Heurts et actes de vandalisme
Leurs leaders politiques bloqués depuis chez eux dès la matinée d’hier, les jeunes sympathisants de Yewwi Askan Wi (Yaw) ont fortement répondu à l’appel à la manifestation, malgré son interdiction. En face d’eux, ils ont trouvé une police qui prit les devants. Devant l’impossibilité pour les manifestants de se rassembler à la place de la Nation, des heurts ont éclaté dans divers endroits de la capitale. Un enfant grièvement blessé près du rond-point Colobane aurait perdu la vie.
Les militants et sympathisants de Yewwi Askan Wi (Yaw) n'ont pas réussi à accéder à la place de la Nation, hier, mais ils ont manifesté leur colère à leur manière. Repoussés puis dispersés par les forces de l'ordre qui ont barricadé toutes les voies menant au ''lieu de lamentations'', ils ont commencé à brûler des pneus, dès la fin de la prière du vendredi. Il s'en est suivi de violents affrontements entre policiers et manifestants au cours desquels une personne a perdu la vie. Cette dernière ne faisait pourtant pas partie des manifestants, selon les témoignages. L’incident s’est déroulé dans un atelier de menuiserie de fortune à ciel ouvert installé en face de la mosquée Massalikul Jinaan. La victime, qui serait en situation de handicap, se reposait sur un matelas qui a pris feu, à cause d'un gaz lacrymogène.
‘’On en a marre de Macky Sall. Il est le responsable de la mort de cet enfant qui n’avait aucune conscience de ce que c’est que la vie. Nous sommes dans la rue pour défendre le droit’’, peste un homme encagoulé. Poursuivant, il réclame plus de justice et demande que le pays soit plus autonome, tout en dénonçant le pillage de ses ressources. ‘’Nous n’accepterons plus qu’on indique l’itinéraire à prendre, lors des marches. Nous étions en train de dormir, mais Dieu merci, ‘Seydina’ Ousmane, le ‘sage’ nous a éclairés. Il nous a fait comprendre comment notre pays est pillé. Qu’il soit en paix. Nous lui demandons de rester chez lui tranquillement. Nous allons nous-mêmes mener le combat et le poursuivre jusqu’à ce qu’on ait une vraie indépendance’’, soutient-il.
Plus loin, au rond-point Colobane où le calme était revenu à ce moment-là, un commissaire demande calmement à un petit groupe de jeunes qui ont l’air d’être des étudiants de rentrer. ‘’Ayez la conscience que le Sénégal est un pays respecté. Nos grands-parents nous ont légué ce mérite. Aujourd’hui, nos voisins demandent ce qui nous arrive. Ne soyez pas induits en erreur. Partez ! Beaucoup sont parmi vous pour voler. Ce n’est pas en brûlant le pays qu’on va se développer’’, dit l’homme de tenue à l’endroit des jeunes. ‘’Ne serait-il pas plus facile d’autoriser la mobilisation ? Est-ce que c’est en réprimant les mobilisations que le pays va se développer ?’’, demande un de ses interlocuteurs. L’agent de rétorquer : ‘’Vous êtes dans des considérations politiques. Je ne suis pas dans ça. Je suis pour l’intérêt général. Maintenant, partez !’’
Jeu du chat et de la souris
Si l’ombre d’un manifestant n’a pas traîné à la place de la Nation, vers les coups de 17 h, les mouvements d'humeur se sont généralisés dans divers endroits, aux alentours du site. Partout, des pierres jonchent le sol. Contenant une forte odeur, la fumée qui se dégage des bombes lacrymogènes et des pneus brûlés affecte la vue et pique aux yeux.
Manifestants et policiers se livrent à un jeu au chat et à la souris. Les jeunes sympathisants de Yaw maîtrisent la méthode à appliquer : brûler des pneus, tenter de bloquer la route aux véhicules blindés, puis se replier. Mais cette technique, bien qu’efficace, n'a pas suffi hier. Ainsi, toujours dispersés et repoussés jusqu'aux HLM, les jeunes ont eu le réflexe d'essayer de refaire un 21 mars bis. Pendant que la police se focalisait sur les jeunes dispersés dans les coins du marché Colobane, d’autres en ont profité pour vandaliser la station Totale sise près de la mosquée Massalikul Jinaan.
Âgé d’une vingtaine d’années, originaire de Pire, Talla Dièye est venu de Guédiawaye. Il porte un boubou traditionnel et des baskets. ‘’Nous allons vers les Législatives. Le président ne peut pas choisir les listes qui vont compétir. Nous ne sommes pas dans un royaume. En 2012, il avait dit au président Wade de se rappeler de l’histoire de Firouana et de Moussa. Aujourd’hui, il doit éviter de se prendre pour un Firouana’’, dit-il, outré. Il souligne que la manifestation est l'une des formes d'exercice du droit de réunion visé par le texte constitutionnel.
La quarantaine, cheveux volumineux, Aboubacar Aïdara a la même vision des choses que son concitoyen Talla Dièye. L’air calme, il est, pourtant, présent à la manifestation pour des raisons liées à la démocratie. ‘’Nous avons les archives. Macky Sall était un fervent défenseur du droit à la marche. Le peuple a manifesté pour lui. Aujourd’hui qu’il est au pouvoir, il veut empêcher ce même peuple de manifester sa colère. Il aime les rapports de force. Mais nous avons vu comment des présidents comme Ben Ali (Tunisie) et Omar el-Béchir (Soudan) ont fini’’, tempête M. Aïdara.
Selon lui, Macky Sall était un espoir pour la paix, la stabilité et le développement. Un espoir qui serait parti en fumée. ‘’En 2012, il promettait qu’il allait mettre fin à l’instabilité, une fois qu’il sera sur le fauteuil présidentiel, et qu’il allait respecter la Constitution. C’est pour cela qu’il a été élu. Le pays n’appartient pas à une seule personne. Il n’y a pas que sa volonté qui doit compter’’, ajoute-t-il.
D’autres manifestants, par contre, ont envahi les rues pour dénoncer la cherté de la vie et réclamer des lois plus adaptées aux réalités socioculturelles du Sénégal. ‘’Sur le chemin du marché, nos femmes n’ont pas la conscience tranquille, à cause de la cherté des denrées, parce que ce qu’on leur donne ne suffit plus. Elles vont devenir folles de cette équation. Il est même difficile d’avoir du ‘mbaxal saloum’. Et nous n’acceptons pas l’homosexualité dans ce pays’’, indique un individu qui requiert l’anonymat.
Manque à gagner des commerçants
Vêtu d’un Lacoste tricolore assorti d’un jean bleu et des chaussures de ville, Abdou travaille dans une société située à Colobane. En temps normal, il descend à 17 h. Hier, à cause de la manifestation, l’heure de la descente a été anticipée. Descendu plus tôt que prévu, il a eu beaucoup de peine pour rentrer chez lui. Pour le jeune homme, au nom de la paix, l’Etat devait autoriser la mobilisation, comme il l'avait fait la dernière fois. ‘’S’il y a tout ce désordre, c’est parce qu’elle n’est pas autorisée’’, croit-il. ‘’Les politiciens ne doivent pas prendre ce pays en otage. Il faut que l’on considère ceux qui ne sont pas concernés par toute cette situation. J’ai patienté très longtemps, avant de trouver une voiture, parce que l’autoroute était barrée pendant longtemps’’, a ajouté le jeune homme.
Du matin au soir, les vendeurs n'ont pas aperçu l’ombre d’un client. Ils ont bien rangé leurs marchandises. Assise désespérément sur une table vide, Mama Diagne, vendeuse de bananes, témoigne : ‘’Le matin, nous n’avons rien vendu, parce que les clients ne sont pas venus. Ils ont eu peur, depuis l’annonce de la mobilisation non autorisée. L’après-midi, c’est pire. Après la prière, les émeutes ont éclaté.'' Les vendeurs de fruits sont, eux, dans le désarroi total. ‘’Mes produits seront périmés. Je les ai déjà préparés mais je ne pourrai pas les vendre demain’’, se lamente un jeune homme originaire de Guinée.
Pashmina beige sur la tête, Cheikh Ka, assis également sur une table vide, balance les pieds en regardant le spectacle qui s’offre devant lui. Le jeune homme à la djellaba bleue est vendeur de montres au marché Colobane. ‘’C’est très difficile pour nous les vendeurs. Alors que la fête de la Tabaski approche, tous nos espoirs sont tombés à l’eau aujourd’hui. Ce qui est frustrant, c’est qu’à la fin, les politiciens vont se retrouver ensemble, pendant que la population va continuer de souffrir. C’est à la jeunesse de construire ce pays, pas ces politiques. Nous sommes malheureux aujourd’hui’’, indique-t-il.
‘’Les temps sont durs. C’est ce qui explique tout cela. Les gens font des choses qu’ils regrettent par la suite. Nous demandons au président d’aider les populations. Tout ceci est à éviter’’, a-t-il conclu en ramassant sa sandale pied droit.
BABACAR SY SEYE