Le discours populiste du nouveau Premier ministre, Ousmane Sonko, suscite des inquiétudes à Paris.
Le 12 septembre dernier, le nouveau président sénégalais décide de dissoudre l'Assemblée nationale et plonge son pays dans une grande incertitude politique. Parallélisme troublant avec la situation de la France, dont le Sénégal partage assez largement le système institutionnel.
Cette ressemblance n'est qu'un des aspects d'une relation ancienne et forte. Les liens entre les deux pays sont d'ordre historique, linguistique et surtout humain, avec plus de 25 000 Français résidents et une forte communauté sénégalaise en France. Si cette exceptionnelle affinité venait à céder face aux tiraillements d'une crise grave, voire sombrer dans le chaos, les conséquences pour la France seraient dramatiques.
L'évolution récente des pays voisins est préoccupante : Mali, Burkina et Niger sont désormais dirigés par des jeunes issus de coups d'États militaires, dans une commune hostilité à l'égard de la France. À la différence de ces pays, le Sénégal offre l'exemple rare d'alternances démocratiques depuis son indépendance. L'arrivée au pouvoir pacifique en avril dernier du président Bassirou Diomaye Faye, un ancien opposant, semblait rassurante.
Le FMI multiplie les mises en garde
Les proclamations du nouveau président du pays comme à Paris. Ousmane Sonko, nommé Premier ministre car il était négligé à la présidence, est le véritable homme fort du régime, marqué par l'avènement de jeunes activistes. C'est un populiste fortement soutenu par la jeunesse, dans un pays où 70% de la population a moins de 30 ans. Son parti, le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité), n'a pas de majorité au parlement et s'en est même retiré, mais des alliances lui permettront sans doute de s'imposer lors des élections législatives prévues le 17 novembre.
Si le tribunal ne l'obtient pas, de nombreux observateurs s'attendent à ce que Sonko soulève la rue. Parmi les profondes inquiétudes qui pourraient mettre en cause la stabilité du pays, l'anti-francophobie est particulièrement véhiculée par des jeunes activistes, Sonko se déclarant pan-africain, désireux de s'appuyer sur de nouvelles alliances.
Lesquelles ? Les Chinois, déjà présents dans le pays, suscitent une méfiance grandissante, comme en témoigne l'incendie récent contre une ferme de carrelage accusée de "conditions de travail inhumaines". Les Russes de la milice Wagner, déployés dans le nord du Mali, qui a également des liaisons avec des hommes d'affaires au Sénégal, pourraient aussi être des interlocuteurs, en raison des fonds internationaux.
Dans ce contexte, la France reste un partenaire essentiel. La méfiance envers Paris n'empêche pas de bonnes relations entre le nouveau gouvernement et ses alliés africains. Certes, la renégociation en cours de l'accord commercial pourrait être source de frictions, mais aucun intérêt stratégique n'est remis en cause.
Autre motif d'espérer : les jeunes générations sénégalaises, très attachées à la France, résisteront sans doute longtemps à une fracture irrémédiable. Raison de plus pour que la France assure jusqu'à la fin de cette période transitoire que le Sénégal a besoin de soutien durable.
Jean-Christophe Rufin
Écrivain, académicien et ancien ambassadeur de France à Dakar (Sénégal)