‘’Notre problème majeur, c’est l’écoulement du sel’’
Activité principale au lac Rose, la commercialisation du sel n’est pas florissante, ces dernières années. Depuis la saison dernière, des tas de sel sont stockés sur les lieux, dans l’attente de potentiels acheteurs. Khondé Fall, membre du Comité de gestion du lac, chargé de l’organisation du travail autour de l’exportation, revient sur l’organisation du travail et les défis auxquels ils font face.
Comment se passe la collecte du sel au niveau du lac ?
Nous nous occupons de la gestion du sel. Nous partageons le lac en deux parties. Nous travaillons sur une partie et laissons l’autre se reposer entre 5 à 6 mois. Ainsi, le sel va se former naturellement. Ensuite, nous autorisons l’exploitation. Pendant qu’on collecte le sel sur cette partie, on ferme celle qui est déjà exploitée.
Comment vous organisez le travail ?
Toute personne qui désire exploiter le sel peut venir le faire librement. L’essentiel, c’est qu’elle s’enregistre auprès du comité. Nous ne demandons de l’argent à personne. Les gens peuvent venir chercher le sel sans souci et il y a des commerçants qui sont sur place pour acheter le produit. Tout ce que nous exigeons, c’est la discipline et l’honnêteté dans le travail. Tous les tas qui vous voyez sont déjà achetés. Quand quelqu’un vient ici, il lui faut un fournisseur. Tout est organisé. Si on a un client avec qui on veut travailler, on informe le comité du tonnage qu’on souhaite acheter et on lui verse l’argent. Et si le fournisseur vient, il se présente à son tour au niveau du comité qui gère tout ceci. Nous suivons tout le processus pour éviter d’éventuels couacs. Nous nous assurons aussi que le client a bien versé son argent, avant de prendre la marchandise. Chaque village a deux représentants au sein de la Commission de gestion du lac. Les intérêts sont partagés chaque un ou deux mois.
Donc, le comité fait l’intermédiation entre les fournisseurs et les clients ?
Oui. En effet, tout acheteur vient passer sa commande auprès du comité. Celui-ci lui dit le prix du marché. La personne paie. On achète le sel qui est iodé, on le met dans des sacs qui sont chargés sur des camions pour la livraison. Le comité est aussi un groupement d’intérêt économique (Gie) depuis une trentaine d’années, qui réunit 5 villages. Il s’agit de Niague, Beuye, Ngoyé Mbame, Déni Biram Ndao nord et sud. Avant, les choses n’étaient pas organisées. Chacun travaillait comme il voulait. Certains partaient avec l’argent des clients, etc.
Est-ce que c’est possible, pour les ouvriers de faire, des affaires sans passer par le comité ?
Non, ils ne peuvent pas. Parce que les gens qui veulent travailler doivent impérativement se présenter ici. On ne peut pas travailler dans cette zone clandestinement. Car on n’aura pas la possibilité de faire sortir le sel à l’insu des membres du comité. D’abord, pour le faire, il faut un camion et celui-ci, avant qu’il ne quitte les lieux, doit détenir une facture qu’il va présenter à la gendarmerie, à la sortie, pour une vérification. Parce qu’avant qu’un sac de sel ne quitte l’endroit, il faut qu’il soit iodé et c’est le comité qui s’en charge. Donc, on ne peut pas le faire dans la clandestinité. Nous sommes là du matin au soir, de 8 h à 18 h. Et en rentrant, nous laissons des gardiens sur place qui surveillent les lieux.
Combien de tonnes de sel sont produites ici, par jour ?
C’est difficile de le quantifier, parce que cela dépend de la demande. Il arrive des moments où elle est forte et parfois c’est le contraire. Ce n’est pas une activité où les gens font des commandes régulièrement. Un client peut faire une commande et rester un bon moment avant de revenir.
Est-ce qu’il vous arrive de rester une semaine sans avoir de commande ?
Non, ceci est impossible. Les commandes viennent de partout. Les gens achètent le sel brut pour le broyer après. Certains clients viennent du Port autonome de Dakar, d’autres de la sous-région. On travaille chaque jour et cela dépend de la commande. On peut rester aussi toute une journée sans client.
A combien est vendue la tonne de sel ?
Le prix varie. On ne peut pas dire exactement le coût. Parce que, dans le commerce, certains prix sont secrets, on ne peut pas les divulguer au grand public. Chaque fournisseur a un prix qu’il applique à ses clients et la qualité du sel n’est pas la même. Donc, les prix ne sont pas les mêmes. Il y a aussi le sel qui a duré ici plus d’un an. Il est plus cher que celui qui vient d’être ramassé. Je ne peux pas dire le prix exact ; chacun détermine à combien il vend son tas de sel.
Mais qui fixe les prix ?
Où que ce soit, même au Sine-Saloum, il n’y a pas de prix fixe pour le sel. Aujourd’hui, on peut vendre la tonne à 20 000, 25 000, voire 30 000 F Cfa. En période de froid, il y a peu de sel. Donc, il devient plus cher. Actuellement, et dans quelques mois, si on commence l’exploitation, les prix seront bas.
Est-ce que la main-d’œuvre est prise en compte dans les facturations ?
Non. Chacun est payé en fonction de ce qu’il fait et pour chaque étape du processus.
A part les clients locaux, est-ce que vous arrivez à exporter le sel massivement ?
Maintenant, on n’exporte pas comme avant. Les clients venaient du Mali, du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire. On exporte toujours vers le Burkina et la Côte d’Ivoire, mais la quantité est réduite. Le Ghana a du sel et c’est plus près du Burkina que Dakar. En effet, si on quitte Dakar pour le Burkina, on paie entre 2,5 et 2,6 millions de francs Cfa pour le transport. Or, si c’est du Ghana au Burkina, c’est 1,5 million avec un jour de trajet. Alors qu’ici ils font entre 5 et 6 jours. En plus, avant, il n’y avait pas trop de taxes sur le sel. C’est pourquoi les gens ne l’exportent plus.
A part ces taxes liées à l’exportation, existe-t-il d’autres défis auxquels vous faites face ?
Notre problème majeur, c’est l’écoulement du sel. On a une quantité importante de sel sur place et la qualité y est aussi. Mais la commercialisation fait défaut. Les tas qui sont là datent de la dernière saison. S’il y avait des clients, il n’y aurait rien ici. Il arrivait des années où, à cette période, il n’y avait aucun stock de sel sur les lieux. Il y a beaucoup plus de dépenses dans la production du sel. Mais, au niveau du lac, le sel ne coûte pas cher. Ce sont les taxes qui découragent les exportateurs.
Pourquoi le ramassage du sel se fait toujours en mode artisanal ? N’avez-vous pas la possibilité de le moderniser ?
Ce que nous connaissons et qu’on nous a transmis, c’est la collecte du sel de manière artisanale. Si on nous avait proposé une meilleure méthode, on ne l’aurait pas refusée. On ne pense pas qu’il y ait une autre possibilité.
Est-ce que vous confirmez que le lac est en voie de disparition ?
Ces deux dernières années, il n’y a pas eu une forte pluviométrie. C’est pourquoi le niveau d’eau baisse. C’est arrivé une fois. On a eu peur, mais la nature a bien rétabli les choses. Plus la pluie est abondante, plus le lac est rempli. Et si nous sentons que le lac commence à tarir, nous allons y réfléchir et trouver des solutions.
Qu’en est-il de la fameuse couleur rose du lac ?
Parfois, si on regarde de loin, on va croire qu’il n’est pas rose. Mais c’est en s’approchant qu’on se rend compte de sa vraie couleur. Cependant, pour que le lac soit vraiment rose, il faut qu’il vente beaucoup et que le soleil soit au zénith. Si les conditions ne sont pas réunies, cela ne sera pas le cas. Nous travaillons ici tous les jours, nous observons ce changement.
MARIAMA DIÉMÉ