Publié le 29 Jun 2021 - 01:57
MAME MBAYE NIANG, AU CAMP D’OUSMANE SONKO

‘’Ils ne peuvent pas être plus déterminés que nous’’

 

Dans cet entretien réalisé au lendemain du vote, par l’Assemblée nationale, de lois censées renforcer le dispositif de lutte contre le terrorisme, mais fortement dénoncées par l’opposition, Mame Mbaye Niang, ancien Ministre et responsable de l’Alliance pour la République (APR) défend son bien-fondé. Il parle de mauvaise foi et de tentative de manipulation. Mame Mbaye Niang évoque aussi d’autres sujets comme les nervis, les menaces qui pèsent sur la stabilité, tout en mettant en garde… 

 

Le dernier projet de loi supposé combattre le terrorisme, alors que l’opposition y voit une tentative de la museler, a été voté par l’Assemblée nationale. Des députés et membres de l’opposition continuent à dénoncer cette loi jugée ‘’liberticide’’. N’avez-vous pas l’impression que votre camp a simplement utilisé la force pour imposer sa volonté, en se servant de l’Assemblée nationale ?

Cette loi n’est pas supposée combattre le terrorisme. Elle combat réellement le terrorisme. A l’image de ce qui se passe ailleurs dans le monde, sur les autres continents, c’est le même dispositif législatif qui est adopté. L’appréciation que l’opposition veut en faire prouve, une fois de plus, la volonté manifeste d’infantiliser notre opinion publique. On ne peut pas attendre la veille de l’adoption de cette loi pour ameuter toute l’opinion et parler de loi liberticide.

En quoi cette loi est liberticide ? En quoi elle empêche de manifester ? C’est vrai que c’est une loi contre les émeutes où on casse et saccage les biens d’autrui. Si la volonté d’une certaine opposition est de casser les biens d’autrui et d’organiser des émeutes urbaines, alors là oui, ils seront sous le coup de la loi, car un des rôles de l’Etat est de protéger les biens des citoyens.

Pourquoi n’avoir pas initié un dialogue en amont autour de cette loi importante et stratégique, au lieu d’attendre le dernier moment pour aviser ?

C’est même méconnaître les mécanismes d’adoption de nos lois que de penser ainsi. Même si cela a été adopté en procédure d’urgence, cela a été examiné en amont par des députés de l’Assemblée nationale. La loi était donc disponible en commission une semaine avant. Mais il y a des députés qui – je ne dirais pas non sérieux – mais ne sont pas assidus et qui préfèrent le spectacle, le show au travail, attendent la plénière pour prendre position. Ils ont le temps d’apprécier la loi dans tout son contenu avec des experts, mais ils ne l’ont pas fait, car ils ne viennent pas à l’Assemblée nationale. Il faut arrêter. Ceci démontre, à souhait, l’immaturité des députés de l’opposition qui ont voulu manipuler l’opinion pour créer des situations de subversion. C’est une volonté manifeste de diffamer le gouvernement. C’est tout. Il n’y a pas autre chose.

On vous a entendu menacer les manifestants qui oseront sortir dans la rue pour manifester contre cette loi. Là, vous jetez de l’huile sur le feu…

Il ne faut surtout pas déformer mes propos. Je n’ai menacé personne. Je n’ai fait qu’apprécier une situation. Vous pouvez sentir la colère et c’est une colère qui est saine. Je suis en colère quand je vois des gens qui ne comprennent absolument rien, qui ne prennent même pas la précaution de se faire éclairer certains points du projet de loi par des experts, passer leur temps à diffamer les gens. Pire, ils appellent à des émeutes. C’est irresponsable. C’est cela ma colère. Je ne suis pas contre les critiques. Mais la personne qui critique doit avoir l’honnêteté d’apprécier les situations par rapport à des critères justes. D’abord pour lui, pour le peuple et parce qu’il parle aussi devant Dieu. Comment peut-on apprécier un texte si on ne l’a pas parcouru ? Créer ensuite tout un arsenal de ‘’fake news’’ derrière, c’est de la mauvaise foi notoire. Si c’est cela la colère, j’assume bien être en colère.

Pour vous dire à quel point ces gens sont de mauvaise foi, est-ce que vous les avez vus faire le tour des représentations diplomatiques pour les sensibiliser ? C’est ce que l’opposition a toujours fait dans le passé. Ils n’osent pas le faire, car dans les mêmes pays, ce sont les mêmes lois qui y prévalent. Tout ce bruit est puéril. C’est, à la limite, une volonté de nous abrutir.   

On a aussi entendu vous prononcer sur les nervis, parlant de votre sécurité personnelle et justifiant aussi leur usage. L’impression qui se dégage, c’est que vous cautionnez cela. N’est-ce pas dangereux, dans un pays normal qui a quand même ses forces de sécurité ?

Je ne cautionne pas, mais ceci est un retour d’expérience. On a eu à organiser des manifestations politiques, à battre campagne, que ce soit dans l’opposition ou dans le pouvoir. Dans l’opposition, il est arrivé qu’on nous attaque pour qu’on ne réussisse pas notre manifestation. Même dans le pouvoir, il est arrivé que des gens se lèvent pour nous empêcher de battre campagne, parce qu’il y a des gens qui se lèvent pour dire que telle ou telle personne ne viendra pas dans ma zone.

Par exemple ?

Mais à Grand-Yoff, vous vous en rappelez bien, lors des dernières élections locales, un groupe de personnes s’est levé pour nous empêcher de circuler. Si on n’était pas bien préparé, les dégâts seraient dommageables. Ce n’est pas ce qui est souhaitable et sans doute faut-il travailler à apaiser les choses, mais la situation politique, depuis Senghor, est la même sur cette question. Que l’on soit dans l’opposition ou au pouvoir. Je condamne toute forme de violence. Pas seulement d’ailleurs celle prêtée aux nervis et autres. Mais il y a aussi cette violence verbale qu’on nous impose. Le pays doit évoluer. Les mentalités aussi. Cela veut dire que tout le monde a le droit de manifester et de dire ce qu’il veut, mais dans le respect des lois. Le problème, ce ne sont pas seulement les nervis, mais le niveau de violences qu’on constate par exemple à l’université. Peut-on reprocher à une personne de se protéger de cela ? 

On a presque envie de vous demander jusqu’où êtes-vous prêts à aller dans le bras de fer qui vous oppose à ceux qui veulent manifester ? On a l’impression que vous êtes subitement devenus réfractaires, alors qu’il y a à peine 10 ans, vous chauffiez vous-mêmes la rue ?

Non, ce n’est pas la même chose. J’ai fêté les 10 ans des évènements du 23 juin 2011 et je suis fier d’en faire partie. Mais ne comparez pas ce que nous faisions à ce qui se fait maintenant. Les situations ne sont pas les mêmes. On s’est battu pour défendre des principes démocratiques. On s’est battu, parce que le président Wade voulait le ticket présidentiel et que la majorité au Sénégal ne soit plus à 51 %, mais à 25 %. C’est tout le système qui allait changer.

Mais aujourd’hui, on se bat parce qu’un monsieur a des problèmes avec une fille et refuse que justice soit administrée. Il faut donc comparer, comme le disent mes amis mathématiciens, deux équations qui sont de la même dimension.

Je ne suis donc pas contre les manifestations. Il y en a eu qui ont été autorisées et d’autres pas. Mais ces manifestations se sont passées et il y a un certain retour d’expérience.  Mais vouloir créer le chaos parce qu’on se sent fort, ce n’est pas normal.

Jusqu’où sommes-nous prêts à aller ? Je ne me bats pas pour des positions, mais pour des principes. Et je me suis toujours battu. En tout cas, ils ne peuvent pas être plus déterminés que nous. Et nous avons encore jusque-là la confiance des Sénégalais. Nous gagnons, malgré tout le bruit, les élections chaque fois qu’elles sont organisées.  

Quelle est la solution que vous entrevoyiez pour sortir de cette impasse ? N’est-il pas temps de renouer un vrai dialogue – y compris avec Ousmane Sonko ?  

C’est vous qui parlez d’impasse. La vie continue. Il n’y a pas d’impasse. Le président a été élu pour un mandat de 5 ans. Il y a eu la Covid et une crise que nous n’avons pas créée, mais que tous les pays du monde connaissent dans des proportions plus graves. Dans le sillage du dialogue, le président a mis en place un nouveau gouvernement. En termes d’électorat, la situation nous est favorable. On ne peut contraindre personne au dialogue. Ousmane Sonko est libre de ne pas dialoguer. Mais ce n’est pas parce qu’il ne veut pas dialoguer qu’il va semer le chaos. Pour accéder au pouvoir, il faut gagner les élections. Ce n’est pas après un combat de rue qu’on accède à la magistrature suprême. Pour gagner, il faut bénéficier de la confiance des Sénégalais. Il n’y a pas d’autres chemins. Depuis que le Sénégal est indépendant, on accède au pouvoir par les urnes, par des élections libres et transparentes. Nous nous sommes donné, par rapport aux régimes précédents, d’avoir un processus électoral irréprochable. Nous sommes un pays de dialogue. On est d’accord, mais nul n’est au-dessus de la loi. Lorsqu’on doit rendre compte à la justice, on doit le faire. Vouloir faire autre chose, c’est tenter de construire un château dans du vent. Le peuple sénégalais est suffisamment mûr et il y a des situations que les gens n’accepteront pas.

Vous avez évoqué tout à l’heure ma détermination, mais il faut savoir que personne ne peut être plus déterminé que le citoyen sénégalais. 

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