La diplomatie sénégalaise entre idéalisme et realpolitik
La multiplication des coups d’État depuis août 2020 (Mali, Burkina Faso, Guinée, Niger) a poussé le Sénégal a tenté de concilier la realpolitik et sa volonté de jouer la carte idéaliste de défense des valeurs démocratiques.
Un cercle de feu entoure notre pays (poussée djihadiste, multiplication de coups d’État, trafic de drogue, émigration clandestine...). Et cela n’est pas de tout repos pour nos diplomates. Le Sénégal, qui est toujours considéré comme un des phares de la démocratie en Afrique, était aussi attendu dans plusieurs dossiers, notamment les putschs et coups de force dans notre voisinage (Mali, Guinée et Burkina Faso, Niger). Ces pays qui ont basculé sur une période courte de deux ans dans une spirale de coups d’État ont obligé le Sénégal à se positionner sur la scène diplomatique ouest-africaine.
En effet, la diplomatie sénégalaise, qui s’est toujours prévalue d’être légaliste en essayant de coller au maximum aux résolutions des Nations Unies et aux décisions de la CEDEAO, a semblé depuis quelques mois jouer la carte de la realpolitik, dans le but de préserver ses intérêts économiques et commerciaux.
Cette posture qu’on pourrait qualifier de ‘’suiviste’’ et de ‘’prudente’’ dans ces différents dossiers, donne au Sénégal une certaine flexibilité et un large éventail d’options pour renouer avec les nouvelles autorités militaires installées dans ces pays susmentionnés. Les postures radicales ou va-t-en-guerre apparaissent dans une large mesure contre-productives dans la gestion des crises politiques liées au coup d’État.
Coup d’État au Mali ou l’apprentissage de la realpolitik
Le premier test pour la diplomatie sénégalaise qui entend faire jouer sa primeur dans la sous-région a été la chute du régime civil du Malien Ibrahima Boubacar Keïta en août 2020. À la suite de ce coup de force, la CEDEAO et l’UEMOA ont adopté une série de sanctions contre le Mali (fermeture des frontières terrestres, gel des avoirs financiers à la CEDEAO...) en janvier 2022. Si le Sénégal en sous-main s’est rangé du côté de la CEDEAO qui a voté des sanctions économiques et financières contre le Mali ainsi que son exclusion de l’organisation, de manière officieuse, le Sénégal a œuvré en coulisse pour un allègement de ces sanctions qui asphyxient le commerce malien dont une bonne partie transite par le Sénégal.
Dans ce dossier, Macky Sall semble s’être mis en retrait, contrairement à la Côte d'Ivoire, partisane d’un régime de sanctions encore plus dures contre Mali. On soupçonne Abidjan de vouloir annihiler le transit des produits maliens qui passaient par Dakar au détriment du port d’Abidjan. Au contraire de la diplomatie sénégalaise soucieuse de jouer la carte de la realpolitik et préserver ses intérêts au Mali qui est son premier marché d’export de l’économie sénégalaise au sein de la CEDEAO.
Ainsi, après plusieurs mois de vives négociations menées par l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan et la délivrance d’un calendrier transitoire, Macky Sall a poussé pour la levée des sanctions en juillet 2022 qui pesaient aussi sur le Sénégal qui perdait des parts de marchés au profit de Conakry et même Nouakchott.
La diplomatie souterraine en Guinée
Le coup d’État en Guinée, qui a renversé le régime Alpha Condé, le 5 septembre 2021, a déclenché une série de nouvelles sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA. Le nouveau régime dirigé par Mamady Doumbia n’a pas suscité une forte hostilité du côté de Dakar qui a accumulé les brouilles avec son prédécesseur Alpha Condé. Ce dernier n’a jamais semblé être en bon terme avec Dakar. Si la diplomatie sénégalaise a suivi la position officielle qui a condamné le putsch en Guinée et l’instauration de sanctions progressives contre la junte, en coulisse, le Sénégal a rapidement tenu à se rapprocher du nouveau régime plus enclin à coopérer sur le plan économique.
L’ex-président Alpha Condé, qui a toujours soupçonné Macky Sall de soutenir son opposant Cellou Dalein Diallo, n’avait pas hésité à fermer sa frontière avec le Sénégal, à l'approche des élections couplées d'octobre 2020, pendant douze mois, de septembre 2020 à septembre 2021. La chute d’Alpha Condé entraina la réouverture de la frontière, mettant fin à cette période qui a fait souffrir les deux économies très interconnectées.
En outre, les fortes répressions contre les manifestations pro-démocratie ont suscité peu d’échos et de réactions depuis Dakar. La junte a fait arrêter un certain nombre de dirigeants de l'opposition, lancé des poursuites judiciaires contre d'autres et dissous un collectif citoyen critique de son action.
Pour le moment, la décision du Comité national pour la restauration de la démocratie (CNRD) de rendre la place à des civils élus d'ici à fin 2024 semble apaiser les craintes de Macky Sall de risque d’une nouvelle déstabilisation de la Guinée.
Les deux coups d’État au Burkina Faso (janvier 2022) et (juillet 2022) ont suscité peu de réactions du côté de Dakar qui, dans cette affaire, avait décidé de laisser faire les organisations communautaires comme la CEDEAO.
Le Sénégal dans l’ombre du Nigeria et de la Côte d’Ivoire dans la crise nigérienne
Par contre, le dernier coup d’État au Niger a vu le Sénégal se ranger très vite sur les décisions de la CEDEAO qui menace d’intervenir militairement au Niger pour rétablir le président élu Mohamed Bazoum. L’État du Sénégal s’est ainsi rangé dans le camp des durs, à côté du Nigeria, de la Côte d’Ivoire et du Bénin, partisans d’une action armée contre le général Abderrahmane Tiani, chef du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Contrairement au Togo ou le Cap-Vert qui semblent vouloir privilégier l’action diplomatique.
La CEDEAO, qui a décidé de fermer les frontières et de la coupure dans l’approvisionnement de l’électricité, est ainsi très divisée, car seuls quatre pays ont assuré de leur participation en cas de déploiement de la force d’attente de la CEDEAO.
Ainsi, le Sénégal semble choisir le camp des “faucons”, mais a décidé de ne pas trop s’exposer en première ligne.
Or, dans le même temps, Bola Tinubu et Alassane Ouattara ont, à un certain moment, adopté des positions dures contre le nouveau régime nigérien qui a obtenu le soutien des autres régimes putschistes du Burkina Faso et du Mali. Une situation qui fracture un peu plus les rapports entre pouvoirs civils et militaires en Afrique de l’Ouest.
Macky Sall, en fin de mandat, semble vouloir jouer la carte de la prudence et s’en tient à la position de la CEDEAO dont la présidence est assurée par le Nigeria. La junte, qui a décidé de surfer sur le ressentiment anti-français, laisse peu de marge de manœuvre à la diplomatie sénégalaise. La montée d’un mouvement nationaliste et panafricain autour d’un Ousmane Sonko a aussi poussé l’État à la prudence, en raison de l’impopularité de cette intervention auprès de l’opinion publique.
Le Sénégal n’a pas encore annoncé le nombre de ses effectifs devant participer à la possible intervention au Niger et s’est gardé de tout commentaire ou critique à l’encontre de la junte nigérienne.
Amadou Fall