‘’Ecrivons nous-mêmes, le futur de l’eau’’
Pour faire face aux défis d’accès universel à l’eau potable et à l’assainissement à travers le monde, il urge, pour les leaders, d’écrire le futur de l’eau, de reprendre la maitrise de son cycle en faisant de sorte qu’elle devienne avec la nature des ‘’amis inséparables’’ de l’Homme. C’est l’appel lancé hier, par le Président du Conseil mondial de l’Eau, Loïc Fauchon, lors de son allocution, à l’occasion de la cérémonie d’ouverture du 9e Forum mondial de l’Eau de Dakar.
Diamniadio est depuis hier, la capitale de l’eau. La nouvelle ville accueille en effet, le 9e Forum mondial de l’Eau qui se tient jusqu’au samedi 26 mars prochain. Intervenant, lors de la cérémonie d’ouverture, les acteurs officiels des différents coins du monde et des différentes institutions financières internationales comme africaines ont chacun partagé leurs solutions pour un accès universel à ce liquide précieux qui fait encore défaut, notamment dans beaucoup de pays africains. ‘’A l’occasion de ce forum, nous disons : écrivons nous-mêmes, le futur de l’eau. Reprenons la maitrise du cycle de l’eau. Nous ne voulons qu’une chose : que l’eau, la nature et l’Homme redeviennent d’inséparables amis. La tâche est immense, mais, elle est nécessaire. Il faut du temps sans doute, alors, pressons le pas. Il y a urgences et ces urgences forment des obligations et la première c’est, aux quatre coins de la planète, d’assurer la sécurisation de la ressource, disposer de plus d’eau, mais en consommer moins et mieux. La technologie et l’innovation digitale ne suffiront pas. Il faut certes innover, transformer, dessaler, recycler, accroître les masses d’eau disponibles. Il nous faut bouleverser les usages, changer nos habitudes et nos comportements. A ces conditions seulement, nous ferons partager l’eau pour homme et l’eau pour la nature. Ceci, à travers les solutions basées sur la nature. A cette condition aussi, nous pouvons assumer l’eau de demain’’, lance le président du Conseil mondial de l’Eau.
Pour Loïc Fauchon, quand l'eau est en danger, l'Homme l'est aussi, tout comme la nature. Le président du Conseil mondial de l’Eau trouve que ‘’l'eau en danger’’, c'est une situation à la fois ‘’paradoxale et inacceptable’’. ‘’Paradoxale parce que sur notre planète il y a beaucoup, parfois trop d'eau et dans d'autres endroits, il y en a très peu. Et c'est la colère des Hommes qui monte et qui dévore. L'Afrique est pourvue d'eau mais beaucoup d'Africains sont dépourvus d'eau. Situation inacceptable parce que l'angoisse des centaines de millions de femmes, des enfants qui, chaque matin, en quête d'une eau lointaine et trop rare et qui reviennent avec quelques litres seulement, pour assurer l'hygiène et la nourriture. Alors pour avancer, il faut situer les causes et les responsabilités’’, note M. Fauchon.
Concernant les responsables de cette inégalité concernant l’accès au liquide précieux, il liste la démographie et tant de bouches à nourrir, la soif de vie tentaculaire ‘’incontrôlable et incontrôlée’’. ‘’Il s'y ajoute l’aspiration légitime des générations nouvelles qui désirent une augmentation de leur niveau de vie et qui sont transformatrices de masses d’eau dont nous ne disposons pas. Attention, ne vendons pas la maison de l’eau à crédit. Responsables aussi des atteintes à la nature, des missions de déforestations, de pollution, de salinisation, etc. Responsable aussi : le climat qui divague et qui atteint les extrêmes ; inondations et crues et sécheresse prolongée. Responsables globalement : le gaspillage et parfois le pillage. Tout cela dévaste, ruine. Tout cela nous amène à une détestable insécurité hydrique’’, renchérit le président du Conseil mondial de l’Eau.
Plaidoyer pour un fonds bleu issu des financements du climat
Ainsi, Loïc Fauchon a rappelé que le droit à l’eau est un élément ‘’indispensable’’ de la dignité humaine. ‘’Nous disons qu’il faut l’inscrire dans les textes fondateurs, dans les constitutions de chacun des pays, sur les tableaux de nos écoles. Il faut apporter peu à peu, une allocation minimale gratuite. Le droit à l’eau deviendra une réalité quotidienne, si nous nous obligeons à le rendre opposable aux tiers, en y associant les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires. Nous ne voulons plus entendre cette vieille rengaine : l’eau n’a pas assez d’argent et l’argent n’a pas assez d’eau. D’abord sur la dette, il nous faut continuer à demander l’annulation de la dette de l’eau pour les Etats et les collectivités les plus pauvres mais, à condition d’un réinvestissement immédiat dans la construction d’infrastructures de l’eau et de l’assainissement autant que dans la maintenance que la formation des femmes et des hommes. Au-delà, nous voulons un fonds bleu issu des financements du climat pour la sécurité de l’eau’’, plaide-t-il.
Le président du Conseil mondial de l’Eau pense que seuls ces financements ‘’massifs et contrôlés’’, autoriseront à faire face aux défis socio-économiques, nourrir la planète, et garantir la mobilisation progressive des centaines de milliards de mètres cubes supplémentaires. ‘’Et cela ne sera pas suffisant. Nous proposerons cette semaine, durant le forum les couplages des ressources non conventionnelles en eau et en énergies, pour permettre au monde rural et périurbain, grâce aux financements hybrides. Il y a aussi la question de la gouvernance des bassins. Nul n’est propriétaire de l’eau. Trop de conflits nous viennent de l’absence de concertation. Nous voulons la paix des rives et non pas la guerre des fleuves’’, soutient M. Fauchon.
Concernant les difficultés liées à la disponibilité des ressources pour financer le secteur, la Vice-présidente de la Gambie a souligné que son pays en fait face. ‘’Des réformes ont été mises en place depuis 2015 avec l’appui de la Banque africaine de développement (BAD). Il y a aussi des lois qui ont été élaborées et en 2020, toutes ces lois ont été soumises au Conseil des ministres pour être examinées. Ces lois seront durement étudiées aussi rapidement possible afin de créer le cadre réglementaire et législatif pour la gestion des ressources en eau. Un plan stratégique de gestion de l’eau a été mis en place pour la période 2015-2019. Mais, jusqu’à présent, il n’est pas mis en œuvre faute de financement adéquat’’, relève Isatou Touray.
D’après la représentante d’Adama Barrow à cette occasion en 2019, leur gouvernement a lancé le projet WASH visant à fournir de l’eau potable ainsi que des services d’assainissement et d’hygiène à 400 mille Gambiens. ‘’A cette période, l’accès à l’eau était de 77% à travers le pays avec 76 et 78% respectivement, pour les zones rurales et urbaines. Seuls 43,11% ont accès à des services d’assainissement. L’accès à l’assainissement est moindre du fait d’un manque de fonds. La défécation à l’air libre est une réalité dans les zones rurales. Nous avons essayé quand-même de mettre en place des systèmes d’assainissement dans les zones urbaines. Malheureusement, les pratiques des populations conduisent à des maladies diarrhéiques. Vice-présidente de la Gambie’’, regrette-t-elle.
La Vice-présidente gambienne a aussi signalé que son pays fait face à des défis importants liés à la situation mondiale, la forte demande en eau, à la limitation des ressources et les menaces que pose le réchauffement climatique. ‘’En Gambie, la pluviométrie a baissé d’environ 30%, depuis les années 50, et la distribution spatiale et temporelle est devenue imprévisible. Le pays a connu une sécheresse au début des années 70 ce qui a affecté la production agricole. Ce phénomène se répète avec de plus en plus de sévérité, avec des sécheresses et des inondations. Ce qui pose des problèmes de quantité de l’eau, de salinisation des aires humides, les écosystèmes de la mangrove. De même, nous avons perdu la productivité de nos terres’’, fait-elle savoir.
Un besoin de 40 à 50 milliards de dollars pour l’Afrique
Au-delà de son pays, Isatou Touray a indiqué que l’Afrique a besoin de 40 à 50 milliards de dollars pour faire face à ces challenges. Elle fonde son espoir sur le panel de haut niveau sur le financement du secteur qui se tiendra à l’occasion de ce forum. Un rendez-vous qui permettra aux pays africains d’après elle, de mettre en place le programme d’investissement africain qui devait être approuvé par la 40e session de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine en février 2021. ‘’Dans le cadre des programmes de développement des infrastructures en Afrique, une initiative importante visant à réduire les fossés en matière d’investissement dans le secteur de l’eau, en mobilisant 30 milliards de dollars d’ici 2030, la République de Gambie espère que les autres dirigeants partenaires pourront conduire nos pays dans la bonne voie et la mobilisation des ressources pour mettre en place ce plan d’investissement sur l’eau en Afrique. Nous espérons pouvoir saisir cette opportunité pour élaborer et mettre en place le programme d’investissement sur les ressources humaines pour les ressources en eau en Gambie’’, dit-elle.
Sur ce, Mme Touray lance un appel aux leaders et institutions internationaux pour qu’ils appuient ce programme et le panel international sur les problèmes d’eau en Afrique. ‘’Je lance aussi un appel pour que nous sachions comment gérer nos écosystèmes, nos fleuves, nos rivières, quelles sont les sciences et technologies que nous pouvons utiliser pour une gestion responsable de tout notre écosystème. Ce sont ces réponses que nous devons apporter sinon la mère nature est ainsi de souffrir du fait de notre action sur l’environnement’’, estime-t-elle.
Pour sa part, le président de la Banque mondiale a soutenu qu’ils doivent avoir accès aux données liées à l’eau pour ‘’mieux gérer’’ cette ressource. ‘’Nous avons lancé au niveau de la Banque mondiale, un portail de l’eau qui regroupe toutes les données relatives à l’eau. Une fois, les données sur l’eau et le climat collectées, nous devons travailler sur les tarifs de l’eau et mettre en place des politiques et augmenter les investissements publics et privés avec une participation citoyenne. Il nous faut un courage politique accru pour mieux gérer l’eau et la fournir aux populations qui sont dans le besoin. Il faut aussi impulser des réformes pour changer les mentalités, réduire les pertes en eau pour absorber les chocs hydriques et une meilleure planification de nos villes pour l’approvisionnement en eau’’, affirme David Malpass.
Le patron de la BM signale que l’économie circulaire peut générer des bénéfices pour la réutilisation des eaux usées aux fins d’irrigation. ‘’Nous devons réaménager les zones humides afin d’atténuer les orages. La Banque mondiale travaille avec le gouvernement du Sénégal sur un programme multisectoriel relatif à la sécurité de l’eau. Ce programme pourrait servir de modèle aux autres pays de la région. La coopération transfrontalière est importante en Afrique où, 90% des ressources en eau sont transfrontalières. Et il faut partager les données sur l’eau. Ceci est important pour gérer les impacts du changement climatique sur le cycle hydrologique. Pour y arriver, il nous faut obtenir des données fiables qui seront partagées, étant donné qu’une bonne gestion des ressources transfrontières est utile’’, recommande M. Malpass.
Pour mettre à disposition des populations de l’eau potable et des services d’assainissement, il faudra, d’après lui, 150 milliards de dollars. ‘’Alors que l’Afrique a besoin de 20 millions. Pour cela, il faudra y consacrer 13 milliards de dollars prélevés sur chaque budget national. Il faut également des plans de mise en place de projets environnementaux avec la participation du secteur privé. Notre avenir dépend de l’existence de l’eau. C’est cela, il faut un leadership fort, des investissements et des partenariats denses’’, conclut-il.
MARIAMA DIEME