Les graines de l’espoir
Le village de Mbarassane (nord-ouest de la ville de Diourbel) a changé de visage, depuis quelques années, grâce à l’apport du marabout Cheikh Ahmadou Mbacké. Ce disciple de Serigne Saliou Mbacké (5e khalife général des mourides) a largement contribué à l’émergence de cette localité. Il n’empêche, des maux, il en existe encore, comme le manque d’eau, de bons services de soins de santé et d’éducation.
L’accès au village de Mbarassane (arrondissement de Ndindy, département de Diourbel) relève d’un parcours du combattant. Peu de gens s’y rendent. Ainsi, les voitures de transport en commun ne desservent pas cette localité le matin. Un flux vers ce patelin est noté vers 17 h. C’est l’heure à laquelle rentrent les villageois exerçant leur activité dans la capitale du Baol. Cette situation expose sans doute les citadins voulant s’y rendre pendant la journée et empruntant les transports en commun à des difficultés. Le voyageur pressé est donc contraint de louer un taxi ou une ‘’moto-Jakarta’’. La première option est beaucoup plus confortable. La seconde indispose le voyageur.
Ce dernier, qui quitte Diourbel, devra défier la poussière et les obstacles de la route latéritique inachevée de ‘’Touré Mbonde’’. Mais le conducteur habitué de la zone peut atténuer sa peine. Le ‘’Jakartaman’’ arpente d’abord les raccourcis des pistes sablonneuses, puis traverse les villages de Ndiodione, Yatène, Sarème, Dambane, Yemal, Ndiallap avant d’arriver enfin à Mbarassane, après 42 minutes de route.
A l’arrivée, une mosquée imposante de six minarets vous accueille. Cette infrastructure religieuse, peinte aux couleurs beige et vert, fait aujourd’hui ‘’la particularité’’ de ce village, souligne un jeune croisé devant cet édifice. La mosquée est construite à l’entrée du village par le marabout Cheikh Ahmadou Mbacké ‘’Mahoul Hayaat’’ (disciple de Serigne Touba). D’après lui, le guide religieux a procédé à son inauguration en 2016, après quatre ans de travaux. La maison de culte, bâtie sur une grande superficie, fait face au ‘’daara’’ moderne. C’est dans cette école coranique que sont assurés actuellement l’enseignement et l’éducation religieuse de plus de 200 enfants.
Le calme plat attire l’attention du visiteur, en cette matinée du 15 août 2020, dans ce vaste espace dénommé ‘’Manaroul Hudda’’ (Minaret de la droiture). La grande superficie abrite, en outre, la maison du guide religieux et quelques concessions de ses fidèles et proches. Seules les chansons des talibés de l’école coranique perturbent la tranquillité de cet espace public.
Insuffisance de l’eau, de services de santé et d’éducation
Mais ce calme n’est pas perceptible à l’intérieur du village. La contrée est très animée vers 13 h, coïncidant avec le retour des champs des vieux, jeunes et adultes. Le chef du village fait partie de ceux qui reviennent des travaux champêtres. L’ex-travailleur à la Sonacos s’active dans l’agriculture depuis sa retraite.
Selon lui, l’agriculture et l’élevage constituent d’ailleurs les principales activités de Mbarassane. Il précise qu’il n’y a pas assez de ressources et d’espaces permettant aux habitants de mener d’autres activités. ‘’Nous ne pouvons pas faire de commerce, en raison de l’absence de marché formalisé nous permettant d’écouler nos produits. C’est pourquoi nos fils sont obligés d’aller à Diourbel, Keur Ngalgou, Ndindy, Gawane, Bambey Sérère… pour s’en sortir’’, indique-t-il.
Outre la faiblesse des activités lucratives économiques, la bourgade de Mbarassane est confrontée à d’autres difficultés comme les problèmes d’accès aux soins de santé et à l’éducation. Le village dispose d’une case de santé avec des moyens limités. Les résidents sont condamnés à se rabattre sur le poste de santé de Keur Ngalgou, le centre de santé et l’hôpital Heinrich Lübke de Diourbel, en cas de complications. Il s’y ajoute que les évacuations se font dans des conditions difficiles causées par l’absence d’ambulance et l’impraticabilité des routes.
Mais les villageois espèrent des lendemains meilleurs. Ils peuvent compter sur le soutien du marabout Mahul Hayaat. Ce dernier a entrepris la construction d’un poste de santé. Il a, entretemps, mis à la disposition du village une infirmière. Celle-ci appuie l’agent affecté à la case de santé pour la prise en charge des pathologies simples de 10 000 habitants.
Concernant l’éducation, la contrée compte une école primaire, la seule depuis 1960. Elle a été érigée sous le magistère du chef de village Daouda Faye. L’école compte six classes et après le concours d’entrée en 6e, les élèves sont orientés ailleurs dans les collèges d’enseignement moyen de Diourbel ou de Taiba Moutouf. Ils poursuivent leurs études secondaires aux lycées de Diourbel.
L’autoroute Ila-Touba, un obstacle à la place d’un atout
Mbarassane fait partie des villages longeant l’autoroute Ila-Touba. Mais selon Madiagne Diagne, cette infrastructure, considérée au début comme un avantage, est devenu un obstacle. ‘’Le gouvernement n’a pas impliqué les villageois dans la mise en œuvre et la procédure d’indemnisation’’, regrette-t-il. Mbaye Diouf, électromécanicien, souligne que l’autoroute a séparé certains paysans de leurs champs et voisins de Keur Ngalgou. ‘’Ils sont confrontés à des problèmes de déplacement causés par l’insuffisance de passerelles pour les piétons et les charrettes. Les paysans dont leurs champs se trouvent de l’autre côté de l’autoroute, sont obligés de faire un tour de 3 km. Les élèves vivaient la même situation et ils ont dû s’employer et creuser de petits tunnels afin de pouvoir traverser’’, a-t-il témoigné.
Aujourd’hui, le visage de Mbarassane a changé, avec la construction d’une vingtaine de maisons modernes appartenant à des fils du territoire. Selon l’un d’entre eux, Oumar Diouf, ils sont inspirés par le marabout Mahoul Hayaat. ‘’Il a accepté de résider dans ce village en y construisant une maison de valeur. Il y mène également beaucoup d’activités agricoles. Cela nous a poussés à rester sur place, en faisant comme lui. Nous ne devons jamais oublier notre terre d’origine, quelle que soit notre richesse’’, lance Oumar Diouf.
Le directeur du Patrimoine bâti de l’université Alioune Diop de Bambey (UADB) renseigne, par ailleurs, que la terre de leur village a été désertée à cause de l’exode rurale. ‘’La première génération des fils de Mbarassane a toujours considéré que la réussite était de construire une belle maison à Dakar ou à Touba. C’est ce qui explique que le village était délaissé. L’ingénieur en Génie civil ne regrette pas son retour au bercail. Il a décidé de construire et d’investir dans la terre de ses ancêtres, malgré les opportunités qu’il a trouvées dans d’autres grandes villes.
Le village est aujourd’hui électrifié et l’eau coule grâce aux services hydrauliques fournis par l’Office des forages ruraux (Ofor). Mais les habitants de Mbarassane sont souvent confrontés à des problèmes liés au manque d’eau. Ils exigent l’érection de leur propre château d’eau, puisqu’ils sont alimentés par celui de Yamal dont la capacité ne peut pas assurer l’approvisionnement correct, à cause du boom démographique.
La révolution de Mbarassane a commencé en 2001, avec l’arrivée du marabout Cheikh Ahmadou Mbacké ‘’Mahoul Hayaat’’. ‘’Le guide religieux venait dans cette contrée pour présider un Magal annuel, le lendemain de la Tabaski. Il a ensuite décidé de résider sur place en construisant une mosquée, une maison et un ‘daara’ moderne’’, précise un habitant.
Madiagne Diagne rappelle que l’apport du marabout est très important pour le village. Pour lui, cette plu value est perceptible sur tous les plans social, économique, sanitaire. ‘’Les jeunes et le vieux profitent de ses bienfaits’’, se réjouit-il. La construction de la grande mosquée a soulagé les populations. Ces dernières se déplaçaient à Ndiallap pour les prières hebdomadaires du vendredi et celles des fêtes annuelles de la Korité et de la Tabaski, à cause de l’étroitesse de la première maison de culte. Madiagne Diagne, actuel chef de village de Mbarassane, conduit la destinée de ses compatriotes depuis 1995, suite au rappel à Dieu de son père. Mais avant l’avènement des Diagne, la fonction de chef de village a été assurée par les Ngom et les Faye.
Par ailleurs, même si des réalisations sont faites, les populations aspirent à plus. Ainsi, le chef du village fait de l’extension de son fief sa priorité. Et pour lui, cela ne pourra se réaliser qu’avec ‘’un bon lotissement et une attribution équitable des terres’’. Il invite le maire de Taiba Moutoufa (chef-lieu de commune) et le sous-préfet de Ndindy à établir un plan imminent de découpage des terres afin d’éviter des litiges fonciers. Les 300 demandes de terrains à usage d’habitation et 50 autres destinées aux activités commerciales témoignent de l’intérêt porté à cette agglomération. C’est pourquoi M. Diagne sollicite du gouvernement le goudronnage de la route Diourbel – Mbarassane. Cela facilitera les navettes et les évacuations des malades. L’érection d’un marché et d’un ‘’louma’’ (marche hebdomadaire) font également partie des projets de Madiagne Diagne.
Le village de Mbarassane, situé à 15 km de Diourbel, a été créé en 1770. Cette contrée de la commune de Taiba Moutoufa aspire au développement.
OUMAR BAYO BA (DE RETOUR DE DIOURBEL)