Les raisons des inégalités d’accès
Un rapport d’étude publié par Transitec souligne les inégalités liées au genre dans la mobilité africaine. Axé sur cinq villes africaines, l’objectif de l’étude est d’orienter les politiques de mobilité, en renseignant les déterminants de la moindre accessibilité des femmes.
Dans les villes des pays en développement, on constate que les femmes sont moins mobiles que les hommes et elles ont recours à des pratiques de mobilité différentes. En vue de confirmer cet état de fait et d’en expliquer les causes, Transitec, un bureau d’étude indépendant spécialisé dans les problématiques de mobilité, a mené une étude dans cinq villes africaines (Dakar, Yaoundé au Cameroun, Casablanca et Tanger au Maroc et Sousse en Tunisie). Hier l’entreprise a rendu public son rapport.
D’après l’analyse des données des Enquêtes-ménages-déplacements (EMD réalisées entre 2015 à 2020, il ressort que 25% des Casablancaises, 19% des Dakaroises et 8% des Tangéroises déclarent n’avoir effectué aucun déplacement la veille de l’enquête. Et ces taux sont 2 à 4 fois supérieurs à ceux observés chez les hommes. Dans les cinq villes, les femmes réalisent des déplacements 10 à 30% plus courts que les hommes. Et selon les chercheurs, ‘’ce constat vient renforcer celui fait par Frédérique Predali (2004) en Ile-de-France, selon lequel les femmes occupent davantage que les hommes des emplois à temps partiel, privilégient le télétravail et choisissent des emplois plus proches de leur domicile que les hommes, dans le but de se rendre plus disponible pour leur famille, notamment’’.
Toutefois, les femmes jeunes sont les plus mobiles (25- 35 ans), mais moins qu’en Europe, du fait de la parentalité. A Casablanca et à Dakar, on observe des taux de mobilité similaires pour les hommes et les femmes jusqu’à la fin des études secondaires, puis, ce taux diminue pour les femmes et reste en deçà de celui des hommes, tout au long de leur vie. Dans les deux villes, l’écart tend à se creuser davantage à partir de 55 ans.
Des motifs de déplacements différents
En outre, les déplacements cumulés travail et études des hommes sont dans toutes les agglomérations plus importantes que ceux des femmes pour les mêmes motifs, avec un différentiel de 12 à 32%. A l’inverse, le motif ‘’achats’’ représente une part très importante de la mobilité des femmes (35% à Dakar et de 20 % à Casablanca à 39% à Tanger). Par ailleurs, dans les villes étudiées, les femmes sont moins actives que les hommes et l’occupation ou non d’un emploi, qu’il soit à temps complet ou partiel, influence le nombre moyen de déplacements par jour effectué par les femmes, celles qui travaillent étant plus mobiles.
A Dakar, cette différence varie entre 3,2 déplacements par jour pour les femmes actives et 2,5 pour les femmes au foyer. ‘’La mobilité des femmes ne se structure pas autour de déplacements binaires domicile-travail, mais autour de boucles de déplacements incluant toutes ces activités relatives aux tâches domestiques. Par conséquent, comme le relève l’AFD dans sa boite à outil genre ‘Transport et mobilité’, les systèmes de transport public, généralement organisés de façon radiale, ne sont pas adaptés à leurs déplacements’’, souligne le document.
Aussi, le fait d’avoir un emploi génère une différence très marquée dans l’usage des modes. Les femmes sont plus nombreuses à utiliser des modes motorisés, lorsqu’elles sont actives. Elles recourent plus à la marche, lorsqu’elles sont sans emploi.
Une faible accessibilité aux engins motorisés
L’accès des femmes aux modes motorisés privés, selon l’étude, est un indicateur central des disparités homme-femme, marqueur à la fois des inégalités matérielles et des différences de rôle au sein des ménages. Le constat le plus flagrant est à Dakar, Tanger et Casablanca où les hommes sont deux fois plus nombreux à utiliser la voiture. Les deux-roues motorisées et le vélo restent également des modes majoritairement masculins.
Ainsi, la résultante du faible taux d’utilisation des modes motorisés individuels par les femmes est un fort taux d’utilisation des transports publics. Au sein même des transports publics, on observe que les hommes utilisent davantage les systèmes de transport institutionnels, tandis que les femmes utilisent davantage les systèmes non-réguliers ou semi-collectifs (taxis). Ce constat peut s’expliquer par le fait que les femmes réalisent moins de déplacements radiaux, où le transport institutionnel est plus présent.
Leurs déplacements sont plus complexes. Elles sont plus souvent chargées et accompagnées ; et elles se déplacent plus souvent en dehors des heures de pointe. De ce fait, le taxi offre une plus grande flexibilité, un plus grand confort et est susceptible d’assurer une desserte plus locale, sur des trajets plus courts. ‘’Par ailleurs, même lorsque le ménage dispose d’une voiture, les femmes n’y ont pas accès de la même manière que les hommes et restent captives des modes de transport collectifs ou semi-collectifs. Cela a un impact non négligeable sur le taux de mobilité quotidienne’’, ajoute le rapport.
Un budget inférieur affecté à la mobilité
Des différences de revenus entre hommes et femmes interrogées sont également observées. Or, le budget consacré à la mobilité dépend fortement des revenus. Avec en moyenne des revenus inférieurs aux hommes, les femmes dépensent moins pour leurs déplacements. Cela se traduit à Yaoundé, Sousse et Casablanca par des budgets moyens par déplacement inférieurs pour les femmes ; l’écart le plus grand étant observé à Casablanca (37%). On note, par ailleurs, que cet écart du budget de déplacement entre les hommes et les femmes ne dépend pas du revenu du ménage.
D’après l’étude, on observe dans l’ensemble des villes que les femmes marchent beaucoup plus que les hommes en raison de facteurs socio-économiques (revenus plus faibles, moindre poids dans la décision financière, déplacements à une échelle plus locale en lien avec un faible taux d’activité, déplacements plus complexes avec segments multiples).
De plus, l’EMD de Dakar met en lumière l’aspect sécuritaire. En effet, l’étude révèle des craintes plus fortes en soirée qu’en journée, particulièrement lorsqu’il s’agit de se déplacer à pied, ainsi que des problèmes d’agressions et de vols dans les transports en commun. La crainte de subir des agressions ou des vols est nettement plus élevée chez les femmes que chez les hommes.
Ces inégalités fondées sur le genre, estime Transitec, ralentissent les dynamiques de développement et de réduction de la pauvreté. La comparaison entre les villes d’Afrique du nord et les villes d’Afrique sub-sahariennes, au-delà des aspects culturels, selon l’étude, laisse penser que l’accroissement du niveau de vie et la motorisation associée accentuent les inégalités femme-homme.
EMMANUELLA MARAME FAYE