendu.
Mais, au préalable, il faut se rendre au quai de pêche pour acheter le poisson. Pour cela, elles louent des charrettes pour le transport jusqu’à Khelcom. En dehors du sel, le "xeme" est nécessaire à la transformation du produit. Le site est un véritable centre économique. On y rencontre des restaurants, des vendeuses de crème, des boutiques, des vendeurs de foin, etc.
Un site en agonie
Toutefois, malgré ce foisonnement de vie, le site est à l’agonie. Les difficultés de Khelcom y rendent le travail très pénible. Les transformatrices sont ruinées par des dépenses souvent évitables. Depuis la création du site, les femmes se battent pour une adduction en eau, dans leur lieu de travail. Elles achètent le bidon d’eau à 50 F. Les charrettes tirées par des ânes qui assurent le ravitaillement font de bonnes affaires. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, ces charretiers n’aiment pas entendre parler de borne fontaine dans le site.
Le site est enclavé et en saison de pluies, les eaux usées l’envahissent. Pourtant, les ministres qui se sont succédé ont toujours promis de créer une route bitumée qui mène vers le port, mais toujours rien. À cela s’ajoute un manque criard de financement. “On nous avait promis un financement de 2 millions par femme, pour une caution de 25 millions. Mais, avec les politiques, on entend toujours de belles choses, sans les voir. Nous sommes fatiguées et aucun ministre ne nous a jamais satisfaites”, s’est lamentée Tening Ndiaye, présidente de l’association des femmes transformatrices, devant le ministre de la Pêche Omar Guèye, lors de sa dernière visite
Le centre d’exposition de poissons transformés, débuté depuis 2004 par l’entreprise Papa Sud, n’est pas encore opérationnel. Les Joaliens avaient volé les palettes. Frustré, l’entrepreneur s’était retiré. Depuis lors, beaucoup de personnes se sont succédé au ministère de la Pêche, sans aucune satisfaction. Ce centre doit accueillir la zone d’extension. Mais les experts, ignorant que le prétraitement ne peut se faire dans ce lieu, du fait de l’insalubrité, ont été rectifiés par Tening Ndiaye, en présence du ministre de la Pêche. Ce dernier, pour se rendre compte du calvaire de ces femmes transformatrices, a oublié le protocole et fait un tour du site. Les femmes n’ont pas hésité à l’interpeller sur leurs difficultés.
Le site d’extension sera dédié à la transformation et le centre à l’exposition. Ainsi en a décidé le ministre devant le maire de la commune, Boucar Diouf.
André BAKHOUM