La préférence nationale et ses limites
Lors d’une conférence organisée, samedi, par le Master en régulation de l’ARMP, des experts et de hauts cadres de l’institution sont revenus sur les enjeux de la dématérialisation des procédures, les ambitions affichées pour la préférence nationale et leurs limites, la prudence nécessaire dans les PPP…
Réserver aux PME sénégalaises et communautaires 15 % dans les marchés de la commande publique. Voilà un vœu des pouvoirs publics longtemps exprimé, mais dont la mise en œuvre pose toujours problème. En fait, malgré les déclarations d’intention, les privés nationaux et communautaires peinent à profiter pleinement des marchés publics dans les mêmes proportions que leurs concurrents étrangers. La thématique a aussi été abordée, ce samedi, lors d’une importante conférence organisée par le Master en management de la régulation des marchés publics de l’ARMP.
Ancien président du Conseil de régulation de cette institution, Mansour Diop explique : ‘’La perspective qui est poursuivie par les autorités au plus haut niveau est un objectif louable qui consiste à faire participer le tissu économique sénégalais à la commande publique. Ça, c’est l’objectif politique. Comment matérialiser cela ? C’est tout le problème. La déclaration a été faite ; il y a même certaines autorités contractantes qui tentent de l’appliquer, mais cela n’a pas encore de base juridique’’.
Confirmant ce vide qui existe, le directeur de la Réglementation et des Affaires juridiques de l’ARMP a relativisé et rappelé tout un ensemble de dispositifs prévus dans divers textes, depuis la loi de 2008 sur les PME remplacée par celle de 2020. Laquelle a prévu une obligation pour le ministère chargé des PME de dresser un rapport sur la part des marchés publics attribuée aux PME.
Dans la même veine, il y a tout un ensemble de dispositions accordant des marges préférentielles aux start-ups, ainsi qu’à certaines entreprises de l’économie solidaire rappelées par M. Diop. ‘’Pour les PME, insiste-t-il, il y a l’allotissement qui a été prévu, mais ce n’est pas une obligation…’’.
Il n’y a pas de base juridique pour réserver 15 % des marchés aux PME
Saluant ces politiques préférentielles mises en place par l’État en faveur des privés nationaux, Mansour Diop a relevé la nécessité d’une mise à niveau de ces PME. Il y a deux préalables, selon lui, pour que ces acteurs puissent pleinement en profiter. D’abord, ces privés nationaux doivent davantage se formaliser et se mettre à niveau. Ce qui est loin d’être le cas, d’après lui. Ensuite, il faut qu’elles s’imprègnent des règles de la commande publique. ‘’On ne peut pas prétendre à la commande publique, si on n’a pas les rudiments qui régissent cette commande publique. Si les deux sont réunies, pourquoi ne pas aller au-delà des 15 % ? Je pense qu’on pourrait aller bien au-delà, si toutes les conditions sont réunies’’.
Cette question de la préférence nationale, selon le professeur Abdoulaye Sakho, Directeur du Master en régulation de l’ARMP, est un gros problème, en raison des engagements internationaux des États. ‘’Normalement, il y a beaucoup d’activités qui sont libéralisées. La question de nationalité ne se pose plus sur beaucoup de plans. C’est une libéralisation peut-être à l’extrême. Mais dans les faits, les pays, de plus en plus, conservent les frontières. Chacun essayant de préserver ses intérêts comme il peut. Il s’agit d’intégrer un certain nombre de dispositifs internationaux dans le champ national’’.
L’art de contourner les engagements internationaux
Par exemple, note-t-il à titre indicatif, si on prend les subventions faites à des secteurs dans certains pays, il y a des normes internationales qui l’interdisent. ‘’Mais on sait qu’il y a de grands pays qui subventionnent leur agriculture ou d’autres secteurs. C’est une question à qui mieux mieux ; qui est le plus intelligent dans la manière de contourner cette réglementation. C’est ça l’enjeu, il faut juste être intelligent’’.
De l’avis de Maitre Charles-Eric Thoor, Avocat au cabinet Bignon Lebray, invité du Master en régulation pour cette master class, en France, il faut noter que c’est partout pareil cette ambition de donner les grands marchés à des nationaux. ‘’Aucune autorité n’aime financer autant d’argent et les voir filer par exemple en Roumanie, en Bulgarie ou en Pologne. Ça les énerve quand ça arrive. On essaie parfois avec des moyens indirects comme la longueur pour diminuer l’empreinte carbone… C’est une manière détournée de favoriser les entreprises françaises à l’aide de critères objectifs et même parfois louables. On a même eu à parler de clause Molière pour imposer à chacun de savoir parler français. Évidemment, cela n’est pas allé plus loin...’’, a souligné l’expert, non sans préciser qu’en France, on ne saurait parler de préférence nationale en raison des engagements internationaux. Des engagements qui sont à peu près les mêmes que ceux du Sénégal, a tenu à préciser le Pr. Sakho.
Mor AMAR